Chronique Livre :
LE JOUR OÙ KENNEDY N’EST PAS MORT de R.J. Ellory

Publié par Psycho-Pat le 23/09/2020
Quatre Sans Quatrième… de couv…
La vérité est plus forte que tout.
C’est l’une des histoires les plus connues au monde – et l’une des plus obscures. Le 22 novembre 1963, le cortège présidentiel de John F. Kennedy traverse Dealey Plaza. Lui et son épouse Jackie saluent la foule, quand soudain…
Quand soudain rien : le président ne mourra pas ce jour-là. En revanche, peu après, le photojournaliste Mitch Newman apprend le suicide de son ex-fiancée, Jean Boyd, dans des circonstances inexpliquées. Le souvenir de cet amour chevillé au corps, Mitch tente de comprendre ce qui s’est passé. Découvrant que Jean enquêtait sur la famille Kennedy, il s'aventure peu à peu dans un monde aussi dangereux que complexe : le cœur sombre de la politique américaine.
L’extrait
« Si son cœur n’avait jusque-là été que partiellement brisé, il était désormais irréparable.
Il n’était pas seulement en proie à des émotions dont il ne voulait pas ; il devait également lutter contre la colère et le ressentiment que le simple fait de les éprouver lui inspirait. Il avait été l’architecte d’une grande cathédrale d’ambition, mais celle-ci n’avait pas de fondations sur lesquelles s’ériger.
Il avait pris le mauvais chemin, persuadé qu’il le mènerait au bon endroit.
Il avait l’impression que sans Jean la vie ne serait que la moitié de ce qu’elle aurait pu être. Peut-être même ne serait-ce pas une vie.
Ça, c’était plus de treize ans plus tôt, et maintenant elle était morte.
Un suicide.
Ça ne collait pas. Ce n’était pas logique. Ça n’avait pas de sens. Mais au bout du compte, qu’est-ce qu’il en savait ? Il avait connu Jean adolescente, elle n’avait que dix-neuf ans la dernière fois qu’il l’avait vue. Le lendemain serait le quatorzième anniversaire du premier engagement de l’armée américaine en Corée : le jour où il avait compris ce qu’était qu’être réellement abasourdi et terrifié, le jour où il s’était rendu compte qu’une vie comme celle de Capa ou de Carl Mydans ou de Hank Walter était un fantasme naïf. Pendant que Hank Walter prenait le cliché qui lui vaudrait de remporter le grand prix de la photo, Mitch Newman gerbait dans un casque en acier et chialait comme un bébé.
Presque autant d’années s’étaient écoulées depuis ce jour qu’il n’en avait vécu avant. Les choses changeaient. Les gens changeaient. Nul instant ne pouvait être répété. À aucun moment de la vie. La lumière, les émotions, les bruits - tous étaient uniques, non seulement en eux-mêmes, mais pour chaque être humain. Tout le monde percevait les choses à travers des sens différents, émettant des jugements fondés sur une expérience singulière et originale. Jean avait vécu une vie sans lui, et il ne saurait jamais comment celle-ci l’avait menée à connaître une telle fin.
Il avait promis à sa mère, Alice, de découvrir tout ce qu’il pourrait. Il lui devait au moins ça. Et lui aussi voulait savoir. Il devait - avait besoin de - comprendre.
Peut-être en vérité voulait-il apaiser son sentiment de culpabilité. Il fallait qu’il sache si le fait qu’il l’avait abandonnée et était parti avait joué un rôle dans le drame qui se déroulait désormais. Égoïste, peut-être, mais ça le rongeait comme un cancer et il ne pouvait le contrôler. » (p. 34-35)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Et si ... ? Et si JFK n’était pas mort à Dallas ? Et si Lee Harvey Oswald avait tiré sur une autre personne ? Avec des si, on peut mettre Paris en bouteille, mais on peut surtout écrire un superbe roman noir comme R.J. Ellory sait si bien le faire. Assurément politique, ce récit règle le compte de nombreuses fables sur John Fitzgerald et sa famille. Le prince charmant de l’Amérique n’en sort pas grandi, loin de là, son père et son frère, Bobby, le procureur général, non plus. Magouilles, pressions, mafia irlandaise, trucage de scrutins, népotisme, manipulations, mensonges, violences, voire assassinats, rien ne manque à leur palmarès. Quant aux multiples relations qu’entretenait JFK avec de très nombreuses jeunes femmes - il n’y a pas eu que Marylin - elles forment une bonne part de l’intrigue. Son état de santé également, source de bien des rumeurs et d’autant de tromperies des citoyens américains...
Mitch Newman a raté sa vie, du moins en est-il persuadé, et rien dans son existence ne vient lui prouver le contraire. Ex-espoir du photoreportage, il a voulu plus que tout partir avec le corps expéditionnaire en Corée, se rêvant en star, façon Robert Capa. Hélas, la réalité ne correspond que très très rarement à nos aspirations, et il fut renvoyé, piteux et traumatisé, dans ses foyers, quatre mois après son départ en fanfare. En quittant les USA, Mitch avait abandonné l’amour de sa vie, Jean Boyd, alors âgée de dix-neuf ans, journaliste bourrée de talent. Les deux amoureux devaient passer leur vie ensemble, ils ne s’étaient plus jamais quittés depuis leur rencontre. Jean l’a supplié de rester, il a vacillé, mais n’a pas pour autant renoncé. Anéantie par ce qu’elle considéra comme une trahison, Jean ne voulut plus jamais entendre parler de Mitch. Celui-ci tenta bien de lui écrire, en vain, elle ne lui répondit pas. Ne resta au photographe que la boisson et la dégringolade professionnelle et personnelle...
Quatorze ans plus tard, Mitch reçoit un appel de la mère de Jean qui lui apprend le suicide de sa fille. Sans hésiter, Newman se rend chez elle et tous deux ne parviennent pas à imaginer Jean mettant fin à ses jours. Elle lui demande d’enquêter sur les derniers jours de sa fille, sur l’ultime sujet qu’elle creusait, un sujet qui avait tout à voir avec un certain JFK, les élections passées et à venir. Ainsi que sa façon très particulière de traiter les jeunes femmes, dont il usait et abusait avec la complicité active des services secrets. Déterminée, obstinée, Jean n’avait pas ménagé sa peine et Mitch, à sa suite, va remonter l’ensemble de son parcours, reprendre ses recherches et réentendre tous les témoins avant de comprendre ce qui a pu arriver à celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer.
R.J. Ellory raconte ici ce qui a soigneusement été glissé sous le tapis par les hagiographes du président assassiné à Dallas. Il poursuit l’histoire, pose les questions qui se seraient posées aux Américains s’il n’y avait eu ce fameux jour, ce 22 novembre 1963 à Dallas, si l’investiture pour la prochaine échéance avait dû avoir lieu, s’il avait fallu effectuer un vrai bilan de l’action de JFK à la présidence. On croise dans ces pages, Salinger, Bobby Kennedy, Nixon, Lyndon Johnson et bien d’autres personnages historiques, tentant de protéger, ou de déstabiliser, un John Fitzgerald cynique, camé, obsédé sexuel, méprisant, pas réellement doué pour la politique, misant tout sur son charisme, bien réel, pour séduire les foules. Une sale histoire, de sales individus, des coups tordus, des jeunes filles qui se font broyer par la machine d’État, la légende en prend un coup sérieux !
Et puis il y a cette pathétique et belle histoire d’amour avortée entre Mitch et Jean, cette impossible rédemption maintenant que la femme de sa vie est morte que le photographe cherchera pourtant en poursuivant jusqu’au bout une quête de vérité qui pourrait bien lui coûter la vie. Chaque jour, il va relire une des lettres qu’il a adressé à Jean depuis son retour, se perdre dans ses propres mots comme pour entretenir son chagrin et ses remords. Ces deux aspects de l’intrigue sont aussi passionnants l’un que l’autre, Ellory est un fantastique conteur et il le fallait pour s’attaquer à un mythe tel que JFK, et en tirer une aussi sublime idylle du tas de boue s’amoncelant peu à peu autour de la famille Kennedy.
Captivant, édifiant, ce formidable roman noir met en lumière les sombres facettes cachées d’une légende, JFK, tout en racontant la touchante et tragique histoire d'amour de deux journalistes ...
Notice bio
Roger Jon Ellory est né en 1965 à Birmingham. Il n'a pas connu son père, qui aurait été un voleur hollandais, et sa mère est décédée alors qu'il n'avait que 8 ans. Confié à sa grand-mère, celle-ci, de santé précaire, décide de le confier à l'orphelinat. C'est dans la bibliothèque de cette institution qu'il fera connaissance avec la littérature, il apprend également la trompette classique et jazz.
Après un bref séjour en prison pour vol, il monte un groupe de rock, The Manta Rays, où il jouera de la guitare. Vivant dans des conditions déplorables dans un studio qu'ils ont construit dans la maison de sa grand-mère, le batteur y décède d'une crise d'asthme. R. J. Ellory se tourne alors vers la littérature et publie son premier roman après plus de 120 refus.
Depuis 2008, avec Seul le silence et Vendetta, tous les deux chez Sonatines, il enchaine des thrillers magnifiques au style unique qui font de lui un des plus grands écrivains du genre actuellement. Ses cinq dernières parutions, Les Neuf Cercles (2014), Les Assassins (2015), Un cœur sombre (2016), Les fantômes de Manhattan (2018) et, enfin, Le Chant de l’assassin (2019), toujours chez Sonatine Éditions, ainsi que Papillon de Nuit (2015), son premier roman édité dans la collection Sonatine +.
La musique du livre
Ted Weems - Heartaches
The Harmonicats - Harmonicats Boogie
The Beatles - I Wanna Hold Your Hand
LE JOUR OÙ KENNEDY N’EST PAS MORT - R.J. Ellory - Sonatine Éditions - 427 p. juin 2020
Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
photo : Wikipédia