Chronique Livre :
LE DERNIER PÉCHÉ de Rebecka Aldén

Publié par Dance Flore le 28/06/2017
illuxtration : gravure de M.C. Escher
L'auteur
Rebecka Alfén, suédoise, est journaliste et rédactrice en chef du magazine Damermas Värld, et maintenant romancière avec Le dernier péché qui est son premier roman, un thriller qui devrait être suivi d'un autre très bientôt.
De quoi ça parle donc ?
Nora a une chance folle ! Elle a survécu à une chute vertigineuse de 7 étages.
Donnée pour morte, elle a non seulement réussi à s'en sortir mais aussi à reconstruire son corps comme sa vie. Elle était mal dans son couple, au bord de la rupture, elle buvait, elle déprimait, se trouvait grosse et laide et là, métamorphose totale, la voici belle, mince, maman de deux jeunes enfants et toujours en couple !
Et, cerise sur le gâteau, elle a fait de son traumatisme passé une force puisqu'elle écrit des livres de coaching personnel et donne des conférences, des interviews, des articles sur le sujet du développement personnel, un truc très en vogue mâtiné de philosophie et de bon sens. POSITIFS ! Restons positifs !
Un extrait :
« - Croquez-vous la vie à pleines dents ? Profitez-vous de chaque jour qui passe ? Etes-vous conscients de ce que vous possédez ? Et comment réagiriez-vous si vous perdiez tout ? Je m'appelle Nora Lindqvist et je suis ici pour vous apprendre à ne pas passer à côté de votre vie.
Elle s'interrompit pour laisser planer un regard plein d'assurance sur les centaines de personnes qui l'observaient attentivement. Debout au centre de la scène, elle but une gorgée du verre d'eau posé devant elle. Elle n'avait pas soif ; c'était juste pour renforcer l'effet de sa pause.
Avant, j'étais constamment mécontente. Je me plaignais et je gémissais tout le temps. Je trouvais que les choses n'allaient jamais dans mon sens. Il pleuvait toujours quand j'étais en congé. Je ne gagnais jamais à la loterie. Mon patron n'appréciait pas mon travail à sa juste valeur et j'étais trop peu payée. Je me disputais avec mon mari, je n'étais pas assez bien pour lui. Je critiquais mes amis dans leur dos. Je me trouvais trop grosse, trop fatiguée, trop pâle. En somme, j'étais comme la plupart des gens : frustrée. Râleuse. Victime. Ce n'était jamais ma faute. Je n'avais pas de chance.
Elle s'arrêta à nouveau pour observer l'assemblée et croiser autant de paires d'yeux que possible.
Mes ongles se cassaient sans cesse. Mes cheveux ne ressemblaient à rien.
Elle haussa les épaules et tira de manière appuyée les lèvres vers le bas pour se donner un air malheureux. Le public ricana. Elle attendit que les rires se soient tus pour allumer l'ordinateur portable posé sur le petit support à côté d'elle. Le projecteur afficha une image sur la grande toile tendue dans son dos. Il s'agissait d'une photo d'elle-même. Avant son accident. Elle était avachie au bord d'une table, un verre de vin dans une main et l'autre bras devant son ventre, comme pour dissimuler ses rondeurs. Elle portait un grand gilet noir informe et un jean clair serré qui lui faisait des cuisses énormes.
Les spectateurs du premier rang arboraient un sourire entendu. Elle savait que l'assistance était captivée. Les effets de son discours étaient décuplés quand elle se tenait, en chair et en os, radieuse de beauté et de perfection, à côté de cette vieille image. Les gens trouvaient fascinant que quelqu'un qui connait un tel succès ait pu traverser des moments aussi difficiles. Cela leur donnait de l'espoir. Elle avait bien appris sa leçon. Les contes de fée à la Cendrillon, il n'y a rien de plus efficace. La chenille qui se transforme en papillon en l'espace d'une seule nuit. Comme Susan Boyle ou Paul Potts, deux chanteurs franchement médiocres qui ont stupéfié le monde entier lors d'une émission télévisée pour ensuite vendre des millions de disques. » (p. 9 et 10)
Ce que j'en pense
Nora revient de très très loin. Au prix d'une rigueur personnelle immense et d'une volonté de fer, elle a repris sa vie en main et la dirige sans faille vers le succès. Elle est enviée, saluée, reconnue et conviée partout pour présenter ses livres, parler de sa reconstruction personnelle au propre comme au figuré. Forte de son expérience extrême , elle délivre des conseils pour prendre sa vie en main et devenir ce qu'on désire être. Vous savez c'est le coup du : Soyez ce que VOUS voulez être.
Frank, son mari, est son agent littéraire, lui arrange des conférences et les droits étrangers sur ses livres. Ils rapportent beaucoup d'argent, ce qui leur a permis d'acheter un très grande et très belle maison dans un joli quartier calme où tous les voisins se connaissent et sont amis. Ils échangent de menus services les uns avec les autres et chacun sait qu'il peut compter sur l'autre. D'ailleurs ils s'invitent fréquemment à dîner et Nora organise chaque année la fête de l'été chez eux, une fête magnifique et amicale pour que tous se retrouvent, un vrai rituel attendu et apprécié. Et puis Nora est tellement admirée par tous, chacun est fier de connaître une telle femme. Et son mari si gentil, si beau, si prévenant. C'est grâce à lui aussi que Nora est ce qu'elle est maintenant, si forte et sûre d'elle.
Dans ce joli décor parfait qui rappelle un peu Desperate Housewife, tout ne va pas si bien que ça, évidemment.
Tout d'abord les deux enfants de Nora, Albin et Saga. Albin est un petit garçon vif et sociable mais Saga est incapable de se faire des camarades. Elle n'aime aucune des activités auxquelles sa mère l'a successivement inscrite, elle ne parle presque pas et semble si triste... Tout le contraire de ce qu'elle devrait être, avec une maman si parfaite. Nora est agacée de ce comportement, limite déçue, déjà qu'elle est obligée d'aller les chercher à la garderie et de faire à manger et les courses, avec Frank qui passe de plus en plus de temps au bureau et les deadlines qui s'accumulent... bref, elle aurait mieux à faire de de s'occuper de gérer les humeurs et le quotidien de tout ce petit monde-là.
Obsédée par son image, Nora s'impose un régime strict et des joggings réguliers car il faut travailler son image sur Facebook, Instagram et Twitter. Elle poste des photos prétendument naturelles d'elle et de sa famille tout le temps, et s'angoisse du nombre de retweets, de followers et de likes qu'elle peut obtenir à chaque fois.
Pour Nora, le produit à vendre, le vrai produit, c'est elle, bien sûr. Et, si dans son armoire à pharmacie traînent encore tous les anxiolytiques, les somnifères et opiacés d'il y a dix ans, c'est pour qu'elle se souvienne de ne plus jamais retomber si bas.
Seulement voilà, arrive une voisine, une jolie jeune femme, Klara, grande et blonde, avec un chien Simba. Et tout se détraque.
Tout d'abord Klara ne montre aucune révérence particulière envers Nora, elle ne donne même pas le sentiment de se rendre compte qu'elle parle à une célébrité. Ensuite elle va chercher les enfants de Nora à la garderie sans prévenir personne. Et puis c'est Saga qu'elle entend parler et rire ! Les deux enfants sont dingues du chien, Simba, avec lequel ils jouent tout le temps et ils n'ont de cesse d'aller chez Klara qui les accueille comme ils le souhaitent, à sa façon simple et naturelle, sans chichis. Elle a une pâtisserie en ville, cette Klara, qui vend toutes sortes de choses délicieuses, méga trop bonnes et sucrées pour Nora qui se prive de sucre depuis dix ans.
Pour couronner le tout, Frank semble d'abord la détester, il est fou furieux qu'elle ait pris les enfants chez elle sans permission, puis s'en rapprocher d'une manière qui rend Nora hautement suspicieuse. Bref, la proximité de Klara dérange Nora qui se sent inférieure et doute d'elle-même. S 'ajoute à ça la pression pour écrire ce nouveau livre sur les 7 péchés capitaux, il faut le terminer très vite, insiste Frank, car ils ont besoin d'argent. Sans vraiment comprendre ce qui arrive, voilà Nora qui replonge dans ses errements passés : médicaments, cauchemars, hallucinations, obsessions. Elle perd tout contrôle sur elle-même, se donne en spectacle en public, néglige ses enfants et son travail.
Son mari, inquiet, l'emmène chez son psychiatre qu'elle connaît depuis longtemps car Nora a un lourd passé personnel et familial qui explique ses conduites addictives passées et son instabilité présente qui refait surface. La reine du contrôle de sa vie déconne soudain à plein tubes, voit des conspirations contre elle partout, soupçonne tout le monde et surtout Klara qu'elle croit reconnaître parmi les badauds sur la photo prise juste après son accident. Et d'ailleurs, puisqu'on en parle, elle semble se souvenir qu'on l'a poussée, elle sent encore la main de quelqu'un dans son dos...
Mais pourquoi ? Comme toujours, la réponse est déjà là, il suffit de bien regarder... et souvenons-nous qu'on peut choisir sa vie... Let's remain positive !
Musique
Frank Sinatra - Killing me Softly
Nina Simone - Feeling Good
Imperiet - Märk hur vår skugga
LE DERNIER PÉCHÉ - Rebecka Aldén - Denoël - 364 p. juin 2017
Traduit du suédois par Lucas Messmer