Chronique Livre :
LA PESTE SOIT DES MANGEURS DE VIANDE de Frédéric Paulin

Publié par Psycho-Pat le 08/11/2017
Le pitch
Un policier est retrouvé égorgé dans un abattoir. Sur sa poitrine, un post-it sur lequel on peut lire : "Peuvent-ils souffrir ?".
Etienne Barzac de l'IGPN, la police des polices, découvre que le fonctionnaire assassiné à un passé complexe. Il part sur ses traces en compagnie du lieutenant Salima Belloumi. Un groupe de défenseurs des animaux est rapidement mis en cause et un engrenage de violence s'enclenche.
Pourquoi des jeunes gens ont décidé de devenir des militants extrémistes de la cause animale ? Ont-ils accepté de tuer des hommes pour sauver des bêtes ? Et que se passe-t-il réellement dans ces abattoirs d'où commencent à sortir des vidéos effrayantes qui circulent sur les réseaux sociaux ?
L’extrait
« Il y a d’abord l’odeur.
C’est une odeur écoeurante, âcre, qui oblige à ne plus respirer que par la bouche et qui rappelle en permanence ce qui se passe derrière les murs gris. Une odeur de viande. Une odeur de mort. Parce que derrière ces murs gris, des milliers de bovins sont mis à mort, désossés, découpés et finalement conditionnés pour être vendus dans la grande distribution, chaque jour. Vingt mille tonnes de viande sortent chaque année de l’abattoir.
Cette année, il y aura quatre-vingt kilos de plus.
Oui, le capitaine Pierre Luchaire devait peser quatre-vingt kilos.
Juste avant qu’on ne l’égorge.
Luchaire est comme en génuflexion. Sauf que ses mains sont liées derrière son dos. Il est donc à genoux. Sa tête est inclinée sur le côté gauche, un sillon rouge barre son cou de la pomme d’Adam à l’artère carotide droite. Le sang a imprégné sa chemise blanche sur tout le flanc et une flaque rouge, déjà solidifiée, tache le bitume sous lui. Le corps se débarrasse fréquemment de l’urine et des excréments lorsque la vie le quitte.
Des gendarmes er des flics de la PJ observent le cadavre en silence. C’est l’un des leurs qui vient d’être tué. Et là, il s’agit d’une exécution, d’une mise en scène même. » (p.11-12)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Un flic à la réputation sulfureuse égorgé dans un abattoir des Hauts-de-France, son cadavre mis en scène, un post-it sur le torse renvoyant aux groupes activistes de la cause animale les plus radicaux, voilà la scène inaugurale du roman. Pierre Luchaire, la victime, était un bon flic, mais ça c’était avant. Quand il officiait à la Crim’, solitaire, taciturne mais faisant du bon boulot. Il a inexplicablement demandé sa mutation deux ans auparavant à la DDIPP, service peu glorieux, considéré comme un placard, s’occupant des élevages et de sécurité sanitaire alimentaire. Le contraire d’une promotion ou d’un plan de carrière.
L’IGPN est chargée de l’enquête, la police des police, et c’est Étienne Barzac qui hérite du dossier.
Barzac, c’est cinquante-cinq ans d’obstination, de respect des règles et de sérieux dans ses investigations. Il ne lâche jamais un flic pourri, comme ce Bauer qu’il traque depuis des années et qui est assez malin pour lui échapper par manque de preuve. Il ne renonce pas pour autant. Il embarque la jeune lieutenant Salima Belloumi avec lui en Bretagne, autant pour avoir une assistante que pour lui permettre de ne pas rentrer chez elle et d’y retrouver son mari violent. Luchaire s’est fait remarqué à plusieurs reprises lors d’affrontements sur le site de l’entreprise GAD - là où Macron, alors ministre, s’était déjà illustré par son mépris pour les “illettrés” - ou dans la Sarthe et différents endroits que son travail à la DDIPP ne pouvaient justifier mais où un groupe radical, La mort est dans le pré, tentait à chaque fois de perpétrer des actions spectaculaires. À chaque fois également, à proximité de Luchaire, la présence d’une jeune femme, Gwenaëlle est signalée, à croire que le flic faisait partie de sa mouvance ou la protégeait pour quelque obscure raison.
Le groupuscule auquel appartient Gwenaëlle est dirigé par un guérillero, Dam, persuadé que seule la violence peut répondre à la violence. Formé dans les manifs altermondialistes comme celle de Gênes qui avait vu des manifestants pacifiques se faire massacrés par des policiers. Dam y a rencontré et fréquenté les Black Bloc, s’est inspiré des militants extrémistes anglais de la cause animale pour se radicaliser encore plus avant de fonder son propre commando qu’il veut amener à commettre des actions spectaculaires contre les industriels de l’agro-alimentaire. Charismatique, dogmatique, il s’est peu à peu enfermé dans une logique paranoïaque le conduisant à envisager des actions terroristes contre élevages et abattoirs. Reprenant les vieilles tactiques de l’ultra-gauche des années soixante-dix, il monte une opération d’infiltration de l’abattoir industriel de Lampaul-Guimiliau en postulant à des emplois temporaires. Cet “entrisme” permet à Frédéric Paulin de nous faire une visite particulièrement gratinée des pratiques dans les abattoirs industriels et de la misère des salariés qui y travaillent.
Une fois l’histoire en place, chacun des protagonistes de l’intrigue ayant donné lieu à la mise à mort de Pierre Luchaire va donner son point de vue dans la second partie. À travers la multiplicité de ces témoignages, la vérité va peu à peu apparaître, les vérités plutôt d’ailleurs, parce qu’ils ont tous la leur, toutes aussi valables, toutes aussi percutantes.
C’est peu dire que l’envie passe de se faire un petit filet mignon à la moutarde après avoir lu La peste soit des mangeurs de viande. Comment ne pas ressentir un minimum d’empathie pour les malheureux cochons envoyés au massacre dans des conditions effarantes de brutalité ? La faute aux cadences, aux obligations de rendement demandées aux ouvriers, le pistolet de la délocalisation braqué en permanence sur la tempe afin de leur faire accepter l’inacceptable. Gazage, étripage, découpage, jour après jour, heure après heure, de quoi devenir fou, de quoi se déconnecter totalement.
Un thème qui n’est pas sans évoquer le magnifique Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers (Asphalte 2017), plus centré sur la condition ouvrière, La peste soit des mangeurs de viande dresse un tableau bien sombre de toutes les violences qui parcourent notre société, pas simplement la cruauté envers les animaux. Ce roman est militant, documenté, très intéressant par la diversité des prismes par lesquels est racontée l’histoire. Il y a un vrai méchant que je vous laisse découvrir, mais c’est tout notre mode de consommation et de production qui sont, à l’évidence, à revoir pour tenter d’atténuer ce déferlement de brutalités.
Un excellent polar qui décortique en totalité l’enquête, la présentant sous un angle totalement novateur. Frédéric Paulin propose une déconstruction habile du mystère initial en toutes ses composantes essentielles qui permet d’entendre tous les protagonistes en gardant une part de suspense, évidemment, jusqu’au dernier chapitre.
Notice bio
Frédéric Paulin est l'auteur de plusieurs romans noirs historiques et de polars mélangeant critique sociale et chronique policière. Il vit en Bretagne.
La musique du livre
The Smith - Meat is Murder
Bobby Womack - Across 110th Street
Otis Redding - (Sittin’On) The Dock of the Bay
Prodigy - Smack my Bitch Up
Guns N’Roses - Knockin On Heaven’s Door
LA PESTE SOIT DES MANGEURS DE VIANDE - Frédéric Paulin - La Manufacture de Livres - 332 p. septembre 2017
photo : Pixabay