Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LE CHANT DE L'ASSASSIN de R. J. Ellory

Chronique Livre : LE CHANT DE L'ASSASSIN de R. J. Ellory sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans... Quatrième de couv...

1972. Condamné pour meurtre, derrière les barreaux depuis plus de vingt ans, Evan Riggs n’a jamais connu sa fille, Sarah, confiée dès sa naissance à une famille adoptive. Le jour où son compagnon de cellule, Henry Quinn, un jeune musicien, sort de prison, il lui demande de la retrouver pour lui donner une lettre.

Lorsqu’Henry arrive à Calvary, au Texas, le frère de Riggs, shérif de la ville, lui affirme que la jeune femme a quitté la région depuis longtemps, et que personne ne sait ce qu’elle est devenue. Mais Henry s’entête. Il a fait une promesse, il ira jusqu’au bout. Il ignore qu’en réveillant ainsi les fantômes du passé, il va découvrir un secret que les habitants de Calvary veulent dissimuler.

À tout prix...


L'extrait

« Peu importe le bout par lequel on prenne cette histoire, Henry Quinn était un accident.
Grandir avec cette idée présente à l'esprit laisse forcément des traces chez un gamin.
Nancy Quinn, tout juste vingt-deux ans, n'avait jamais eu l'intention de tomber enceinte, pas plus que Jack Alford d'être l'homme responsable de cet état.
Mais c'est ce qu'il fut, tout en sueur, en chaleur, à moitié dévêtu sur la banquette arrière d'une berline quatre portes Buick Super, au cours d'un moment fort alcoolisé, surtout remarquable par l'incident qui vit Nancy Quinn se cogner violemment le coude sur le volant blanc en taenite, et par la crise de fou rire de trois bonnes minutes qu'il déclencha. La baise, elle, n'avait rien eu de remarquable. En se réveillant, seule dans son lit, et tout habillée, le lendemain matin, Nancy prit conscience de deux choses : son coude lui faisait toujours mal et ses sous-vêtements avaient disparu. Elle pria le ciel pour ne pas se retrouver en cloque. Mais sa prière, comme tant d'autres, ne fut pas entendue, et, au bout de huit jours, elle savait à quoi s'en tenir. Elle le savait, point. Le cataclysme tant mental que psychologique auquel elle parvint à survivre au cours des semaines suivantes étaient d'une ampleur proprement biblique. Pour autant elle ne dit rien à ses parents. Elle se confia à sa sœur, qui lui conseilla d'aller à Ciudad Acuña ou Piedras Negras et se faire avorter. À sa connaissance, tous les problèmes matériels de Nancy pouvaient être résolus grâce à un bout de tuyau, un litre de lessive de soude et environ soixante-quinze dollars. » (p. 27-28)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Si Henry Quinn sort en un seul morceau du pénitencier au bout de trois longues années de détention, c'est en grande partie à Evan Riggs qu'il le doit. Le tout jeune homme, vingt ans à peine passés, a une certaine tendance à ne pas faire très attention aux divers codes régissant la vie de la prison. Non pas le règlement intérieur, il est un prisonnier modèle, celui qui n'est écrit nulle part, les us et coutumes établis par les détenus les plus influents et dangereux. Le moindre écart et c'est bien souvent la peine de mort, sans possibilité d'appel puisqu'appliquée aussitôt. Il en garde encore quelques cicatrices impressionnantes, et Evan, en vieux routier des lieux, lui a sauvé la mise plus d'une fois. Aussi n'hésite-t-il pas une seconde lorsque, à sa sortie, Riggs lui demande un service : transmettre une lettre à sa fille qu'il n'a jamais vue. Evan est condamné à perpétuité, sans espoir de conditionnelle, il a déjà eu de la chance de ne pas croupir dans le couloir de la mort. Henry, lui, n'est pas un criminel endurci, il a été condamné pour une bêtise, un moment d'égarement dramatique commis avant sa majorité. Evan incarne une figure paternelle qu'il n'a jamais eue.

Evan Riggs est un vétéran, un des seuls engagés de son patelin lors de la seconde guerre mondiale, et un chanteur de country-blues de talent. Son premier disque a connu un grand succès, mais son penchant pour la bouteille et sa faculté à se mettre dans le pétrin le plus noir, additionnés d'une certaine sauvagerie lorsqu'il est alcoolisé, ont abrégé sa carrière et l'ont mené dans cette cellule du centre pénitentiaire agricole de Reeves. Henry Quinn, lui assure-t-il, devrait pouvoir être aidé dans sa démarche par Carson Riggs, frère aîné d'Evan, shérif de Calvary, petite ville du West Texas. Celui-ci ayant été nommé tuteur de la petite Sarah, il saura bien où celle-ci, âgée d'une vingtaine d'années désormais habite. Henry est également guitariste, doué tout autant qu'Evan, cela a peut-être rapproché les deux hommes. Il n'a encore rien enregistré mais un contrat l'attend chez le même producteur qu'Evan, sans ce stupide accident qui lui a déjà coûté trois ans de sa vie, son album serait déjà dans les bacs.

Après un bref séjour chez sa mère, à San Angelo, histoire de constater que celle-ci boit toujours autant et s'est mise en ménage avec un ivrogne du même acabit que ses beaux-pères précédents, s'être assuré qu'ils n'ont plus grand-chose à se dire, Henry file vers Calvary délivrer son message et rencontrer Carson Riggs, une petite mission qui ne nécessitera pas bien longtemps. Pense-t-il.

Pourtant dès son arrivée, Henry va sentir qu'il n'est pas le bienvenu à Calvary. Le shérif est un taiseux, menaçant, semblant en vouloir à mort à son frère, niant avoir un jour été le tuteur de la petite et savoir quoi que ce soit à son sujet. Le bébé a été confié à une famille et il n'a plus aucune nouvelle. Il aimerait manifestement que le jeune ex-taulard admette sa vérité et file le plus vite possible loin de sa ville où il apparaît vite qu'il fait la pluie et le beau temps. Mais pour Henry, une promesse est une promesse, hors de question der renoncer et ce ne sont pas les menaces, à peine voilées, de Carson Riggs de le renvoyer à Reeves, ni les silences obstinés des anciens de Calvary qui vont lui faire faire demi-tour. Il va peu à peu se rendre compte que son ami Evan ne lui a pas dit toute la vérité, qu'il ne lui a même quasiment rien révélé et qu'il va devoir tout découvrir par lui-même, en compagnie d'Evie, une drôle de fille, serveuse dans un diner, qui n'a ni sa langue dans sa poche, ni peur de se jeter tête la première dans toutes les gueules de loups alentours... Et il y en a à la pelle dans ce bled où rien ne filtre du passé.

Entre les frères Riggs, il y a eu une fille, Rebecca Wyatt, dès la préadolescence jusqu'à l'âge adulte, une fille qui ne savait choisir entre un Carson, solide et travailleur, et un Evan, cigale versatile, vagabond dans l'âme, artiste porté sur le whisky. Entre eux également, l'argent des pétroliers qui voulaient explorer les terres de la ferme parentale, la rancoeur des jalousies d'enfants. Le shérif Carson Riggs est devenu un sale type ? Certes, mais pas par hasard. Evan est-il un brave type, victime de la guigne ? Pas sûr, rien n'est aussi simpliste dans ce roman.

L'enquête, puisqu'il s'agit désormais bien de cela, conduira Henry à prendre des risques insensés afin de briser ce mur d'omerta qui entoure la famille Riggs et les notables locaux. Il sera aidé par une jeune fille de la ville voisine Ozona, qui ne connaît pas l'histoire de la famille mais est suffisamment intriguée, et attirée par Henry, pour l'appuyer dans ses démarches, même les plus hasardeuses. Elle ne sera pas de trop, les pièges de toutes sortes vont se multiplier. Coups montés, mensonges, tabassages et les meurtres anciens vont rythmer ce récit. Les histoires d'amour aussi, il ne peut s'agir que de cela pour éloigner autant deux frères, amours secrètes, tristes, déçues, malheureuses, de rivalité amoureuse enveloppée de non-dit et de faux-semblants.

R.J. Ellory raconte, précisément, minutieusement, toute la genèse de l'affaire : la rencontre des parents Riggs, la naissance de Carson, tout, dans le moindre détail jusqu'au drame qui a séparé les deux frères à jamais, et, parallèlement, la quête d'Henry, perdu dans les secrets d'un West Texas fermé, hostile aux étrangers fouineurs dans lequel un shérif, mauvais comme la gale et teigneux, fait sa propre loi et l'impose à tous ces concitoyens. Bien sûr tous ceux qui habitaient déjà là à la fin des cinquante sont mouillés et cachent soigneusement de très encombrants cadavres dans des placards dont ils aimeraient perdre à jamais les clés. Chantages, pressions, corruption, abus de pouvoir, tout est tenté pour faire cesser les recherches d'Henry et Evie, et donne, au final, une intrigue habilement construite, animée par des personnages forts, terriblement humains et complexes. L'auteur n'a rien perdu de son talent incroyable à capter l'attention de son lecteur et parvient une nouvelle fois à son meilleur niveau, celui de Seul le silence ou Vendetta.

De l'excellent Ellory, un des meilleurs conteurs du moment dans ce style de récit de vies ordinaires basculant dans la tragédie. Le chant de l'assassin, ce sont deux histoires imbriquées, celle, initiale, qui a conduit Evan en prison et son frère au poste de shérif, et l'enquête, âpre, difficile, d'Henry et d'Evie qui tentent tous deux de soulever un coin du voile sur ce qui a pu advenir de ce bébé dont nul ne semble se souvenir, aussi passionnantes l'une que l'autre mais pratiquement indépendantes dans la narration, connaissant chacune un dénouement dramatique.

Un très grand roman noir, un homme face à une ville protégeant jalousement ses secrets par intérêt... ou par peur...


Notice bio

Roger Jon Ellory est né en 1965 à Birmingham. Il n'a pas connu son père, qui aurait été un voleur hollandais, et sa mère est décédée alors qu'il n'avait que 8 ans. Confié à sa grand-mère, celle-ci, de santé précaire, décide de le confier à l'orphelinat. C'est dans la bibliothèque de cette institution qu'il fera connaissance avec la littérature, il apprend également la trompette classique et jazz.

Après un bref séjour en prison pour vol, il monte un groupe de rock, The Manta Rays, où il jouera de la guitare. Vivant dans des conditions déplorables dans un studio qu'ils ont construit dans la maison de sa grand-mère, le batteur y décède d'une crise d'asthme. R. J. Ellory se tourne alors vers la littérature et publie son premier roman après plus de 120 refus.

Depuis 2008, avec Seul le silence et Vendetta, tous les deux chez Sonatines, il enchaine des thrillers magnifiques au style unique qui font de lui un des plus grands écrivains du genre actuellement. Ses cinq dernières parutions, Les Neuf Cercles (2014), Les Assassins (2015), Un cœur sombre (2016), Les fantômes de Manhattan (2018) toujours chez Sonatine, ainsi que Papillon de Nuit (2015), son premier roman édité dans la collection Sonatine +.


La musique du livre

Comme Evan et Henry sont musiciens, ils possèdent tous deux de solides références musicales et nombres d'artistes sont cités, en plus de la sélection ci-desous : Smokey Montgomery, Knocky Parker, Chostakovitch, Rachmaninov, Ernest Tubb, Sippie Wallace, Sonny Terry, Gene Vincent, Johnny Burnette, The Allman Brothers, J.J. Cale, Barefoot jerry, Bo Diddley, T-Bone Walker, Blind Lemon Jefferson, Son House, Charley Patton, Tex Williams, The Yardbirds, The Pink Floyd - The Piper at the Gate of Dawn
ou des chansons : One Has My Name, I''ll Try and Be a Better Man, Sgt. Pepper Lonely Hearts Club Band, Truck Driver's Blues, It Makes No Difference Now, Meet Me Tonight in Dreamland...

Bob Wills with Tommy Duncan - Goodbye Liza Jane

The Beatles – Get Back

Roy Acuff – You're the Only Star

Jefferson Airplane - Comin' Back To Me

Lead Belly - Where Did You Sleep Last Night?

The Sons of the Pioneers - Cigarettes, Whisky and Wild, Wild Women


LE CHANT DE L'ASSASSIN – R. J. Ellory – Sonatine Éditions – 492 p. mai 2019
Traduit de l'anglais Claude et Jean Demanuelli

photo : Pixabay

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