Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LA GESTAPO SADORSKI de Romain Slocombe

Chronique Livre : LA GESTAPO SADORSKI de Romain Slocombe sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

Le pire des salauds, le meilleur des enquêteurs.

Paris, octobre 1943. Un important dignitaire nazi, le colonel SS Julius Ritter, a été assassiné en sortant de chez lui, près du Trocadéro. La Gestapo est sur les dents. Elle convoque l’inspecteur principal adjoint Sadorski pour lui confier la direction d’une petite unité de policiers français gestapistes chargée de traquer les « terroristes » juifs FTP-MOI. Sadorski caresse l’espoir de gagner de l’avancement en effectuant un brillant coup de filet.

Joignant l’utile à l’agréable, il cache dans son appartement la jeune Juive Julie Odwak, qu’il a mise enceinte. La situation est des plus scabreuses : sa femme Yvette, qui ignore la véritable identité du père, doit simuler pour elle-même une grossesse afin d’éviter la curiosité des voisins lorsque l’enfant naîtra…

Les choses ne se passeront pas exactement comme Sadorski l’avait prévu.

Ce sera bien pire.


L’extrait

« Sadorski emprunte l’escalier F et monte au deuxième étage de l’aile nord. Le téléphone sonne derrière la porte de son bureau, pièce 516. Il se dépêche d’entrer, soulève le combiné, attrapant la communication de justesse :
- Allô ?
- Je parle à monsieur le brigadier-chef Sadorski ?
Essoufflé, il riposte d’un ton bourru.
- Vous lui parlez.
La voix au bout du fil est celle d’un homme mûr. Et d’un collègue :
- Inspecteur Pinson, commissariat de la Porte Dauphine. Pardon de vous déranger, monsieur le brigadier-chef. Nous avons ici une jeune fille qui prétend vous connaître.
- Une jeune fille ?
Le flic de quartier émet un gloussement.
- À peine dix-huit ans au compteur. Lycéenne. Et du genre comme il faut. On est un peu embêtés, le cas semble sérieux et le taulier devrait normalement la refiler aux AO*. Parce que ça les concerne. Mais... si c’était ma propre fille, elle récolterait d’abord une bonne fessée, à ne plus pouvoir s’asseoir pendant quinze jours ! Entre nous, monsieur le brigadier-chef, ça ne vaut guère plus. Alors, vous la connaissez ou non ?
- Vous ne m’avez pas dit comment elle s’appelle.
- Pardon. Perret Jacqueline. Domiciliée 28, avenue d’Eylau dans le seizième.
Sadorski a un mouvement de surprise. Il ne réfléchit que trois secondes. Et écrase sa gauloise dans le cendrier.
- Envoyez-la moi à la PP**.
- C’est que... le patron a déjà préparé un rapport de mise à disposition pour la Feldgendarmerie...
- La Felgendarmerie attendra. Dites à votre commissaire que j’ai l’oreille des Boches et que c’est moi qui décide de leur adresser la prévenue ou pas. Je vous rassure, vous êtes couvert par la direction des RG. Et le cas échéant nous avons une antenne de la Sipo-SD*** ici à la caserne. Foutez donc cette mademoiselle Perret dans un panier à salade et expédiez-la fissa à la préfecture, inspecteur Pinson. Avec le rapport et le PV s’il y a lieu. Et faites gaffe, ses vieux possèdent des relations bien placées chez les Fritz ! Traitez-la avec douceur - ça veut dire une plaire de claques, au grand maximum si elle fait sa mauvaise tête. Mon bureau est le 516, aile nord de la caserne, 3e section de la direction des Renseignements généraux et des Jeux. Merci d’avoir appelé, inspecteur, vous avez bien fait. » (p. 37-38)

*Autorités d’occupation
** Préfecture de police
***englobe la Gestapo et la police criminelle allemande (d'après les notes de l'auteur)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Léon Sadorski semble coller aux basques de Romain Slocombe, c’est un as de la « filoche », puisque, en cette rentrée littéraire, la Trilogie des collabos se transforme en tétralogie avec ce nouveau volume des aventures de l’immonde inspecteur principal adjoint (IPA). Malgré l’ignominie du bonhomme, c’est un plaisir de retrouver tous les personnages que nous suivons depuis L’Affaire Léon Sadorski, accompagnés de quelques-uns apparus dans La Débâcle.

À l’automne 1943, les temps ne sont pas aux réjouissances pour les flics français ayant rejoint les nazis. L’attentat couronné de succès contre le colonel SS Julius Ritter a mis tout le personnel de la Gestapo sur les dents, et en rage, et la pression sur les collabos monte en flèche. Ainsi que la répression contre la population avec les fusillades de masse d’otages. Le front de l’est, ce n’est plus un secret pour personne malgré les dénégations de la propagande, s’effondre, le débarquement des troupes anglo-américaines ne saurait tarder. La lente et meurtrière agonie du régime hitlérien semble plus qu’entamée.

La grossesse de Julie se poursuit, l’adolescente juive, que Léon héberge après l’avoir mis enceinte, entame son sixième mois, et la cohabitation avec Yvette, l’épouse du flic, se passe à merveille, si ce n’est que celle-ci, qui n’est pas au courant que son mari est le père, doit se déguiser avec des coussins à chaque sortie afin de pouvoir expliquer plus tard la présence du bébé. Sans parler du danger que représente la Gestapo pour toute la maisonnée.

Ce matin-là, l’IPA s’apprête à partir au travail lorsqu’on sonne à la porte de son appartement. Une visite aussi matinale est tout à fait inhabituelle et irrite au plus haut point Léon. L’intrus, un de ses indics, un Juif polonais nommé Leizer Migdal, a eu l’audace de venir chez son « protecteur » lui faire part de ses craintes d’être la cible prochaine d’un attentat, une exécution qui sera perpétrée par les résistants FTP-MOI. Un groupe dépendant de la résistance communiste des Francs-tireurs et partisans, section Main d’œuvre Immigrée. On compte dans leur rang des combattants des Brigades internationales revenus d’Espagne, des Juifs de l’est de l’Europe, des Roumains, des Hongrois, des Tchèques, mais aussi des Italiens ayant échappé aux tueurs fascistes de Mussolini. Ces résistants courageux et audacieux inquiètent au plus haut point les Allemands, ainsi que les collabos qui se sentent de moins en moins en sécurité...

Sadorski éconduit dans un premier temps l’importun, avant de penser qu’il serait peut-être judicieux, au cas où Migdal aurait vu juste, de tendre un piège aux « terroristes ». Plan qu’il va s’empresser de proposer à ses supérieurs. L’entrevue avec le commissaire Tissot ne se passe pas au mieux, celui-ci soupçonne son subordonné, en s’appuyant sur l’avis des policiers de la Crim’, de plusieurs forfaits graves, mais la popularité de Sadorski chez les gestapistes empêche Tissot de creuser plus avant et de mettre Léon en garde à vue. Cette popularité se confirme lorsque que, quelques heures plus tard, Sadorski se voit confier la tête d’une nouvelle brigade par les responsables de la Gestapo à Paris. Une unité mixte de policiers français et nazis, chargée d’enquêter sur des femmes parlant allemand et fréquentant des soldats de la Wehrmacht afin d’en tirer des renseignements ou d’en faire des résistants communistes. Pour Léon, il est évident que ces jeunes femmes appartiennent aux FTP-MOI, il pourra donc faire d’une pierre deux coups en surveillant son indic...

Rien ne va se passer comme prévu, évidemment puisque Léon va devoir faire libérer Jacqueline Perret, une amie de Julie, dont il a tué le frère aîné. La jeune fille a contrefait des ausweis et risque sa vie pour cette bêtise bénigne. Là encore, Léon va faire preuve d’une magnanimité intéressée, puisqu’il compte bien parvenir à séduire la très jolie Jacqueline qui ressemble à Micheline Presle...

La confiance de la Gestapo, puis la reconnaissance que lui voue Jacqueline, sont pour le « caïd du rayon juif » deux formidables coups de chance, qui vont le pousser à faire montre d’une assurance fort dangereuse par ces temps troublés. Sadorski se met en chasse du réseau FTP-MOI, des jeunes femmes corrompant les soldats du Reich et engage une vaste entreprise de manipulation envers Jacqueline Perret et sa très riche famille - son père est producteur de film. L’inspecteur déborde d’activité, multiplie les rendez-vous, les planques, les filatures, les perquisitions, sans oublier Yvette qui aime aller au cinéma et Julie. Une vraie vie de fou, une sorte de fuite en avant éperdue au risque de se mélanger les pinceaux entre tous ses mensonges et ses légendes.

Une nouvelle fois, Romain Slocombe éblouit par sa connaissance encyclopédique de cette période de l’histoire, son roman colle au plus près à la réalité, aux faits tels qu’ils ont été établis par les historiens et témoins, sans négliger la trame policière et son agitation permanente. L’atmosphère du récit se tend de chapitre en chapitre, le suspense se fait plus prégnant, les psychopathes représentant la loi et l’ordre, à la préfecture ou dans l’antre de la Gestapo, font régner la terreur avec un sadisme assumé, tandis que Léon, ménage chèvre et chou en jouant sur tous les tableaux. En sa compagnie, on fréquente Mireille Balin, la star française du moment, la haute bourgeoisie, mais aussi les loges de concierge ou les immeubles et cafés populaires, on visite les caves d’interrogatoire de la Gestapo et les bureaux de tortures de la police française. Le lecteur vit à l’heure de l’Occupation, se promène dans Paris à l’heure des restrictions, du « café national », à base de pois chiche grillé, des tickets d’alimentation ou de textile. Toujours aussi complexe, le personnage de Sadorski ne se laisse pas attraper aisément, on découvre encore dans ce nouveau volume de ses enquêtes des aspects de sa jeunesse pouvant expliquer sa psychologie. Certes le policier est infect, ignoble, l’homme, parfois, ferait - presque - pitié, s’il ne s’arrangeait pour gâcher systématiquement tout bon point à son actif par une ignominie.

En immersion totale dans le Paris de l’Occupation et de la collaboration, celui de 1943, des résistants FTP-MOI, du début de la fin pour les nazis, dans un formidable roman noir, très documenté, édifiant et passionnant !


Notice bio

Romain Slocombe est né en 1953 dans une famille franco-britannique. Il est l'auteur d'une vingtaine de romans, dont Monsieur le Commandant (Nil, collection Les Affranchis), sélectionné pour le Goncourt et le Goncourt des Lycéens 2011, comme l'a été L'affaire Léon Sadorski paru aux éditions Robert Laffont, dans la collection La Bête Noire (août 2016), premier tome de la « trilogie des collabos », ayant pour personnage principal l'inspecteur principal adjoint Léon Sadorski, responsable du « rayon juif » des Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris. Succès confirmé avec le deuxième opus, L'étoile jaune de l'inspecteur Sadorski (août 2017), puis Sadorski et l'ange du péché (août 2018), même éditeur, même collection. En 2019, Romain Slocombe publie un roman, La Débâcle, aux éditions Robert Laffont.


La musique du livre

Outre la sélection ci-dessous, sont évoqués : Édith Piaf, Mireille Balin interprétant la chanson du film La Femme que j’ai le plus aimé pour Yvette Sadorski, Alibert, quelques chants nazis...

Rina Ketty - Nuits Sans Toi

Suzy Solidor - Escale

Maurice Chevalier - Ma Pomme -Paris, je t’aime

Marlene Dietrich - Lili Marleen

Tino Rossi - Catari


LA GESTAPO SADORSKI - Romain Slocombe - Éditions Robert Laffont - collection La Bête Noire - 585 p. octobre 2020

photo : Mireille Balin et Fosco Giachetti dans Les Cadets de l'Alcazar (1940) - Wikipédia

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