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Chronique Livre :
LE SANG DU MONSTRE de Ali Land

Chronique Livre : LE SANG DU MONSTRE de Ali Land sur Quatre Sans Quatre

photo : Pixabay


Le pitch

Annie, quinze ans, est la fille d'un monstre tueur d'enfants : sa mère. Elle l'a dénoncée à la police et a été placée dans une famille d'accueil dans un quartier chic de Londres. Le père de cette famille, Mike, est psychologue et Saskia, son épouse désoeuvrée, traîne ses névroses entre yoga et shopping. Le problème n'est pas là, le vrai souci se nomme Phoebe, la fille de la famille, qui voit d'un mauvais œil la nouvelle venue, prénommée désormais Milly pour la protéger. Enfin presque. Il y a aussi les pensées et ce que Annie n'a pas dit.

Milly tente désespérément de vivre normalement, de ne pas se faire remarquer dans la très distinguée école privée où elle va en cours avec Phoebe et ses garces de copines. Elle a beau multiplier les efforts, la jeune fille peine à s'intégrer. C'est avec une très jeune adolescente d'une cité défavorisée, Morgan, qu'elle va se lier d'amitié. Milly est hantée par la peur de ressembler à sa mère.

Dans la famille d'accueil, Phoebe, toujours elle, multiplie les brimades. Elle ne sait pas vraiment qui est Milly, surtout pas le secret qu'elle cache soigneusement, mais est d'une jalousie féroce et lui fait payer le simple fait d'être là. Milly est sous tension permanente, la préparation du procès, les médias qui diffusent en boucle l'histoire criminelle de sa mère, sans compter les sentences impitoyables qu'elle peut entendre au collège ou dans la rue. La proximité de la date du jugement va peu à peu rendre son comportement de plus en plus inquiétant...


L'extrait

« J'espère que tu me pardonneras quand je te dirai que c'est moi.
Moi qui t'ai dénoncée.
L'inspecteur. Un homme bienveillant, avec un gros ventre rond. Au début, le doute. Ensuite, la salopette tachée que j'ai sortie de mon sac. Toute petite.
L'ours en peluche constellé de sang sur le devant. J'aurais pu en apporter d'autres, tellement de choix. Elle n'a jamais su que je les conservais.
Il s'est agité sur sa chaise, ça oui. Ils se sont redressés, lui et son ventre.
Sa main – j'ai remarqué qu'elle tremblait alors qu'elle s'approchait du téléphone. Venez me voir immédiatement, il a dit. Il faut que vous entendiez ça. Le silence en attendant que son supérieur arrive. Supportable pour moi. Beaucoup moins pour lui. Cent questions qui devaient tambouriner dans sa tête. Est-ce qu'elle dit la vérité ? Je ne peux pas y croire. Autant ? Morts ? Impossible.
J'ai répété l'histoire. Encore. Et encore. La même histoire. D'autres visages qui m'observaient, d'autres oreilles qui m'écoutaient. Je leur ai tout raconté.
Enfin.
Presque tout. »


L'avis de Quatre Sans Quatre

La fille du monstre est-elle forcément un monstre ? Apparemment absurde, c'est pourtant l'essence de ce thriller, sa raison d'être et la question est loin d'être aussi absurde qu'il n'y paraît. Milly a changé de nom, de quartier, d'école, de mode vie, l'adolescente qui, comme tous les jeunes de son âge, se cherche, est clandestine, noyée derrière le fatras d'ignominies qu'elle a vécu – jusqu'où ? - avec cette mère qui l'a portée dans son ventre et qu'elle redoute tant de porter en elle à présent. Issue de l'utérus d'une tueuse d'enfants. On peut faire mieux comme identité, comme imago. La tare est-elle tapie au fond de ces fameux gênes qui expliquent tout désormais ? Coule-t-elle dans le moindre recoin du corps de la jeune fille qui sent tant de forces contraires se livrer une lutte perpétuelles pour contrôler son être ? Patience, avant de le savoir, il est nécessaire se suivre avec Milly le lent cheminement qui la conduit de la dénonciation au procès, au jugement... Elle se livre, se dévoile, enfin presque. Toujours ce presque qui résonne comme une menace sourde, un sous-entendu malsain.

Ce n'est pas la famille d'accueil qui va l'aider beaucoup. Mike avec son regard et ses mots de psychologue professionnel, son empathie d'ordinaire tarifée, qui arrange comme il peut les failles de sa famille, ou qui feint de les ignorer. Du pain béni pour la fille de la tueuse, Annie. Toutes ces imperfections où elle peut se faufiler telle une anguille, un calvaire pour Milly qui doit sans cesse trouver la place où elle dérange le moins. Sa part d'ombre, Annie la conserve, la cultive avec son inavouable amie, Morgan, aisément manipulable, qu'elle a, littéralement, ramassé dans la rue, un peu comme sa mère ramenait des petits garçons à la maison. Milly subit Phoebe et ses sales copines, rend les coups, se comporte comme une ado harcelée, plutôt courageuse, vindicative même.

À l'école, c'est un peu l'enfer, le domaine de Phoebe, ses amies, celles qui la craignent et qui ne disent rien. Et cette pièce que la prof a décidé de monter : Sa Majesté des Mouches ! Un récit où des ados s'entretuent, luttent pour survivre et, surtout, pour le pouvoir. Cet atelier théâtre sera de fil rouge, là où vont s'exacerber les tensions et où Milly/Annie vont affronter la meute, mine de rien, honnêtes et de bonne volonté, enfin presque...

Mais Annie, elle, sait que sa mère est là, avec elle. Qu'elle la hante, lui souffle qu'elles sont semblables, qu'elle aussi est atteinte de la tare. Cette dualité ne va pas quitter Milly, jamais, elle en a besoin pour ne pas se perdre, besoin pour savoir qui elle est. Saskia promène son anorexie et sa futilité, Phoebe, sa rancoeur et sa jalousie, le père son incapacité à gérer le foutoir familiale. Tout le monde ment, tout le monde triche, surtout les honnêtes gens : les avocats aident Milly à arranger son histoire avant de témoigner au tribunal, elle doit , sur les conseils de la police et Mike, camoufler sans cesse son image trop semblable à celle de sa mère, feindre l'indifférence aux Unes appelant presque au lynchage des journaux. La jeune fille évolue constamment sous différents camouflages, se doit de mentir, de tromper ceux à qui elle s'attache dans le but délirant de se retrouver voire de se reconstruire. Les rôles sont distribués, Milly est l'interface de communication d'Annie avec les autres.

Milly est la narratrice. Elle établit les faits, dit tout. Enfin, presque. Elle seule sait, et sa mère. En phrases courtes, presque hachées, elle narre toute l'histoire, ce qu'elle a raconté à la police, ce qu'elle livre au juge et aux autres, à tous les autres. Ancienne infirmière en pédopsychiatrie, Ali Land est en pays de connaissance, cela se sent. Elle décrit avec rigueur et justesse les réactions des jeunes, et des moins jeunes également d'ailleurs. Elle fait vivre très habilement les sentiments de malaise qui accompagnent systématiquement ces situations où la dissimulation sert soi-disant la vérité. Les personnages sont crédibles, poussés dans leurs derniers retranchements, elle ne leur laisse aucune issue, en extirpe la moelle. Sans larmoyer ou s'apitoyer, elle dissèque le parcours de Milly, les écueils qui ont jalonné sa route et comment elle en a tiré sa réalité dérangeante. Enfin presque...

Jusqu'à cette fin étonnante. Enfin presque. Étourdissante à tout le moins, essayez, vous verrez !

C'est un excellent premier roman, perturbant, insidieux par la confusion des sentiments, l'entrelacs des intentions et des actes jamais aussi simple qu'il n'y paraît. Rien n'est tranché net, l'amour qui fait mal, l'enfer pavé, l'angoisse lancinante de Milly qui sait et ignore, qui maîtrise et se laisse submerger


Notice bio

Ali Land, ancienne infirmière en pédopsychiatrie, s'est toujours intéressée à la santé mentale des adolescents et a choisi ce thème pour son premier roman.


La musique du livre

Peu de musique, la tension monte tout au long du roman, elle n'est pas vraiment nécessaire en fait, deux titres toutefois, There's a dead man walking de Bruce Springsteen que Milly entend résonner dans sa tête au tribunal.

Puis Somewhere Over The Rainbow, interprétée ici par Judy Garland, chanté lors d'une cérémonie.

LE SANG DU MONSTRE – Ali Land – Sonatine éditions – 348 p. septembre 2016
Traduit de l'anglais par Pierre Szczeciner

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