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Chronique Livre :
LA FORTERESSE IMPOSSIBLE de Jason Rekulak

Chronique Livre : LA FORTERESSE IMPOSSIBLE de Jason Rekulak sur Quatre Sans Quatre

L’auteur :

Jason Rekulak est un auteur américain qui a travaillé de nombreuses années dans une maison d’édition. La Forteresse impossible est son premier roman.


Brièvement :

1987, Ronald Reagan et l’Amérique puritaine. Trois garçons, dans la petite ville de Wetbridge, inséparables depuis la maternelle, passent le temps comme ils peuvent entre télé, Monopoly, discussions interminables et idées farfelues. Mais une grande nouvelle leur parvient : la présentatrice la plus sexy de la télé a posé nue dans Playboy.

Problème : ils n’ont que 14 ans et Monsieur Zelinsky ne voudra jamais leur vendre le magazine. Faut trouver un plan…


Un extrait :

«  J’avais l’impression d’être le garçon le plus chanceux de la classe de troisième. Ravis de célébrer ma liberté toute neuve, mes potes Alf et Clark passaient à la maison tous les soirs ? On regardait la télé pendant des heures, on se préparait des litres de milkshake, on se gavait de Pop Tarts et de pizza bagels jusqu’à s’en rendre malades. On se lançait dans des parties de Risk et de Monopoly qui s’étalaient sur des jours et se terminaient toujours par un mauvais perdant qui renversait le plateau de la table, et on s’engueulait en parlant cinéma et musique ; on avait des débats passionnés pour savoir qui l’emporterait dans une bagarre : Rocky Balboa, ou Freddy Krueger ? Bruce Springsteen, ou Billy Joel ? Magnum, Hooker, ou MacGyver ? Tous les jours, c’était soirée pyjama, et je me disais, je m’en souviens, que cette époque bénie n’aurait pas de fin.
Mais c’est alors que Playboy a publié des photos de l’animatrice de La Roue de la fortune, Vanna White, que je suis tombé éperdument amoureux, et que tout s’est mis à changer.
C’est Alf qui a repéré le magazine en premier, et il est revenu en courant de chez Zelinsky, le marchand de journaux, pour nous mettre au parfum. Clark et moi, on était assis sur le canapé de mon salon, et on regardait le Top 20 des clips sur MTV quand il a déboulé, comme un fou.
« Y a ses fesses en couverture !
- Les fesses à qui ? a demandé Clark. La couverture de quoi ? »
Alf s’est laissé tomber par terre en se tenant les côtes, hors d’haleine. «  Vanna White. En couv de Playboy. Je viens de voir le dernier numéro, et y a son cul en couverture ! »
C’était une nouvelle de la plus haute importance. La Roue de la fortune était l’une des émissions de télévision les plus populaires, et la présentatrice, Vanessa White, était la fierté du pays, une fille de province, de Myrtle Beach, qui avait fait une ascension fulgurante et accédé à la célébrité et à la fortune en faisant tourner les lettres d’un jeu de mot mystère. La nouvelle faisait déjà la une des tabloïds qu’on trouvait dans les supermarchés : VANNA, CHOQUÉE ET HUMILIÉE, affirmait que les CLICHÉS EXPLICITES avaient été pris des années auparavant et qu’ils n’étaient certes pas destinés aux pages de Playboy. Elle avait intenté un procès pour stopper la publication, réclamant 5,2 millions de dollars de dommages et intérêts et, à présent – après des mois de rumeurs et de spéculations diverses – le magazine débarquait finalement dans les kiosques.
«  C’est la chose la plus incroyable que j’aie jamais vue », a continué Alf. Il s’est juché sur une chaise et a mimé la pose de Vanna en couverture. « Elle est assise sur le rebord  d’une fenêtre, comme ça, tu vois ? Et elle se penche dehors. Comme pour voir le temps qu’il fait ? Sauf qu’elle ne porte pas de culotte !
- C’est impossible », a dit Clark.» (p. 8 et 9)


J’en dis que :

Billy, c’est le geek de la bande, il a un commodore 64 et crée des jeux comme le strip poker par exemple. C’est pas mal mais pas très réaliste, ça frustre quand même beaucoup ses deux copains Alf et Clark, puceaux bien sûr, et que les filles obsèdent évidemment. Alf, c’est l’électron libre, le plus givré des trois, que le danger ne rebute pas, avec une tchatche de malade. Clark est un type magnifique sur qui les filles se retournent mais il est né avec une main difforme qui a l’apparence d’une pince et qu’il garde le plus possible dans sa poche. Ces trois-là passent le plus clair de leur temps ensemble. C’est un peu ennuyeux, la vie à Wetbridge, il n’y a pas grand chose à faire et puis les filles les font fantasmer à mort. Ils empruntent sans cesse Kramer contre Kramer, parce que ce film contient quelques secondes de nudité totale, à la 44ème minute très précisément, leur connaissance du corps féminin se limitant à peu de choses près à ça, même s’ils préféreraient mourir que d’avouer que c’est le cas.

Leurs parents sont quasiment absents de leur existence, la vie familiale presque inexistante. La mère de Billy, qui l’élève seule, travaille la nuit, et ça arrange bien son fiston qui en profite pour passer toutes ses soirées avec ses deux copains.
Comme ses résultats scolaires sont désastreux, sa mère lui met la pression et leurs relations sont plutôt tendues.

Soudain, coup de tonnerre dans un ciel plutôt serein, la nouvelle se répand que Vanna White, la présentatrice hyper sexy qui présente la Roue de la Fortune – qu’on ne regarde que pour la regarder, elle - pose nue dans le magazine Playboy ! Oui, nue et elle montre tout… Il faut TOUT faire pour se procurer au moins un exemplaire, c’est pas possible de passer à côté de cette aubaine !
Les murs de la chambre de Billy sont recouverts de posters de filles super jolies mais habillées et là…

Oui mais voilà : ils n’ont que 14 ans et, même s’ils peuvent facilement réunir les quelques dollars nécessaires à l’achat du Graal, le propriétaire du seul magasin à la ronde qui le vende – Monsieur Zelinsky - est un type antipathique au possible qui veille au grain.

Jamais à court d’idées, les trois pieds nickelés demandent d’abord l’aide d’un jeune homme qui leur propose d’acheter plusieurs exemplaires pour les revendre à prix d’or à d’autres jeunes comme eux. Trouvant l’idée excellente, les voilà qui lui confient une bonne vingtaine de dollars. Aussitôt confiés, aussitôt perdus car le jeune homme si souriant a vite vu à quel genre de naïfs il avait affaire… !

S’ensuit une série de tentatives toutes aussi infructueuses et désopilantes les unes que les autres jusqu’à ce que Billy rencontre Mary, la fille de Zelinsky, qui a leur âge.
Elle est grosse, certes, mais elle a de l’humour et surtout, surtout, c’est un vrai génie de l’informatique. Billy est tout de suite séduit, sans l’admettre devant ses deux copains qui le chambrent déjà assez comme ça. Mais Mary lui a fait une proposition à laquelle il n’osait même pas rêver : s’associer pour le concours des meilleurs jeunes programmeurs. Il faut présenter un jeu et le grand Fletcher Mulligan, créateur de Digital Artist, fera partie du jury et achètera le programme vainqueur. Juste le début de la gloire, quoi.

Justement, Billy a commencé à en créer un, qu’il montre à Mary. Elle est emballée par son idée qu’il faut améliorer pour que le jeu soit plus réaliste et plus rapide.

Voyant que Billy est ami avec Mary, Alf et Clarke ont une idée : s’il réussit à la séduire, il peut l’amener à lui filer le code de l’alarme du magasin et alors là, se procurer tous les Playboys et même tous les magazines de cul sur l’étagère du haut devient possible ! Plaisirs et fortune sont à portée de main, si seulement Billy veut bien y mettre du sien pour emballer la grosse Mary.
D’abord complètement paniqué par l’idée, Billy finit par accepter et joue double-jeu : il va faire croire à ses copains qu’il amène Mary à lui révéler les codes alors qu’il va travailler d’arrache-pied avec elle sur le jeu qu’il a conçu : la Forteresse impossible.

Tous les jours, jusqu’à 19 heures, les deux ados consacrent des heures à améliorer le jeu, de manière à être prêts à temps pour le concours qui peut changer leur vie. Petit à petit, Billy s’éprend de Mary, si drôle, pétillante autant que très très calée en programmation, et il semble qu’elle aussi. Les heures passées à travailler tissent leur complicité et les rapprochent, bien sûr. Et il la trouve très jolie, même si elle est un peu grosse. Il finit même par se faire apprécier de son père, pourtant bourru et peu affable, surtout depuis que sa femme a été emportée par la maladie, lui laissant en guise d’adieu une compilation de chansons sur une cassette – ça va, les plus jeunes, on cesse de ricaner - qu’il passe en boucle dans son magasin. Mary aussi a un secret, terrible, énorme, inimaginable.

En attendant, Clark et Alf mettent sur pied le plan le plus dingue qu’on puisse imaginer pour dérober le magazine Playboy, un plan dément qui ne peut qu’avoir germé dans la cervelle en surrégime d’Alf… et qui va rapporter un max de blé, ils en sont sûrs.

Un roman désopilant, le trio des garçons est à la fois attendrissant – grands benêts pleins d’imagination et de fantaisie absolument obnubilés par les filles, terra femina incognita objet de fantasmes et de vantardises pubères – et complètement foudingue, les solutions les pires étant communément acceptées avec enthousiasme, entraînant immanquablement les ados vers une chute qu’ils reçoivent avec philosophie.

Comment faire du vol de quelques Playboys une aventure digne de Ocean 12 ! Avec des ados mal dans leur peau plutôt que des Clooney...

Pour les plus anciens d’entre nous – oui, OK, pas toi, ni toi, ni toi ? Tu es sûr ?- l’évocation des années 80 est à la fois jouissive et nostalgique, adolescence fébrile et foutraque, premiers jeux électroniques, la vie juste avant internet et les smartphones, libération des mœurs et des réseaux sociaux à venir… pas encore de porno sur youtube, juste des filles toutes nues qui prennent des poses sexy.

Roman joyeux, optimiste – sans mièvrerie aucune - avec une bonne dose d’amitié sincère, des amours débutantes et le regard bienveillant des autres qui donne des ailes.


Musique !

Outre la sélection ci-dessous, vous pourrez croiser dans ce roman : Joe Cocker, Phil Collins - Invisible Touch, Iron Maiden, Megadeth.

Willie Nelson - Midnight Rider

Phil Collins - No Jacket required

Kenny Loggins - Danger Zone

Van Halen - Jump

Hall and Oates - You make my dreams come true

Metallica - Kill Em All


LA FORTERESSE IMPOSSIBLE - Jason Rekulak – Éditions Actes Sud - 368 p. octobre 2017
Traduit de l’anglais EU par Héloïse Esquié

photo : Commodore 64 - Wikipédia

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