Chronique Livre :
Le cercle des plumes assassines de J.J. Murphy

Publié par Psycho-Pat le 03/04/2015
Illustration : détail de la couverture du livre
L'extrait
« - Excusez-moi...Mlle Parker ?
Elle découvrit un jeune homme aux yeux de chien battu, tout petit et tout maigre, vêtu d'un costume pied-de-poule trop grand pour lui. Avec sa fine moustache et sa barbe mitée, il avait l'air d'un artiste maudit ou bien d'un vagabond, au choix.
- Madame, rectifia-t-elle. Que puis-je pour vous ?
- Je suis écrivain, du Mississippi, répondit-il en se dandinant nerveusement d'un pied sur l'autre. Enfin, c'est ce que je veux être.
- Quoi ? Du Mississippi ? Ou écrivain ?
Loin de se vexer, il eut un sourire où elle crut déceler de l'affection.
- Écrivain. Accepteriez-vous de jeter un œil sur ceci ? Poursuivit-il en montrant la poignée de pages cornées qu'il serrait dans sa main. Je voudrais votre opinion sincère.
Elle le dévisagea, puis répondit, comme à son habitude, dans un souffle :
- Mon opinion sincère décollerait le papier-peint, mon chou.
Elle prit pourtant les feuillets.
- Comment vous appelez-vous ?
- Billy...Euh, William Faulkner »
Le pitch
New-York années 20 : Dorothy Parker, chroniqueuse au journal Vanity Fair, est un des piliers de la célèbre Table Ronde de l'hôtel Algonquin, Le Cercle Vicieux, ainsi que se surnomment eux-mêmes les habitués. Les membres de ce club prestigieux s'y réunissent pour déjeuner chaque jour de la semaine, rivalisant d'humour caustique et de vacheries envers leurs contemporains. Journalistes, acteurs (Harpo Marx), rédacteurs en chef, critiques, ils sont à l'affut du moindre ragot ou du scoop qui transformera leur vie professionnelle ou enjolivera les soirées mondaines.
Alors qu'elle arrive pour leur rendez-vous quotidien, Dorothy découvre, allongé sous la fameuse table ronde, le cadavre d'un inconnu poignardé avec un stylo-plume. Le jeune William Faulkner, futur prix Nobel de littérature mais encore jeune et inconnu, choisit ce moment pour aborder Dorothy qui a l'habitude de prendre des protégés sous son ailes.
Elle va vite se retrouver mêlée à l'enquête et être une des cibles du terrible inspecteur O'Rannigan. Le propriétaire d'une feuille à scandale, le Knickerbocker News, journal employant la victime et voulant faire grimper ses tirages, publie un article diffamatoire sur un des membres du cercle. Il l'accuse pratiquement d'être l'auteur du crime ou, pour le moins, d'avoir eu grand intérêt à cette disparition. De plus, Billy Faulkner intéresse la police car il a vu, espérant l'arrivée de Dorothy, un personnage plus que louche dans le hall de l'hôtel. Aidée de son ami - dont elle est secrètement amoureuse – Benchley, elle va tout faire pour découvrir le fin mot d'une histoire bien dans l'air du temps de ces années folles. Parcourant New-York en plaine frénésie des années folles, ils vont y croiser des figures de légende, lamper des jerrycans de mauvais gin en essayant d'échapper aussi bien aux flics qu'aux truands.
L'avis de Quatre Sans Quatre
De l'humour avant toute chose ! Quelles que soient les circonstances. Ne jamais s'en départir même au cœur du danger, cernés de bootleggers, de flics obtus ou de canailles décidées à vous faire la peau, c'est la religion du Cercle Vicieux. Un dogme auquel il ne déroge jamais et qui fait de ce roman un réel moment de plaisir. Un humour de stand up, vif, acide, dézinguant à tout-va, n'épargnant rien ni personne, surtout pas eux-mêmes. C'est ce qui les aide à supporter leurs conditions précaires, les aléas de la vie et la rudesse que peut présenter de la ville qui ne dort jamais.
L'histoire baigne dans ces années dingues où la prohibition règne aux États-Unis et où la consommation d'alcool n'a jamais été aussi forte, la multiplicité des spectacles, des concerts, des fêtes qui suivent de près la fin de la grande boucherie de 14/18. Ce livre résonne comme la série Boardwalk Empire, en moins violent, même si le danger rôde, si les gangsters ne sont jamais bien loin des beaux quartiers et qu'il est souvent fatal de les contrarier.
L'écriture est alerte, des dialogues incisifs, crépitants, des tac-au-tac savoureux, les personnages se tueraient pour ne pas rater un bon mot ou une blague. Plus comédie que polar, un parfum de film noir et blanc à la Marx Brothers, rapide, jouant sur les contrastes, nourri de répliques qui fusent comme les balles des mitraillettes à fromage des malfrats de l'époque. Des courses poursuites, des scènes tragiques, toujours allégées d'une boutade rendent le récit alerte et passionnant.
Un excellent moment partagé avec Dorothy Parker et ses amis et ennemis, des personnages réels croisent sans problème des créations de l'auteur et donnent une atmosphère particulièrement réussie à ce polar. Dorothy Parker, femme de gauche - vraiment à gauche - proche du Parti Communiste, militante du droit des femmes et anti-ségrégationniste de combat méritait bien cette série à son sujet. Elle aimait vraiment l'humour, l'alcool et les histoires tordues, elle est servie sur un plateau par J.J. Murphy.
Notice bio
Depuis longtemps fan de Dorothy Parker, J.J. Murphy a lancé avec ce premier roman une série sur le « cercle vicieux » de l'hôtel Algonquin. Cet a-ouvrage et le troisième de cette série ont été nominés pour le prestigieux pris Agatha (littérature policière). Sa devise, en citant les membres du groupe, est : « Ne jamais permettre à la Vérité de vous empêcher de raconter une bonne histoire ». Quant à Dotothy Parker, elle aimait dire, rappelle-t-il : « Cela m'est égal ce qu'on raconte sur moi, pourvu que ce ne soit pas vrai ! ».
La musique du livre
Peu de musique explicitement nommée si ce n'est une allusion à Enrico Caruso, le célèbrissime ténor dont nous écoutons Una furtiva lagrima. Pour ne pas en rester là, Dorothy Parker fut une ardente militante de la cause, hélas sans succès, des condamnés à mort politiques Sacco et Vanzetti, ce serait dommage de ne pas en profiter pour réécouter la ballade de Sacco et Vanzetti de Joan Baez. Myriam Gendron a mis en musique des poèmes de Dottie dont le beau Threnody.
Le cercle des plumes assassines – J. J. Murphy – éditions BakerStreet – 338 p. avril 2015
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Collon