Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LA LÉGENDE DE SANTIAGO de Boris Quercia

Chronique Livre : LA LÉGENDE DE SANTIAGO de Boris Quercia sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

Rien ne va plus pour Santiago Quiñones, flic à Santiago du Chili. Sa fiancée Marina ne l’aime plus, ses collègues policiers le méprisent, et il est rongé par la culpabilité depuis qu’il a aidé son beau-père, gravement malade, à mourir.

Aussi, quand il tombe sur le cadavre d’un trafiquant dans un resto chinois, son premier réflexe est d’empocher la demi-livre de cocaïne pure qu’il trouve également sur les lieux. Un coup de pouce bienvenu pour traverser cette mauvaise passe, d’autant qu’on vient de lui confier une enquête sensible sur des meurtres racistes… Mais ce faux pas ne va pas tarder à le rattraper.


L'extrait

« Il veut vraiment me dire quelque chose mais je ne comprends pas. Je m 'approche encore un peu, retenant ma respiration pour éviter les relents aigres de son haleine, perceptibles à deux mètres. J'écoute ses balbutiements et j'essaye de déchiffrer cette langue bizarre qu'il parle depuis son infarctus cérébral.
Il semble dire « Sauve-moi » ou « Porte-moi » et si je deviens paranoïaque, en fait, il pourrait dire « Tue-moi ». Je me rassois, impossible de déchiffrer ce qu'il dit. Il continue à me regarder avec ses yeux exorbités, approche un doigt de sa gorge et le passe sur sa pomme d'Adam. Il le fait plusieurs fois de suite. Est-ce qu'il me demande de l'égorger ?
« Ça va, don Armando ? »
Je me rends compte tout de suite que ma question est stupide. Il ferme les yeux comme si l'effort de communication l'avait épuisé. Puis il ne bouge plus. Moi, je ne respire même pas. L'espace d'une seconde, j'ai l'impression qu'il est mort. Mais il rouvre les yeux avec ce même regard désespéré. Alors pour la première fois, je me dis que ce n'est pas par la force de sa volonté que le monsieur continue à vivre, mais que c'est plutôt un châtiment. Qui voudrait d'une existence pareille ? Peut-être que ce qu'il veut, c'est mourir, et que son état est une sorte de torture pour lui. Une énorme larme commence à se former dans un de ses yeux, comme pour me donner raison. Il approche son doigt de son oreille et la tapote plusieurs fois de suite. Je me rapproche de lui, sans respirer, et il me parle encore dans sa langue de moribond.
Il me demande vraiment de le tuer ? » (p. 10-11)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Ça n'aurait pas dû se passer ainsi, pas du tout. Au départ, l'inspecteur Santiago Quiñones n'était là que pour garder son beau-père grabataire, le temps que sa mère puisse sortir. Rien de plus. Mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut dans l'existence et Santiago n'était pas au mieux de sa forme. Le boulot, c'est pas top, ses collègues ont une sale image de lui qu'il ne fait rien pour arranger, et Marina, avec qui il vit, ne l'aime plus. Alors oui, il pense un peu que la vie, c'est nul, et qu'elle doit être encore pire pour celui qu'il appelle « le monsieur », le vieux pingre, victime d'un AVC, marié avec sa mère. Elle se ruine en soins pour le maintenir en vie, lui ne profite plus de rien. Autant pour elle que pour le monsieur, Quiñones aide le vieil homme à mourir. Il ne ressent pourtant pas la satisfaction d'avoir accompli une bonne action, lui qui avait décidé de ne plus tuer, aussi bien dans son travail qu'en dehors...

Jamais non plus, il n'aurait dû croiser « le petit boiteux », un toxico connu de son service, sortant du restaurant chinois connu pour être un lieu de deal. Mais il l'a croisé et emmené dans l'échoppe où il a découvert le cuisinier assassiné. Au lieu d'appeler ses collègues en renfort, il congédie le boiteux qui n'est pour rien dans ce crime et s'empare d'une demi-livre de cocaïne qui traînait là. Pourtant il s'était juré de ne plus y toucher, de ne pas retomber dans l'alcool et la dope, ça faisait un moment qu'il tenait le coup...

Tout n'est pas noir, Marina couche encore avec lui, juste pour satisfaire « un besoin » précise-t-elle, et il a une maîtresse de longue date qui se propose de le consoler de la perte de sa fiancée. Mais tout de même, l'euthanasie du vieux lui a mis un coup qu'il peine à digérer, et son coéquipier au sein des forces de l'ordre, Garcia, est au courant qu'il est entré dans le boui-boui chinois sans rien faire de ce qu'aurait dû faire un policier. Il le tient et Santiago n'aime pas du tout cela pour plusieurs raisons, entre autres parce qu'il est un franc-tireur et ne travaille bien que seul, en-dehors de la procédure, le nez chargé à bloc de coke.

Le propriétaire des deux cent cinquante grammes de came va, bien entendu, lancer des tueurs au trousses de son voleur, chargé d'enquêter sur un groupe d'extrême-droite multipliant les meurtres d'immigrés dans un des quartiers les plus pauvres de Santiago du Chili. Quiñones est mal parti, comme à son habitude, il a le monde contre lui, est défoncé jour et nuit et toutes ses bonnes intentions se transforment plus ou moins en désastres, par manque de chance parfois, par manque de lucidité souvent. Pourtant il est obstiné, courageux comme le sont les inconscients. Dans l'action, il existe toujours une part de lui-même qui n'est jamais là, tant il est occupé à une introspection intensive dont les conclusions n'améliorent pas son moral.

Santiago est un archétype de l'anti-héros, un flic au respect très limité de la loi, doté d'une éthique toute personnelle, pas forcément mauvaise d'ailleurs mais non conventionnelle, le conduisant à des excès désastreux. Réparer les dégâts de ses mauvaises habitudes occupent une bonne part de sa vie. Par contre, comme policier, il a du flair et l'intelligence du terrain, il ne renonce jamais, son dopage personnel lui permettant de tenir le rythme avec un strict minimum de sommeil.

L'écriture de Boris Quercia est à l'instar de son flic en perpétuel mouvement, la poudre stimule ses lignes et son personnage sans cesse agité. Le lecteur est dans la tête de Santiago, partage sa parano, ses coups de blues, ses exaltations, sa trouille lorsqu'il ne peut plus faire un pas sans imaginer un porte-flingue du Chinois derrière lui, sa rage contre les fachos empoisonnant les pauvres, ses désirs de justice expéditive proches du lynchage, l'urgence d'un rail supplémentaire lorsque la tension est trop forte ou la fatigue prégnante. Il est comme ça, Santiago, direct, sans filtre, et, en même temps, torturé par une foule de pensées parasites. Il agit mal mais s'en veut, ce qui ne l'empêche pas de recommencer. L'atmosphère du roman est lourde, oppressante, elle colle à la peau du personnage qui n'a pas une minute de repos, un type qui baigne dans la mort, habité par un fantastique appétit de vie.

Santiago Quiñones est sans doute un des flics les plus vrais du polar actuel, certes traversé de contradictions insolubles, mais profondément humain, un type perdu dans une société sans règles chargé d'appliquer des lois auxquelles plus personne ne se soumet...


Notice bio

Boris Quercia est né à Santiago du Chili. Il est connu dans son pays en tant que cinéaste aux multiples facettes : acteur, réalisateur, scénariste, producteur… Il travaille sur une série télévisée très populaire au Chili, Los 80. Mais son jardin secret est l’écriture de polars. Les Rues de Santiago, son premier livre, est paru chez Asphalte début 2014 et met en scène le flic Santiago Quiñones. On retrouve ce dernier dans son roman suivant, Tant de chiens, qui a remporté le Grand Prix de littérature policière 2016


La musique du livre

Mon Laferte - Malagradecido

Calle 13 – Latinoamérica

Violeta Parra - Maldigo del Alto Cielo

Carlos Cabezas - Has Sabido Sufrir

Bajofondo feat. Juan Subira – Hoy

Chavela Vargas - Las Simples Cosas


LA LÉGENDE DE SANTIAGO – Boris Quercia – Asphalte Éditions – 250 p. octobre 2018
Traduit de l'espagnol (Chili) par Isabel Siklodi

photo : Santiago du Chili - Pixabay

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