Quatre Sans Quatre

Chroniques Des Polars et des Notes Fiction Top 10 Recherche

Chronique Livre :
LE FESTIN DE L'AUBE de Janis Otsiemi

Chronique Livre : LE FESTIN DE L'AUBE de Janis Otsiemi sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

En pleine nuit et sous une pluie tropicale, une femme surgie de nulle part vient se jeter sous les roues de la voiture du lieutenant Boukinda. Bouleversé par ce tragique accident, il veut savoir d’où sort cette inconnue, d’autant que son décès semble suspect…

Au même moment, à quelques kilomètres de là, plusieurs individus pénètrent dans un camp militaire et s’emparent de nombreuses armes et d’un stock d’explosifs.

Plus tard, c’est dans une ville en ébullition, gangrénée par la violence et la pauvreté, qu’un braquage sanglant transforme le quartier en zone de guerre…

Les forces de sécurité, en alerte maximum, sont à la recherche de truands visiblement déterminés. Et c’est tout à fait par hasard que ces deux affaires, apparemment sans aucun rapport, vont se télescoper et révéler un terrible complot…

Sur fond de haine, de repli identitaire et de crise électorale, flics et gendarmes vont alors devoir s’épauler pour tenter de déjouer cette conspiration…


L'extrait

Celui qui te veut du mal la nuit a commencé à t’en vouloir le jour.

« Elle courait.
Elle courait face au vent, le vent qui voiturait des trombes d’eau, le vent qui lui éraflait le visage comme des coups de lanières.
Elle voulait tant s’accrocher à ses ailes pour n’être qu’un souffle qui la traînerait ailleurs qu’en ce lieu obscur…
Elle allongeait un pas après l’autre, mue par le désir de vivre. l’obscurité se prolongeait sous les premières lueurs de l’aube comme pour lui dénier toute chance de survie.
Elle avait l’impression de courir depuis des heures. Elle avait l’impression de tourner en rond dans ce labyrinthe d’entrepôts. Elle espérait que les derniers pas étoufferaient les premiers pour la sortir de cet enfer.
Elle avala quelques gouttes d’eau qui ruisselaient sur son visage. Elle avait le goût de la rouille dans la bouche. Elle la recracha.
Elle se mouilla les pieds dans une flaque stagnante qui lui gela les orteils. Elle frissonna. Mais le froid injecta une nouvelle énergie dans ses jambes flageolantes.
Les mains en croix sur ses seins comme si elle voulait se protéger des lames du vent, de la pluie, elle se retourna pour voir si la meute était à ses trousses. Sous le rideau d’eau, elle ne put distinguer les entrepôts ni les silhouettes de ses poursuivants.
Elle accéléra sa course. » (p. 9-10)


L'avis de Quatre Sans Quatre

« Là où il y a une marmite, on ne jette pas une pierre. »

La vie est belle, on revient tranquillement chez soi du mariage d’une cousine, même si l’orage gronde et la pluie tombe drue, et paf : un choc sur la carrosserie ! Une ombre à peine aperçue, le stress terrible lorsque l’on découvre qu’une jeune femme quasi nue s’est jetée sur la voiture. C’est ce qui arrive à Louis Boukinda, policier de son état, et à sa compagne, Jacqueline, qui attend désespérément que Louis lui propose de l’épouser… La blessée succombe à son arrivée à l’hôpital, le drame s’épaissit. Surtout si l’on considère que celle-ci avait suffisamment de venin dans le sang pour tuer un régiment. Et un nombre impressionnant de morsure de serpents sur tout le corps.

Boukinda obtient de pouvoir mener l’enquête sur cette affaire, et , avant tout, identifier la victime, qui a manifestement été retenue contre son gré et avait réussi à s’échapper lorsqu’elle a malencontreusement heurté la voiture. Qui peut bien l’avoir kidnappé et lui avoir fait subir un tel sort ? Assisté par son ami et collègue Envame, Louis va explorer minutieusement les alentours du lieu de l’accident, la jeune femme, à pied, ne pouvant pas venir de bien loin. Une fois en possession du nom, il devront comprendre comment une telle quantité de venin a pu se retrouver dans ses veines et qui peut posséder suffisamment de vipères pour obtenir ce résultat.

« Quand on coupe le mollet, que la cuisse ne se réjouisse pas. »

La même nuit, un étrange et inquiétant cambriolage se déroule dans une base de l’armée. Des armes de guerre et des explosifs disparaissent, de toute évidence dérobés par des gens connaissant les habitudes des gardes et la configuration des bâtiments. Sur ce coup, ce sont le capitaine Pierre Koumba (déjà présent dans Les voleurs de sexe) et son adjoint, Owoula, qui vont se charger des investigations. La situation politique n’est pas stable, des élections ne vont pas tarder et un attentat est toujours possible. Koumba est le tout nouveau directeur des affaires criminelles de la police judiciaire de Libreville. Un poste prestigieux mais pas simple à assumer dans un pays rongé par la corruption et l’instabilité politique.

Peu de temps après, un des fusils d’assaut volés réapparaît lors d’un braquage sanglant. Le grand banditisme devient donc une piste privilégiée sur cette affaire. Koumba et Owoula se mette en quête des traces de l’argent évaporé alors que les habitants de Libreville, las de la misère et de la violence qui règnent dans les rues, s’agitent de plus en plus.

« Les oreilles ne sont pas polygames. »

Bien entendu, comme il est de mise, les deux enquêtes et les deux paires d’enquêteurs vont se rejoindre au cours du récit palpitant mêlant la politique, toujours volcanique en Afrique, la criminalité, avec ça et là des touches de pratiques magiques essentielles dans la culture locale. Janis Otsiemi n’a pas perdu son don de conteur, ni sa si belle langue imagée qui enrichit la francophonie de néologismes pertinents et savoureux. L’intrigue est savamment embrouillée, menée avec une habileté diabolique. Le lecteur suit tout autant la vie personnelle des policiers que leurs investigations, il est embarqué au plus près d’une histoire aux personnages de flics attachants, drôles, habités par leurs fonctions les mettant, tour à tour, face au crime, à la folie ou aux extrémismes politiques. Les petites combines des arrivistes de la hiérarchie compliquant encore un peu plus leur tâche rendu déjà difficile par le peu de moyens dont ils disposent.

Guerre entre services oblige, Koumba et Boukinda collaborent, certes, mais sont loin de mettre en commun toutes leurs informations, il faudra encore une fois un peu de chance, le regard bienveillant du hasard et toutes leurs capacités de réflexion et un solide sixième sens à ces deux flics pour démêler tous les fils des intrigues qui leur sont proposées. Les femmes jouent un rôle important, malgré le machisme ambiant, elles mènent leurs hommes à la baguette. Ce qui n’empêche aucunement ceux-ci de multiplier les aventures. Jacqueline et Joséphine, l’épouse d’Envame, sont réellement partie prenante des activités de leurs époux respectifs qui prennent grand soin de ne pas les contrarier.

«  On ne lave pas la figure avec un seul doigt. »

Au-delà des deux affaires, c’est tout le marigot de la politique en Afrique qui est mis en avant, entre corruption, trafic d’influence et élections truquées qui est évoqué ici - bien que nous n’ayons plus à ce sujet de leçons à donner -, la partie obscure des jeux de pouvoir qui sous-tend ce polar, les manipulations à divers niveaux de gens qui ne comprennent pas le rôle exact qui leur est dévolu dans une histoire qui les dépasse. La misère n'explique pas seule la rage qui habite la population, le sentiment récurrent de se faire voler les résultats de consultations prétendument démocratique, la xénophobie (halés, sur ce continent aussi) et les magouilles mises au jour contribuent grandement à faire monter les exaspérations.

Sans oublier bien sûr le ravisseur de jeunes femmes et son rituel venimeux dont la traque permet de rencontrer des personnages énigmatiques particulièrement dépaysantes.

Découpé tel un scénario de film d’action captivant, Le festin de l’aube peut se lire à plusieurs niveaux, du simple roman policier à la satire des moeurs politiques locales, peu importe il passionne tout autant et apporte un souffle nouveau, venu d’Afrique, sur le genre. En préambule de chaque chapitre, un proverbe africain donne le ton de ce qui va suivre, une très jolie façon de mettre dans l'ambiance.

Un polar superbement écrit, de beaux personnages dans un Gabon bouillonnant, entre traque d’un tueur en série et intrigue politique terroriste...


Notice bio

Janis Otsiemi est né en 1976 à Franceville au Gabon. Il vit et travaille à Libreville. Il a publié plusieurs romans, poèmes et essais au Gabon où il a reçu en 2001 le Prix du Premier Roman gabonais. Plusieurs de ses romans sont disponibles aux Éditions Jigal Polar : La vie est un sale boulot, Le chasseur de lucioles, African tabloïd, La bouche qui mange ne parle pas, Les voleurs de sexe.


LE FESTIN DE L'AUBE – Janis Otsiemi – Jigal Polar – 269 p. mars 2018

photo : Libreville vue du ciel - Wikipédia

Chronique Livre : LA RÉPUBLIQUE DES FAIBLES de Gwenaël Bulteau Chronique Livre : UNE DÎNER CHEZ MIN de Qiu Xiaolong Chronique Livre : LA BÊTE EN CAGE de Nicolas Leclerc