Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LARMES DE FOND de Pierre Pouchairet

Chronique Livre : LARMES DE FOND de Pierre Pouchairet sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

Un ancien diplomate enlevé à Quimper, un inspecteur général de la police nationale assassiné à Nice, sale temps pour les grands serviteurs de l’État.

Hasard de la vie, à mille kilomètres de distance, deux sœurs, toutes deux commandant de police se retrouvent au centre de ces enquêtes. Trafic de drogue, magouilles politiques, tout se paye un jour.

De fausses pistes en rebondissements, elles devront déterminer qui a décidé de porter l’addition et pourquoi maintenant...


L’extrait

« C’est à cause, ou grâce à, l’informatique que tout est arrivé. Ça a commencé par la rencontre d’un client à qui il a vendu un serveur destiné à abriter un site un peu spécial que, par pudeur, Yvonnick n’a jamais osé qualifier de facho, bien que les idées véhiculées y soient nauséabondes. Sa première tentation a été d’y injecter un virus et c’est ce qu’il a fait. La semaine suivante, son acheteur l’appelait au secours. Il s’était promis de lui faire un doigt d’honneur et de l’envoyer paître... Sauf qu’il ne l’a pas fait pour une raison assez simple et qui a le don de faire tomber beaucoup de principe, surtout les siens : l’argent. Le propriétaire du site l’a gratifié d’un billet de cinq cent euros. Première fois qu’il avait entre les mains ce genre de coupure. D’abord il a cru à une plaisanterie. Mais non. Cet argent a d’ailleurs ravi son banquier.
À partir de là, l’idée de travailler pour ce généreux mécène lui a paru beaucoup moins désagréable et il a su se rendre indispensable. Son client a fini par parler politique et laissé transparaître ses idées. Yvonnick a choisi le camp de l’argent. Le reste a suivi, la confiance s’est affirmée, et son action, limitée au départ à l’amélioration du site et à sa mise en valeur, s’est amplifiée. Derrière sa bécane, il a mené des opérations plus militantes, il s’est lié d’amitié avec des hackers russes en les aidant à cacher leurs traces dans les méandres de la Toile. Lui aussi s’est livré à l’espionnage de sites gouvernementaux et au piratage. Une activité grisante qui a passionné son nouvel ami.
Ce n’est que récemment que son client a fait appel à une autre de ses compétences : la plongée sous-marine. Un domaine dans lequel il excelle aussi. La raison de le solliciter s’est imposée comme une évidence. Mieux vaut rester entre gens de confiance.
Depuis qu’il s’acoquine avec l’extrême-droite, le gentil geek, un peu baba cool, a disparu. La cupidité est un lien pire que l’esclavage et c’est bien pour cette raison qu’il se retrouve encore une fois sur le port de Brest.
Vêtus de combinaisons d’intervention noires, ils sont plusieurs pour l’accueillir à l’entrée d’un dépôt de matériaux. Un des vigiles s’approche de lui :
- Vas-y, ils sont là.
La moto avance entre des tas de sable et de ciment. Au bout du chemin, c’est l’océan. Devant une cale, une voiture, une camionnette et plusieurs hommes. Ils l’attendent. L’un d’entre eux, lui aussi en tenue de combat, abandonne le groupe et vient vers lui. Il a le sourire.
- Salut, compagnon, ça va ?
- Oui, je ne suis pas en retard ?
- On est arrivés plus tôt, prépare-toi, ils t’attendent.
- C’est où ?
- Là-bas, au début du quai des Minéraliers, tu vois le cargo ?
Il répondit d’un coup de tête.
- Même fixation que d’habitude, t’es un pro maintenant, on ne devrait pas mettre trop longtemps. » (p. 15-16)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Léanne Vallauri, commandant de police, responsable de la PJ de Brest et de son antenne quimperoise, est en mission secrète à la demande de la direction de Rennes, même ses collaborateurs les plus proches ne doivent se douter de rien s’ils ne sont pas utiles sur ce dossier. Elle est chargée de surveiller, de très près, Jean de Frécourt, un ancien haut fonctionnaire, conseiller de l’ombre des élites au pouvoir, passé, avec succès, dans le monde des affaires et demeurant à Quimper. De forts soupçons portant sur divers trafics pèsent sur lui, mais on n’alpague pas un homme de sa stature, avec un tel carnet d’adresses, comme un vulgaire gilet jaune de base, la hiérarchie a besoin de preuves irréfutables. L’homme d’affaires est placé sur écoute, ses proches également, sans résultat pour l’instant...

Pas de chance pour la policière, Frécourt est agressé à son domicile par un commando qui le torture afin d’obtenir des renseignements qu’il refuse de donner, avant de l’embarquer vers une destination inconnue. Tout au plus perçoit-il qu’il est transporté dans le coffre d’une voiture, puis en bateau et, enfin, séquestré dans une espèce de cave aux murs de terre... Léanne s’aperçoit un peu tard, en écoutant les enregistrements, de la disparition de son « client », et s’étonne que la famille, Gisèle, son épouse, sa fille ou son gendre, Michel Madec, ne signalent rien aux autorités. Au même moment lui parvient une info fournie par un indic sur un gros deal de came prévu pour le soir même. Tous les membres de la PJ finistérienne sont sur le pont, la commandant a décidé de travailler sur les deux dossiers.

Jean de Frécourt, outre ses diverses activités évoquées plus haut, se situe très très à droite de l’échiquier politique. Il est le fondateur d’un groupuscule fascisant, le Front de la Fierté Française - FFF, sans doute en résonnance au KKK américain dont il est proche idéologiquement. Son gendre et lui animent un site raciste sur lequel sont reprises toutes les théories les plus abjectes s’affichant aujourd’hui en toute liberté, et illégalité, sur les réseaux sociaux. Conspirationnistes, racistes, complotistes, la fine fleur des nazillons français suivent les délires pseudo-patriotiques du vieillard.

À mille kilomètres de là, à Nice, Sébastien Matteoli, ex-conseiller à l’Élysée, ex-commissaire de police ayant effectué une bonne partie de sa carrière au Moyen-Orient ou en Afrique, est à son tour assassiné et c’est Johana Galji, commandant de police, sœur de Léanne, qui est chargé du dossier. Des connexions entre les deux affaires apparaissent assez vite et les deux sœurs vont devoir collaborer, ce qui ne sera pas du tout évident, surtout que le marigot où elles mettent les pieds est peuplé des pires salopards possibles, passer maîtres dans l’art de camoufler leurs traces et n’hésitant pas à sacrifier si nécessaire. Double investigation donc puisqu’il faut déterminer quelles sont les domaines où sévissent Frécourt et Matteoli, et quels sont leurs complices, sans oublier de découvrir qui a pris la décision de faire le ménage et d’éliminer ces crapules et l’endroit où est retenu le vieil homme dont les kidnappeurs exigent une rançon d’un million d’euros afin de le libérer... Frécourt n’est pas en très bonne santé, la course contre la montre, entamée par Léanne et ses équipes pour le libérer, n’en devient que plus frénétique à mesure que les pages défilent. L'hypothèse de la vengeance devient de plus en plus réaliste, mais qui et pourquoi ?

Pour son quatorzième polar, Pierre Pouchairet nous gâte ! Il a manifestement voulu reprendre des éléments de, pratiquement, chacun de ses précédents volumes pour en tirer cette histoire absolument palpitante d’un bout à l’autre comme il sait si bien les raconter. Boucler une boucle avant, montrer la cohérence de son travail ? Inutile cependant d’être un expert ès Pouchairet pour lire Larmes de fond, les rappels afin de s’y retrouver sont présents là où s’en ressent la nécessité, sans nuire à l’avancée de l’intrigue, ce qui est déjà en soi un tour de force.

On retrouve sa fameuse Triplette de Brest, Léanne, Vanessa, Élodie, héroïnes de ses polars bretons, d’autres issus de Mortels Trafics, de Tuez-les tous... mais pas ici, en passant par La Prophétie de Langley, et d’autres clins d’œil encore. Jamais aussi à l’aise qu’au cœur d’un enquête tentaculaire, mêlant terrorisme, corruption, drogue, banditisme, l’auteur trimballe son lecteur d’un bout à l’autre de la France, Nice, Versailles (où le commandant Pierre Pouchairet a exercé ses fonction) et Quimper/Brest, non loin de son havre de paix finistérien.

Léanne et Johana s’adorent, mais pas au point d’échanger tous les indices qu’elles récoltent, ou de laisser la première place à l’autre, il ne faut rien exagérer. Cela nous permet d’assister à deux enquêtes fantastiques, tout en suivant les manœuvres de Madec et de ses troupes, ou celles de la bande de bras cassés responsable l’enlèvement. Les équipes de Nice et de Brest s’attaquent à du lourd, les mensonges sont partout, les manipulateurs ne manquent pas dans ce polar nerveux, tendus, dans lequel rien ne sera facile et où les flics devront accepter de prendre en considération ce qui pourrait paraître inimaginable... Un régal !

Un énorme polar qui emporte tout sur son passage, certitudes comprises, une plongée au cœur d'une vengeance hors normes, des liaisons entre extrême-droite et grand banditisme, des trafics divers et magouilles politiques...


Notice bio

Pierre Pouchairet est né en 1957. Il a été commandant de la police nationale puis chef d’un groupe luttant contre le trafic de stupéfiants à Nice, Grenoble ou Versailles… Il fût également à plusieurs reprises en poste dans des ambassades, a représenté la police française au Liban, en Turquie, a été attaché de sécurité intérieure à Kaboul puis au Kazakhstan. Aujourd’hui à la retraite, il partage son temps entre l'Île-Tudy et Yaoundé. Il a publié en 2013 un livre témoignage, Des Flics Français à Kaboul, puis Coke d’Azur en 2014. La même année sort son premier polar, Une Terre pas si sainte, édité par Jigal Polar, suivi par La Filière Afghane (2015), À L'ombre Des Patriarches (2016), La prophétie de Langley (2017) chez le même éditeur. Il obtient le très convoité Prix du Quai des Orfèvres 2017 pour Mortels Trafics publié, c'est une tradition, par les éditions Fayard en novembre 2016. En 2018, est sorti chez Plon, Tuez-les tous... mais pas ici, dans la collection Sang Neuf, finaliste du prix Landerneau du Polar, puis Mort en eaux grises publié par Jigal Polar. Sa série consacrée aux « Trois Brestoises » comprend déjà cinq romans publiés aux éditions du Palémon : Haines, La cage de l'albatros, L'assassin qui aimait Paul BloasAvec le chat pour témoin et L’Île abandonnée.


La musique du livre

Outre la sélection ci-dessous sont évoqués : Motörhead, The Beatles, Al Kooper, The Rolling Stones, Marianne Faithfull...

Christophe Miossec - Nous Sommes

Bob Dylan - Ballad of a Thin Man

Serge Gainsbourg - Les Petits Trous

Aerosmith - I Don't Want to Miss a Thing


LARMES DE FOND - Pierre Pouchairet - Éditions Filature(s) - 414 p. septembre 2020

photo : Dezalb pour Pixabay

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