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Chronique Livre :
La saga des brouillards de Patrick Pécherot

Chronique Livre : La saga des brouillards de Patrick Pécherot sur Quatre Sans Quatre

photographie : les ruines de Guernica (Wikipédia)

L'extrait

« La guerre. Je n'étais qu'un mouflet, mais j'en avais tant vu de ces pauvres bougres, esquintés, amputés. Des milliers de bricolés, harnachés d'atelles, de crochets, de pilons. Des gueules cassées qui vous glaçaient le sang et de pauvres tubars qui crachaient leurs poumons rongés par l'ypérite.
Huit ans après, on essayait toujours d'oublier, à coups de confettis et de yop la boum ! Rien à faire. Le plus cul-terreux des villages avait son monument aux morts. Obscène. Dégueulasse comme les charniers, les tranchées refermées sur les cadavres et les agonisants. De partout, la terre puait la charogne. Quelle connerie ! » (Les brouillards de la Butte)


Le pitch

La saga des brouillards est une trilogie, trois bouquins pour à peine le prix d'un, c'est une excellente surprise ! À travers trois enquêtes, se déroulant de 1926 à 1942, le lecteur suit les aventures de Pipette, petit voleur anarchiste devenu, au fil du temps, Nestor, détective privé (mais toujours anar) à l'agence Bohman dans le Paris populaire et les convulsions de l'histoire.

Trois romans, trois époques, trois ambiances :

- Les brouillards de la Butte : 1926, la fin de la conspiration d'extrême droite de la Cagoule, les magouilles du patronats, des états français et allemands pour préserver les intérêts capitaliste sur le dos des combattants des deux bords. Pipette, un poète moyennement doué, fait son numéro à La Vache Enragée entre deux fric-fracs. Il va tomber avec ses amis anars sur un coffre-fort bien garni mais pas comme ils le souhaitaient...

- Belleville-Barcelone : 1938. Le Front Populaire agonise en France, les actes antisémites fleurissent. La guerre civile espagnole est pratiquement perdue pour les républicains. Les armes manquent aux colonnes anarchistes et socialistes, staliniens et trotskystes se livrent une guerre sans merci à Barcelone. Pipette devenu Nestor enquêteur pour l'agence Bohman, va devoir rechercher une jeune fille et tombera sur un bien étrange mic-mac...

- Boulevard des branques : 1940 – Paris, la France est vaincue, l'exode a poussé sur les routes des millions de gens. Les hôpitaux psychiatriques transfèrent leurs patients et l'un d'entre eux est porteur d'un message destiné à Nestor. L'or espagnol, l'euthanasie des malades mentaux, la pagaille ambiante, Nestor ne chomera pas non plus dans cet épisode...


L'avis de Quatre Sans Quatre

Ces trois romans ont réellement des gueules d'atmosphère ! Je me suis trouvé plongé dans un carton plein d'images sépias ou de photos aux bords dentelés. Des photos poussiéreuses, génératrices de nostalgie à haute dose. des vues réalistes et bienveillantes du populo, des bignoles, des apaches remballant leur eustache sous la table, des ruelles sordides puant l'urine, des crieurs de journaux, des titis, morve au nez et d'un peuple solidaire malgré son lot de salopards, Pécherot n'est jamais idyllique.

Un bon gros clin d'oeil à Léo Malet, celui de Brouillard au pont de Tolbiac ou 120, rue de la gare, certes, mais rien de trop. L'allusion et l'hommage sont là sans dévorer la saga. Pipette a sa vie à lui, ses amis, ses rencontres et pas n'importe lesquelles : André Breton, Antonin Artaud, La Goulue, Fréhel, Gabin, Jean Moulin et tant d'autres. Surréalisme, poésie, théâtre, cinéma, littérature, musique, un panorama culturel intégral...

Nestor respire et vit l'époque, animé par la superbe langue et le style impeccable de l'auteur. Un argot savamment choisi, une écriture qui coule de source, le lecteur est instantanément immergé dans les loges des concierges, les chambres mal chauffées et les passages obscurs d'un Paris disparu. Ce n'est pas tant les intrigues qui comptent, même si elles sont passionnantes, que l'ambiance. L'occasion de revisiter ces temps pas si anciens où la finance était l'ennemie, la solidarité la moindre des choses entre ceux qui n'ont rien à partager que la rage et l'espoir d'un petit mieux qui tarde tant.

Cette Saga des brouillards est une histoire sanglante, rouge comme le sang du peuple, noir comme le drapeau qui flotte dans les yeux des héros. Une histoire dans l'Histoire, la vie des gens dont on ne parle pas, des anonymes qui partaient se battre en Espagne pour garder la liberté.

Un polar qui colle à la peau, une superbe idée de cadeau !


Notice bio

Patrick Pécherot est né à Courbevoie en 1953. Il exerça plusieurs métiers dans le secteur de la protection sociale. Un temps proche des milieux libertaires et pacifiste, il s'engage ensuite dans le combat syndical à la CFDT et devient rédacteur en chef de Syndical Hebdo. Il est scénariste de bande dessiné (Des méduses dans la tête, Vague à l'âme), auteur de nouvelles et de livres pour la jeunesse en plus, bien sûr, d'être l'auteur de six romans policiers.


La musique du livre

Il y en a à foison, de l'accordéon, de la chanson réaliste, des dizaines de titres et de références sans compter les musiques de films. L'immense Fréhel, présente plusieurs fois dans la saga, avec C'est un mâle, Gus Viseur et Fausse Monnaie ensuite, plusieurs fois cité également et même personnage du livre ainsi que Jo Privat. Bébert le monte en l'air de Andrex qui se chante pendant l'occupation et on termine par Léo Ferré et Les Anarchistes parce que "et des armes rouillées pour ne pas oublier"...

La saga des brouillards – Patrick Pécherot – Folio policier – 669 p. septembre 2014

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