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Chronique Livre :
LE DERNIER VIOLON DE MENUHIN de Xavier-Marie Bonnot

Chronique Livre : LE DERNIER VIOLON DE MENUHIN de Xavier-Marie Bonnot sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Rodolphe Meyer était violoniste célèbre. Le public l'adulait, les critiques l'encensaient. Mais l'alcool a vaincu l'artiste.

Reclus dans une vieille ferme dont il vient d'hériter, Meyer vit ses derniers jours en compagnie du prestigieux Lord Wilton, le dernier violon de Yehudi Menuhin, modèle absolu de Rodolphe. Un matin d'hiver, alors que sa raison vacille, son double surgit de la nature sauvage et interroge l'artiste sur sa part d'ombre. Sur sa vérité.


L'extrait

« « Je jouais la Ciaccona jusqu’au bout. Valenton me remercia. Il était ému. Mon père ne dit rien. En posant le Milanollo, j’éclatais en sanglots. Le luthier dit :
« - Pour un grand artiste, la rencontre avec un Stradivarius est toujours un moment émouvant. Une entrée dans l’histoire…
« Croyez-le ou non, mais c’est à cette minute-là que j’ai eu la parfaite conscience que j’étais devenu Rodolphe Meyer, l’un des plus beaux violons du siècle, selon un critique parisien de l’époque.
L’Autre dit :
- Vous avez pleuré d’émotion. Je vous comprends.
- Non, vous ne comprenez pas. Je n’ai pas pleuré à cause du violon mais par la faute de mon père. Il avait décidé pour moi que je jouerais d’un instrument qu’au fond je n’avais pas désiré. Mon père décidait de tout. C’était un voleur d’âme. J’ai compris ce jour-là qu’il vivait une existence parallèle à travers moi. Je n’étais plus simplement son fils mais le prolongement de ce qu’il n’avait su être. La chair de sa chair, sa part d’âme en quête de lumière. Alors penser que son rejeton, Rodolphe Meyer, ne pouvait jouer que sur un Stradivarius ! J’étais supposé être le violoniste prodige le plus heureux du monde. Et en même temps j’étais l’enfant le plus triste. Celui qui n’avait pas le droit de choisir ses jouets, jamais. » (p.27-28)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Rodolphe Meyer s’est perdu depuis longtemps lorsqu’il arrive dans le village de Saint-Affrique afin d’organiser les obsèques d’Émilie, sa grand-mère. C’est chez elle qu’il a connu le plus ce qui pouvait ressembler à l’enfance, avec elle disparaît ce qui le reliait à son passé et son histoire. Lui, le virtuose, “l’un des plus grand violon du siècle”, n’est plus qu’une épave, un alcoolique à la main tremblante qui ne tire plus les sons merveilleux de Lord Wilton, l’instrument favori de l’immense Yehudi Menuhin, son violon depuis des années.

Victime d’un sabotage, sa voiture ne peut plus l’emmener loin de la ferme d’Émilie, vers sa vie d’ancienne gloire de la musique, Isolé par la neige dans la ferme de son aïeule, Rodolphe va se côtoyer jour après jour, se confronter à ses fantasmes et ses réalités, contempler son désordre intérieur et l’indescriptible chaos laissé en lui par une enfance sacrifiée de prodige, formaté afin de satisfaire les ambitions paternelles sous l’oeil complaisant d’une mère qui ne l’a pas aidé. Il n’y a que sa grand-mère qui voyait l’enfant en lui derrière le musicien de génie, mais elle n’est plus. Et de lui, que reste-t-il ?

Si peu. Une magnifique Mercedes en panne, une merveille de violon dont il ne sait plus tirer d’émotions, des affiches dans les villes annonçant ses concerts - barrées d’un bandeau “Annulé” -, des enregistrements et des souvenirs pas toujours très agréables. Subsiste aussi la fresque sur le mur de la salle de ferme, une scène champêtre à laquelle son frère, décédé dans un accident, avait ajouté un dessin représentant Victor, une légende locale. Un enfant sauvage qui hante la montagne et prend les vies de ceux qui entendent son chant. Fidèle au thème de La vallée des ombres, Xavier-Marie Bonnot nous raconte le retour aux sources après une longue absence d’un homme blessé, à l’enfance perturbée par un père “voleur d’âme”.

Rodolphe Meyer, l’artiste, le virtuose, se terre au coeur de l’hiver, au soir de sa vie, dans une masure sans confort, pour enfin faire le point, loin des lumières et des courtisans, seul face à lui-même et aux fantômes de son enfance. Entre onirisme et introspection, le violoniste va pourchasser l’enfant sauvage, celui qui n’a accepté d’être dompté, celui qui n’a pas de père et qui rôde comme un loup dans la forêt environnante. Au fil du récit, le citadin est repris par l’instinct, se régale des plaisirs simples de la nature. Il passe en revue les diverses couches de sa vie comme s’il ôtait à chaque souvenir une épaisseur de vernis à son violon fétiche jusqu’à revenir au bois brut, à l’essence même des émotions qu’il a si bien transmises grâce à lui. Tout y passe,ses amours, sa musique, sa relation avec Yehudi Menuhin, avec ses parents, sa famille, il tire le bilan de cette vie qui le fuit dans un dialogue sans concession entre lui et son double, inquisiteur redoutable, sachant poser les questions si longtemps retenues et dont toutes les réponses blessent.

Le dernier violon de Menuhin raconte la fin des illusions, le terme d’une existence de non-dits, de frustrations empilées, d’angoisse noyées dans des quantités d’alcool de plus en plus importantes jusqu’à ne plus pouvoir jouer du tout. Rodolphe a beau jouer sur le violon de Menuhin, il n’est pas lui et ne le sera jamais. Entre le maître et lui, il y a l’enfant sauvage, l’enfance écorchée, la colère et la peur, ça ne pardonne pas. Il faut attendre le baiser de la mort pour accepter de se regarder en face...

Tous ces sentiments qu’il a fait ressentir au public et qu’il ne s’est jamais autorisé à vivre vont comme l’étouffer dans la désolation de cette ferme devenue sienne par héritage. Il est le dernier des Meyer, avec lui s’efface et s’éteint la saga familiale. Hanté par Victor, Rodolphe perd la raison, ou la retrouve-t-il ? Les frontières entre songe et réalité s’estompent, le réel devient poreux, le rêve y perfuse en permanence jusqu’à ce qu’il devienne difficile de les distinguer.

En mélomane éclairé, Xavier-Marie Bonnot parle magistralement de musique, du rapport de l’homme à son art. Il sait traduire les rapports complexe de l’artiste à son instrument, du soliste à l’orchestre, les affres d’une partition difficile ou d’un tempo ardu. Il se fait poète lorsqu’il évoque les trilles et triples croches, l’archet qui caresse ou violente, les vibrations des cordes ou l’odeur du bois tricentenaire. C’est la seule façon de traduire en mots l’emprise immédiate et totale de la musique sur l’ensemble de nos sens.

Roman sombre d’une agonie, récit vibrant du duel implacable d’un musicien exceptionnel, ramené à sa condition d’homme, avec son double, Le violon de Menuhin met en mot une partition tragique, celle d’une enfance brisée et d’une vie gâchée, au son des sonates de Bach et des amours perdues. Un très beau texte profondément humain, un homme mis à nu qui boucle sa vie et se sépare peu à peu du superflu.


Notice bio

Xavier-Marie Bonnot vit à Paris. Écrivain et réalisateur de documentaires, il est l'auteur du Pays oublié du temps (Actes Sud, 2011, prix Plume de Cristal), de Premier homme (Actes Sud, 2013, prix Lion noir), La Dame de pierre (Belfond, 2015, prix du Meilleur roman francophone au festival de Cognac) et La Vallée des ombres (Belfond, 2016). Le dernier violon de Menuhin est son neuvième roman.


La musique du livre

Vaste playlist au fil du roman puisque Rodolphe a tout joué au cours de sa carrière, en plus de cette sélection, il est question de Brahms, Tchaikovsky, Mendelssohn, Jean-Sébastien Bach - Sonate N°3 en do majeur...

Jean-Sébastien Bach - Sonate en si mineur

Jean-Sébastien Bach - Partite

Jean-Sébastien Bach - La Ciaccona

Ludwig van Beethoven - Concerto en ré

Jean-Sébastien Bach - La Passion selon Saint-Matthieu - Christa Ludwig

Se Canta que Canta


LE DERNIER VIOLON DE MENUHIN – Xavier-Marie Bonnot – Éditions Belfond – 265 p. septembre 2017

photo : Pixabay

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