Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LE MANÈGE DES ERREURS de Andrea Camilleri

Chronique Livre : LE MANÈGE DES ERREURS de Andrea Camilleri sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

Le commissaire Montalbano, toujours aussi gourmet mais désormais également préoccupé par son propre vieillissement, doit cette fois-ci s’occuper de deux affaires sans lien apparent : celle de l’enlèvement successif de trois belles employées de banque, lesquelles réapparaissent toutes miraculeusement le lendemain des faits, et celle de la disparition d’un don Juan -vendeur de matériel électronique- dont le magasin a été dévasté par un incendie peu avant.

Afin de résoudre ces deux enquêtes, Montalbano devra dissiper les écrans de fumée qui se dresseront devant lui et ne pas se laisser entraîner par des erreurs qu'il pourrait bien commettre s'il n'y prend garde.

Heureusement, le petit monde du commissariat de Vigàta, avec l’ineffable Catarella en tête, et, de manière plus inattendue, la mafia seront là pour le conseiller et le soutenir.


L’extrait

« Montalbano poussa un grand soupir de soulagement. Cette histoire resterait confidentielle.
- Il y a du neuf ?
- De mon côté, juste le vol d’une voiture dont le propriétaire ne s’est aperçu qu’à son retour de voyage, répondit Augello.
- Moi, en revanche, j’ai ‘ne histoire curieuse à raconter, annonça Fazio.
- Raconte-la-moi.
- À hier soir, tard, quand vous étiez déjà partis, s’est aprésenté un monsieur, un certain Agostino Smerca, qui est venu porter plainte pour ce qui est arrivé à sa fille Manuela.
- À savoir ? demanda Augello, impatient.
- C’te Manuela qui est ‘ne trentenaire plutôt attirante - Smerca m’a montré une photo - habite avec son père, qui est veuf, dans une villa assez loin. Elle est caissière au Banco Siculo et finit la besogne à six heures et demie. Comme elle n’aime pas conduire, elle prend le bus circulaire et puis elle marche dix minutes pour arriver à la maison, sur une route qui est presque toujours vide, quand elle a vu une voiture arrêtée, capot soulevé avec un homme qui regardait à l’intérieur. Elle venait juste de le dépasser lorsqu’elle a senti le canon d’un revolver s’appuyer avec force dans son dos et ‘ne voix d’homme qui disait : « Ne crie pas ou je te tue. » Puis on lui a collé sur le nez et la bouche, un tampon imbibé de chloroforme et la pauvre fille s’est évanouie.
- Pourquoi c’te Smerca ne s’est adécidé à porter plainte qu’hier soir ? demanda Augello.
- Passque sa fille ne voulait pas. Elle n’avait pas envie de venir nous voir et de se retrouver dans toutes les conversations au pays.
- Il l’a violée ?
- Non.
- Volée ?
- Non.
- Frappée ?
- Non.
- Mais qu’est-ce qu’il lui a fait ?
- Et ça, c’est le tracassin. Il lui a rin fait, rin de rin. Absolument rin. La fille s’est aréveillée une heure et demie plus tard en pleine campagne. Son sac à main à côté d’elle. Elle l’a ouvert, rin ne manquait. Alors, elle s’est orientée, elle a compris où elle était et elle a appelé un taxi sur son portable. Et c’est tout. » (p. 26-27-28)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Le commissaire Montalbano ne pouvait plus mal commencer sa journée. Parti de chez lui sans ses papiers, il se trouve contraint d’intervenir au milieu d’une rixe de rue, se trompe de cible, et le voilà embarqué au poste par un jeune carabinier qui ne reconnaît pas le célèbre policier. Tout juste remis de sa colère d’avoir été ainsi alpagué comme un malfrat, ses adjoints Augello et Fazio lui annonce une bien étrange affaire : deux jeunes femmes, travaillant dans deux établissements bancaires distincts ont été enlevées, puis relâchées. Sans demande de rançon, sans agression sexuelle, sans vol. Incompréhensible. Elles ont été endormies au chloroforme alors qu’elle passait à côté d’un individu, feignant de réparer une panne, penché sous le capot de sa voiture, puis soustraites de la circulation quelques heures, avant d’être libérées par la suite dans un lieu isolé. Un vrai mystère qui inquiète Montalbano, celui-ci ne sait pas trop comment ce début de série va se poursuivre. Si l’auteur des faits voulait s’attaquer aux banques, il ne s’en prendrait pas à des employées de guichet qui n’ont aucune influence, et dont la direction ne se soucie guère. Que veut-il donc ?

Comme si ces deux kidnappings ne suffisaient pas à l’occuper, Montalbano doit également prendre en charge l’enquête sur l’incendie suspect d’une boutique de matériel informatique, appartenant à un certain Marcello Di Carlo, par ailleurs introuvable. Pour ce dossier, le mobile est peut-être plus simple à découvrir, le propriétaire du magasin, flambeur invétéré, est couvert de dettes et a refusé récemment de payer le pizzo, l’impôt institué par la mafia, qui venait d’être augmenté. Marcello venait de rentrer de vacances sur l’île de Lanzarote. Ce séducteur impénitent semblait, selon son ami Bonfiglio, être tombé amoureux et il devait lui présenter la jeune femme dès son retour... Entre toutes ces disparitions, le commissaire ne sait plus où donner de la tête, et son calvaire n’est pas terminé... Il n’y a pas que les boutiques qui s’enflamment, la voiture ayant servie aux deux premiers enlèvements est retrouvée calcinée. Par chance, tout n’a pas brûlé.

Une troisième jeune femme, travaillant également dans une banque, est victime du maniaque. L’affaire est plus grave puisque celle-ci est retrouvée entièrement nue et couverte d’entailles faites au couteau, sans que sa vie ne soit en danger. Mais que se passera-t-il pour la ou les suivantes ? La pression s’accroit sur Montalbano, le procureur, les banquiers, la population, tout le monde réclame des résultats rapides. Le commissaire, lui, se plaint de son âge, imagine ses facultés l’abandonner petit à petit, le moral n’est plus là, au point même qu’il en perd - pour un temps seulement, rassurez-vous - son légendaire appétit.

La psychose s’installe à Vigàta, les esprits s’échauffent et les élites financières commencent à prendre peur : les guichetières ne sont peut-être que les premières victimes d’une liste sur laquelle elles figurent également. De son côté, le commissaire sent que les deux affaires sont liées et que la mafia n’a rien à voir dans l’incendie. Cette façon d’agir n’est pas dans ses manières. Au milieu de son équipe habituelle, dont Catarella et ses annonces téléphoniques fantasques, toujours aussi drôles, il va, comme à son habitude, à son rythme, lever un à un les voiles d’un imbroglio dont Andrea Camilleri a le secret, entre comédie et tragédie, dans sa langue savoureuse si magnifiquement rendue par Serge Quadruppani, son traducteur habituel. Un peu moins sombre que les deux précédents, bien sombres sur l’avenir de la Sicile que l’auteur voyait étouffer entre les bras de la Pieuvre (mafia), plus intimement centré sur le vieux policier, ses nombreuses allusions à l’âge qui est là, à la fatigue et à la baisse de sa sagacité légendaire. Même si les deux dossiers auxquels le commissaire s’attaque sont un embrouillamini inextricable et qu’encore une fois Montalbano va démontrer son flair, sa ruse et toute l’étendue de son talent à résoudre les intrigues les plus tordues. Et retrouver son appétit d’ogre...

Encore un polar inimitable, savoureux, à l’intrigue retorse, Montalbano, vieillissant, prouve une nouvelle fois qu’il n’a pas son pareil en Sicile pour résoudre une énigme aussi tordue soit-elle.


Notice bio

Italien d’origine sicilienne, né en 1925, décédé en 2019, Andrea Camilleri a mené une longue carrière de metteur en scène pour le théâtre, la radio et la télévision, avant de se tourner vers la littérature. D’abord auteur de poèmes et de nouvelles, Camilleri s’est mis sur le tard à écrire dans la langue de sa Sicile natale. Il a connu le succès avec sa série consacrée au commissaire Montalbano. Son héros, un concentré détonnant de fougue méditerranéenne et d’humeur bougonne, évolue avec humour et gourmandise au fil de ses enquêtes, entre autres : La Forme de l’eau (prix Mystère de la Critique 1999), Le Tour de la bouée (2005), Un été ardent (2009), Les Ailes du sphinx (2010), La Piste de sable (2011), Le Champ du potier (2012, lauréat du CWA International Dagger Award), L’Âge du doute (2013), La Danse de la mouette (2014), La Chasse au trésor (2015), Le Sourire d’Angelica (2015), Jeu de miroirs (2016), Une voix dans l’ombre (2017), Nid de vipères (2018) et La pyramide de boue (2019). Camilleri a reçu en 2014 le prix Federico Fellini pour l’excellence artistique de son œuvre. Tous ont été publiés chez Fleuve Éditions et sont repris chez Pocket.


LE MANÈGE DES ERREURS - Andrea Camilleri - Fleuve Éditions - collection Fleuve Noir - 252 p. novembre 2020
Traduit de l’italien (Sicile) par Serge Quadruppani

photo : 13986108 pour Pixabay

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