Chronique Livre :
LA VALLÉE DES OMBRES de Xavier-Marie Bonnot

Publié par Psycho-Pat le 03/11/2016
Photo : parachutage de la Légion étrangère (Wikipédia)
Le pitch
Après vingt ans d'absence, René Vasseur revient dans la vallée perdue qui l'a vu naître, il est là pour assister son père, Roger, ancien responsable de la CGT locale, défenseur acharné des travailleurs de l'aciérie, unique pourvoyeuse d'emploi du coin. Tyran domestique, négociateur obstiné et talentueux, le vieux n'est plus que l'ombre de lui-même, bouffé jusqu'à l'os par un cancer. René n'est plus le garçon craintif et un peu lâche qui a quitté les lieux, il a vécu l'enfer et en est miraculeusement sorti, enfin presque...
Il a fait la guerre dans les troupes d'élite, les parachutistes, de la Légion étrangère. Décoré de la légion d'honneur et de quelques autres babioles à accrocher sur sa poitrine, blessures, pension, un autre monde dont on ne sort pas indemne. Afghanistan, Afrique, ex Yougoslavie, la totale, au plus près des combats, René s'est forgé une autre identité, Vasseur est devenu Leroy, mais rien n'a cicatrisé pour autant. Il a connu le sang et la fureur, mais n'a rien oublié de son ami Brahim, devenu gangster, de Samia, la sœur de celui-ci, son unique et éternel amour, ni de la mort de son frère, Rémy, assassiné lors des grandes grèves de décembre 86. Un meurtre jamais élucidé, une affaire enterrée encore plus vite que le cadavre du jeune militant.
La police locale de l'époque, au main d'un ennemi intime de son père, n'avait pas montré beaucoup de zèle. Elle est désormais dans celles de son fils, harceleur de René lorsqu'ils étaient ensemble en primaire. La vallée a pris la crise de plein fouet, la déglingue sociale dans une friche industrielle, la routine d'un capitalisme rapace qui sait plus dépouiller que construire. Le temps semble s'être figé dans cette région reculée, le temps de la vengeance ou de la justice, le temps de solder les comptes ou, du moins, de le faire...
L'extrait
« Avant de frapper à la porte de ma maison, je m'arrête une dernière fois et pose mon sac sur le trottoir parsemé de mâchefer.
Un mur. L'enceinte des anciens entrepôts de l'aciérie. Le crépi un peu plus lézardé. Le faîte hérissé de tessons et de culs-de-bouteille. Il reste encore une affiche de la dernière campagne municipale et d'autres, plus anciennes, que le temps a lacérées. Une plaque blanche émaillée porte le nom de mon frère. Une inscription :
Rémy Vasseur, 18 ans
Assassiné lors des grèves de décembre 1986
Je ressens le besoin de caresser le mur. L'énorme tuyau qui sortait de l'usine a été enlevé. Il a dû être refondu. Plus loin, l'endroit où se rangeaient les camions chargés de minerai sert aujourd'hui de parking.
Je revois Rémy, mon cadet, jeté à terre. Dans ma tête tout est confus. Ses traits sont devenus flous.
Après sa mort, j'ai rompu les amarres. Je suis devenu un type redoutable. Les unités d'élites de la Légion étrangère m'ont transformé. J'ai souffert, j'ai saigné. J'ai tué. J'en avais besoin. Je suis descendu au fond de la vie. Tout au bout des remords. Mais mon ombre est toujours là, ma fausse identité. Aucune guerre, aucun combat ne l'a estompée. Je n'ai jamais su vraiment qui j'étais.
Tout peut changer sauf vous-même. Sauf votre passé. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
« La vie ça use, à faire peur. »
Une génération passe la main dans la vallée de l'Oisan. L'heure des bilans est venue pour les Vasseur et il va être sans concession. La famille habite une région meurtrie par la crise, aux terres en jachère. Les paysans ont été avalés par l'usine qui les a recrachés lorsqu'elle n'en a plus voulu, les laissant aller grossir les rangs des chômeurs à la ville, oubliant derrière eux les maisons de pierre s'érodant lentement au vent qui descend des cimes. Une cuvette propice, un terreau riche pour faire naître et croître des tragédies au long cours s'étalant sur plusieurs générations.
« - J'aime trop la justice pour être honnête. »
Il a pourtant lutté pour la survie de sa vallée, le Roger. Il s'est battu contre les patrons, a cogné sur les nervis fachos venus casser les grèves, a pris soin des ouvriers, mais désormais, son temps est passé et, d'ailleurs, il ne peut plus. La fin est proche, sale, moche, humiliante. Il a perdu un premier fils, Rémy, celui qui lui ressemblait le plus, le Che de l'aciérie, dogmatique et pur, tombé sous les coups d'on ne sait trop qui. Les flics n'étaient pas zélés quand il s'agissait d'affaire comme celle-ci. Il en a perdu un deuxième, René, mais pas pour les mêmes raisons. Celui-la est parti rejoindre la Légion étrangère, les troupes d'élite, au plus près de l'ennemi. Lui n'est pas mort, il ne s'en est pas fallu de beaucoup, là-bas, dans les montagnes afghanes, un centimètre ou deux. Au lieu du linceul, ça a été la légion d'honneur.
« J'ai peur. J'ai toujours eu peur.
C'est peut-être pour cela que je suis dangereux. »
La même que celle remise à titre posthume au grand-père Vasseur, le résistant du maquis de l'Oisan, figure tutélaire de la famille, fusillé par les Allemands. René, le couard, qui, enfant, avait toujours besoin de son copain Brahim pour le défendre contre Lestrade, le fils du gendarme, méchant comme son père et con comme ça devrait être interdit de l'être. Il est parti de chez lui, sensible et frileux, amoureux dingue, il y revient froid comme le marbre des tombes, machine à tuer, prêt à accomplir, peut-être, toutes les vengeances en souffrance.
« On ne rêve et on ne désire jamais assez. »
C'est cet homme, guerrier blessé, désabusé, hanté d'images sordides d'enfants morts inutilement, qui revient aujourd'hui assister son vieux qu'un cancer de l'intestin est en train de bouffer sur pied. Sûrement qu'il y a quelque chose qu'il n'a pas digéré, l'ex syndicaliste. Les événements anciens ont continué de pourrir lentement, gangréner les âmes, l'ex légionnaire est l'étincelle qui va faire exploser les gaz de décomposition. Est-il revenu venger son frère ? Retrouver Samia, son unique amour, qui est restée à l'usine, Brahim, le flambeur gangster au rire tonitruant ? Il apporte l'angoisse ou l'espoir, c'est selon, mais ne laisse personne indifférent.
« Les occasions ne manquent jamais de devenir un salaud. »
La boucle est bouclée, le temps est venu, avec la mort prochaine du père, de dire ce qui a toujours été tu, de comprendre les motifs des abandons et digérer les combats perdus, tous. René, l'absent, était la clé, la pièce manquante du puzzle macabre de la vallée, sans laquelle toute catharsis était impossible. C'est toute la dramaturgie des soixante-dix dernières années qui va être mise en scène dans ce roman. Xavier-Marie Bonnot pose ses personnages, soigneusement décrits, les range l'un après l'autre dans les cases qui semblent leur être destinées, détaille les enfances, les amitiés, les rancoeurs, les haines. Des récits qui se répondent, la vallée des Alpes et celle lointaine d'Afghanistan, la fuite de René, la disparition d'un enfant le jour de son retour, la guerre du soldat, ma prison de Brahim... On n'échappe pas à son destin dans La Vallée des Ombres...
« - Une victime est toujours coupable, n'est-ce pas ? »
On n'échappe pas à la filiation non plus, celle de l'honneur et des combats menés ou celle des saloperies qui se transmettent quasi génétiquement. Ce roman implacable est à rapprocher des superbes d'Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu (Actes Sud - 2014 ) ou Les salauds devront payer d'Emmanuel Grand (Liana Levi – 2016), de magnifiques bouquins qui savent cueillir les plus sombres fleurs tragiques s'épanouissant sur le fumier des friches industrielles
Des histoires vieilles comme le monde, revisitées avec talent, les ressorts sont toujours les mêmes, les hommes ne changent pas, les passions sont intactes et le plaisir du lecteur toujours aussi fort !
Notice bio
Né en 1962, Xavier-Marie Bonnot est écrivain et réalisateur de films documentaires. Il remporte avec son premier roman, La Première Empreinte (L'Écailler du Sud, 2002), le prix Rompol et le prix des Marseillais. Le Pays oublié du temps (Actes Sud, 2011) a été récompensé par le prix Plume de cristal et Premier homme (Actes Sud, 2013) par le prix Lion noir. Il est désormais traduit dans le monde entier. Après La Dame de pierre (Belfond, 2015), La Vallée des ombres est son huitième roman.
La musique du livre
Le groupe fétiche de Rémy pour commencer, The Clash, dont les posters ornent toujours les murs de la chambre, Rock the Casbah.
Bien évidemment, l'hymne du 2e REP, celui de René, chanté dans des circonstances dramatiques, La Légion Marche Vers le Front.
Ceux qui sont entrés dans la Légion n'ont pas de passé et les sections chantent souvent Je Ne Regrette Rien, le succès d'Édith Piaf.
LA VALLÉE DES OMBRES – Xavier-Marie Bonnot – éditions Belfond – 302 p. novembre 2016