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Chronique Livre :
Le concert posthume de Jimi Hendrix de Andreï Kourkov

Chronique Livre : Le concert posthume de Jimi Hendrix de Andreï Kourkov sur Quatre Sans Quatre

 photo : panorama de Lviv (Wikipédia)


L'extrait

« Il embrassa d'un coup d'oeil sa petite chambre dont les murs évoquaient la période hippie et son extraordinaire liberté. Il y avait bien sûr beaucoup plus de témoignages du passé que du présent. Il en est toujours ainsi. Le passé s'accumule, tandis que le présent coule sans s'arrêter. Un être humain, ce n'est jamais, en gros, qu'un vivant « appareil », très ordinaire et élémentaire, de transformation du futur en passé. Alik, cela dit, n'avait rien d'ordinaire. Son avenir avait toujours été placé sous le signe du non-conformisme et du questionnement. Aussi son passé se révélait-il conforme à ces principes : on y trouvait ni foulard ni camp de pionnier, ni étoile d'octobriste ni aucune tresse d'aucune camarade de classe. L'enfance d'un côté, le bon grain de l'autre ! Le bon grain, c'était l'adolescence et son prolongement. »


Le pitch

Un rituel étrange a lieu tous les ans en Ukraine, dans la ville de Lviv plus précisément. Alik, éclairagiste à l'opéra, et un groupe d'amis, tous nostalgiques des années hippies, rendent hommage à Jimi Hendrix – célèbre gaucher - dont la main droite a été inhumée dans le cimetière local. Cette année, il est abordé par l'ex capitaine du KGB Riabtsev qui lui confie qu'il a favorisé à l'époque le vol et le transfert de la relique depuis les États-Unis. C'est ce même Riabtsev qui était chargé de surveiller Alik et ses copains pendant l'ère soviétique.

Taras, à Lviv également, gagne sa vie d'une façon singulière. Il conduit ses clients à bord de son antique Opel par les rues défoncées afin qu'ils expulsent par voie naturelle leurs calculs rénaux. Il appelle cette méthode la Vibrothérapie et participe à sa manière, pense-t-il, au système de santé. Les candidats à l'expulsion viennent de loin, Pologne, Russie, pays baltes et il doit souvent changer ses roubles, dollars et autres monnaies au bureau de change où officie Darka. Cette belle jeune femme, dont il ne va pas tarder à tomber amoureux, n'est pas insensible à son charme. Malheureusement celle-ci souffre d'une allergie à l'argent sous toutes ses formes, ce qui n'est pas simple dans son métier.

Riabtsev invite Alik pour le café et lui explique qu'il a constaté que la ville est le siège d'étranges phénomènes : des mouettes agressent les habitants, une forte odeur d'iode flotte dans l'air et de l'eau salée coule des robinets...Les deux anciens ennemis vont essayer de trouver l'origine de ces perturbations bizarres, chercher des compères et suivre un chemin sinuant entre absurde et poésie.


L'avis de Quatre Sans Quatre

Andreï Kourkov a l'art de glisser les réflexions les plus sérieuses dans les passages les plus fantaisistes de son roman. Ce Concert Posthume est une fable et, comme toutes les fables, elle décrit bien plus efficacement les atouts et défauts de l'Ukraine qu'un pamphlet. Il y règne un climat poétique riche d'images décalées et de nostalgie,, un symbolisme régénérant qui donne à ce récit, finalement très sérieux, une fantaisie rafraîchissante.

Quelle affaire que cette Mer des Carpates qui voudrait reprendre sa place ancestrale ! Engloutir l'Ukraine, rien de moins ! Et ces mouettes charognardes qui pillent bruyamment, agressent, imposant sans vergogne un climat d'angoisse à tous ces gens qui essaient tant bien que mal de suivre leurs destins, à coups de débrouilles, de petits boulots et de solidarité. Il faut bien l'alliance des anciens du KGB, des hippies nostalgiques et les amours débutantes de Taras pour en venir à bout.

Des vies simples, astucieuses - l'entraide est capitale - ordinaires, tout un petit peuple sympathique confronté par Kourkov à l'absurde et à l'irruption de l'étrange. Les personnages sont, c'est peu de le dire, attachants, vibrants, toujours positifs, portés par un espoir disparu des sociétés occidentales. Au risque, parfois, d'une certaine naïveté qui peut aussi être salvatrice. Drôle, vif, cette allégorie est riche d'une humanité chaleureuse et d'une écriture subtile qui vagabonde au gré des événements et des états d'âme.

Un livre revigorant. Apparemment loin des drames quotidiens de l'Ukraine d'aujourd'hui, apparemment seulement, la menace y plane bel et bien, la mobilisation et l'union de tous y est aussi nécessaire pour y faire face. L'âme slave est prégnante, inscrite dans les gènes de ce Concert Posthume de Jimi Hendrix et, si l'on ne peut plus espérer un spectacle de l'idole décédée, l'esprit de la liberté souffler toujours sur Lviv et ses habitants.

À lire pour découvrir un peuple sous les images grises, laides et effrayantes de l'Ukraine diffusées aux infos, côtoyer ce peuple victime de jeux qui le dépasse et le style émouvant et poétique de Andreï Kourkov.


Notice bio

Andreï Kourkov, écrivain ukrainien d'expression russe, est né en 1961 et vit à Kiev. Il débute sa carrière d'écrivain pendant son service militaire alors qu'il est gardien de prison à Odessa. Depuis la publication du Pingouin, il connait un succès international. Le concert posthume de Jimi Hendrix est son huitième roman publié en France. Il est aujourd'hui traduit en 36 langues.


La musique du livre

Rien d'étonnant à découvrir des titres de Jimi Hendrix dans ce roman, à commencer par Purple Haze. Tout les matins, après ses nuits passées à essayer d'extirper les calculs de ses clients, Taras s'endort au son de l'Hymne Ukrainien. Ce même Taras qui tombe sur le groupe ukrainien Boombox sur son auto-radio, Super-puper.

C'est encore Jimi Hendrix qui referme l'ouvrage avec Hey Joe joué sur un magnétophone agrémenté des regrets de Alik qu'il soit mort avant d'avoir pu donner un concert en Europe de l'est.

Le concert posthume de Jimi Hendrix – Andreï Kourkov – Liana Levi – 344 p. avril 2015
Traduit du russe pas Paul Lequesne

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