Chronique Livre :
LE PLUS LOIN POSSIBLE de Maureen Mc Carthy

Publié par Dance Flore le 08/03/2017
photo : Pixabay
So who's the writer ?
Maureen McCarthy est une romancière australienne et la neuvième d'une famille de dix enfants. Elle a grandi dans une ferme près de Yea qui se trouve à une centaine de kilomètres de Melbourne dans le comté de Victoria. Elle a écrit plusieurs romans dont certains ont été adaptés à la télévision.
What's it all about ?
Tess a 21 ans et une petite Nellie de 3 ans. Sous ses vêtements et ses cheveux, on trouve des plaies et des bleus, œuvre de son compagnon Jay. Elle vit depuis plus de trois ans comme ça, sous l'emprise de cet homme qui lui fait peur et qui a juré qu'il la retrouverait où qu'elle essaie de se réfugier. Elle est loin de sa famille avec qui elle n'a quasiment plus aucun contact depuis qu'elle vit avec Jay à Byron Bay, loin des lieux de son enfance, ayant renoncé à faire des études et plantant tout le monde là.
Et puis, une nuit, Tess trouve le courage de s'enfuir...
Just a little bite :
« Il fait courir sa main sur mes cuisses, de haut en bas, plusieurs fois, puis il me retourne et me souffle au visage son haleine aux relents aigres de vodka, empoigne mes seins, avant de monter sur moi, d'écarter mes jambes des deux mains et de me pénétrer brutalement, comme s'il avait tous les droits. Il me fait affreusement mal. Pourtant je suis contente. Vraiment contente, parce que parfois, quand il a bu,il est trop fatigué et s'endort aussitôt. Puis il se réveille au bout de quelques heures, déshydraté et contrarié. Alors qu'il devrait sombrer dans un sommeil de plomb, ce qui est exactement l'effet recherché.
Essaie de me quitter et je te retrouverai. Jamais une femme ne déconnera avec moi, chérie. Je suis sérieux.
Mais tu dis que tu m'aimes ?
Bien sûr que je t'aime.
Et il ne plaisante pas. Dans cette propriété, les moyens de faire disparaître un corps ne manquent pas. Par ailleurs, plus personne en ville ne se soucie de moi. D'ailleurs, pour autant que je sache, il se peut aussi très bien qu'il soit sincère en prétendant m'aimer.
Je reste allongée près de lui sans bouger et, peu après, il se remet à respirer profondément, sans ronfler mais en prenant de longues respirations régulières. Jusque-là tout va bien. J'ai moi-même du mal à croire ce que je m'apprête à faire. Ca paraît si irréel, comme si une personne inconnue avait bricolé la machinerie de mon cerveau et appuyé sur un bouton vert. Les flashs rouges et orange clignotent tandis que les pistons et les leviers entrent lentement en action.
Je descends tout doucement du lit, ramasse la pile de vêtements que j'avais sciemment laissée par terre - jean, T-shirt, pull-over et veste – et sors sur la pointe des pieds. » (p.16 et 17)
So come on, Dance, what did you think of it ?
C'est un personnage attachant, Tess. Elle est née dans une famille de quatre enfants, mais c'est la dernière, celle qui rate tout : ses deux soeurs et son frère sont doués, intelligents, travailleurs. Leur mère leur a choisi des prénoms d' exception mais elle, elle porte le prénom de son arrière-grand-mère Therese, la folle, internée un jour à 32 ans pour ne plus jamais en sortir et morte deux ans plus tard sans avoir jamais revu aucun de ses quatre enfants. Elle porte le prénom de la folle, sous sa forme diminutive Tess. Sa mère l'a voulu ainsi pour que jamais cette ancêtre ne soit oubliée.
La folie, c'est quelque chose qui court dans la famille apparemment, qui se lègue comme une vilaine maladie honteuse. Ca passe de mère en fille, dit-on. La mère de Tess est une femme fantaisiste, cultivée, aux emballements aussi extravagants que passionnés. Quand son mari meurt, elle déprime et finit par quitter ses quatre enfants, comme ça, une nuit, sans plus donner de signe de vie. D'abord la mort du père puis la disparition de la mère... Les quatre enfants doivent réagir et c'est Beth, la plus âgée qui se démène comme elle peut pour assurer le quotidien, cumulant deux emplois, renonçant temporairement à ses études pour s'assurer que ses frères et soeurs en font, eux. Sauf Tess. Une vraie déception. Elle rate tout. Elle n'obtient aucun diplôme, ne sait rien faire de bien, n'est même pas aimable... Sa mère lui avait dit qu'elle était la conteuse de la famille, et c'est bien la seule chose qu'elle sache faire : écrire. Mais tout le monde s'en fiche. Ecrire, comme si ce qu'une gamine écrivait pouvait avoir de l'intérêt.
Constante déception pour tous, mauvaise tête et complètement nulle, voilà le portrait de Tess. Une camarade lui propose de partir avec elle et deux autres filles dans le sud, au bord de la mer, à Byron Bay, pour des vacances. Elle accepte.
Là elle découvre une autre vie, insouciante, gaie, où personne ne lui reproche d'être minable et incapable.
Elle rencontre Jay, tombe amoureuse, se fait des amis et décide de ne pas repartir et de profiter de l'occasion qu'on lui offre d'être serveuse, logée pour presque rien dans un joli studio meublé qui appartient à son patron.
C'est une façon de prendre enfin les commandes de sa vie, de passer de l'état de ratée et de loseuse à celui de jeune femme désirée, émancipée et libre. Evidemment, ce faisant, elle rompt les liens qui l'unissaient à sa famille, se remettant ainsi complètement entre les mains de Jay et de sa famille.
Personne n'a l'air de trouver que ce type est un type bien et, de fait, c'est un musicien raté qui gère maintenant avec l'aide de ses frères et de sa mère une boîte de nuit, lieu de pas mal de trafic.
Alors voilà, arrive ce qui doit arriver, Tess tombe sous l'emprise de Jay, plus âgé qu'elle, mystérieux, impérieux, mais aussi brutal et manipulateur. Autant il peut être tendre, doux et attentionné, autant il peut être violent et effrayant, exigeant d'avoir le contrôle permanent sur ses faits et gestes, la réduisant à l'état de petite souris craintive, repliée sur elle-même, attentive à ne pas déplaire. Au début elle est fière d'être la petite amie de ce type craint et séduisant, puis elle en a peur et se replie sur elle-même et sur sa fille Nellie.
Il le lui a dit plusieurs fois, on ne le quitte pas, il la retrouvera où qu'elle aille et elle sait qu'il ne bluffe pas, il en est tout à fait capable. Son emprise sur elle est totale, elle ne se plaint pas, elle ne dit rien à personne, elle ne se rebiffe pas, elle se relève comme elle peut à chaque fois qu'elle est frappée, puisant du courage en pensant à sa fille et en écrivant dans des carnets qu'elle cache de Jay, bien sûr.
Un jour, pourtant, elle décide de partir. Pas après une énième brutalisation, non, juste parce que ce jour-là elle rencontre deux personnes qui peuvent l'aider : un jeune homme et sa petite amie qui vivent loin, sont de passage seulement, et acceptent de l'embarquer en voiture, elle et sa fille, pour qu'elle s'échappe et retrouve sa famille qu'elle n'a pas vue depuis des années.
Commence un long périple avec Harry, le jeune homme qui a accepté de l'aider et qui lui-même est rescapé d'un accident de moto qui l'a laissé borgne et amputé d'une jambe, une main très abîmée et donc incapable de devenir le musicien prodige qu'il était censé devenir. Un survivant, lui aussi.
Pour Tess, il va falloir tout apprendre : l'amitié, la confiance, la liberté. Elle doit également retrouver sa famille, se confronter à la culpabilité d'être partie, comme sa mère l'avait fait avant elle, et à une autre culpabilité, beaucoup plus ancienne celle-là, qui a fait voler la cellule familiale en éclats.
Tu es la conteuse de la famille lui avait dit sa mère avant de partir. Alors écrire pour de vrai, enfin.
Il est bien question de violence domestique ici, bien sûr et de l'emprise qu'un homme peut avoir sur une jeune fille manquant de confiance en elle-même. Le processus de dépersonnalisation et d'installation de la peur qui fait obéir est très bien décrit. Jay est un pauvre type, dans le genre attachant et séduisant, un loser qui se venge de ses déboires sur une toute jeune fille, facile quoi. En plus de boire et de se droguer, il aime bien cogner sa femme et sa fille, ça doit l'aider à surmonter ses angoisses existentielles sûrement. Il ne tolère pas qu'on lui résiste ni qu'on lui dise non, alors le plaquer, je vous laisse imaginer. Tess est éblouie par lui au premier abord, la liberté qu'il semble représenter, l'accession au statut de femme et de compagne, l'importance qu'elle paraît soudain avoir aux yeux d'un homme. Pour elle qui n'a fait que pâtir de la comparaison avec son frère et ses deux sœurs, Jay est tout ce dont elle s'imagine avoir besoin. Et puis la réalité la rattrape, et elle ne veut pas l'accepter, pour commencer bien sûr... impossible de se dire qu'on a tout envoyé valdinguer et qu'on s'est planté à ce point-là en se privant, qui plus est, du secours de ses proches...
Et puis retrouver sa famille, c'est renouer avec les vieilles rancoeurs.
C'est Nellie qui va être le trait d'union entre Tess et les siens, cette petite fille lumineuse à la personnalité très affirmée, qui va donner la force à chacun de se remettre en question pour dépasser les conflits anciens.
Et puis il s'agit aussi de maladie mentale et du stigma qui y est attaché. Therese, l'arrière grand-mère de Tess a été admise à l'hôpital psychiatrique et laissée à ses angoisses, elle est devenue de plus en plus malade jusqu'à mourir deux ans plus tard dans la solitude totale, sans avoir pu revoir aucun de ses enfants. C'est une maladie qu'on préfère cacher et on en guette les manifestations chez les femmes de la famille. La seule solution envisagée est de mettre la personne qui souffre en dehors de la société, loin des regards, plongée dans l'oubli. Le destin de Therese est profondément bouleversant car sa tristesse et l'absence de soins appropriés donnés à cette jeune femme trop sensible pour faire face à un drame familial (la mort brutale de sa jeune sœur adorée) la conduisent à la mort aussi sûrement que si on l'avait tuée de sang-froid. Les femmes ne doivent pas attirer l'attention ainsi sous peine d'être considérées comme dingues et dangereuses, une source d'humiliation pour leur famille et pour elle-même. Le rôle de la femme n'est pas d'être remarquée mais de s'acquitter de ses devoirs de mère de famille et d'épouse avec modestie et discrétion, évidemment... La mère de Tess, puis Tess elle-même sont regardées avec suspicion, parce que fragiles, tendres et parcourues d'émotions violentes toutes les deux.
Une sorte de passage de témoin se fait entre l'aïeule décédée si tragiquement et son arrière-petite-fille, par l'intermédiaire de l'écriture bien sûr.
Je parierais bien sur une suite, moi...
Musique :
Django Reinhardt – Minor Swing
Tchaikovsky - Concerto pour violon en ré majeur, Op. 35
Buddy Holly - That'll Be The Day
LE PLUS LOIN POSSIBLE - Maureen Mc Carthy – Éditions Denoël - 427 p. mars 2017
Traduit de l'anglais (Australie) par Frédéric Brument