Chronique Livre :
LE SYSTÈME NERVEUX de Nathan Larson

Publié par Psycho-Pat le 22/06/2016
Photo : bibliothèque de New-York (Wikipédia)
Le pitch
New-York est devenue une ville irrespirable. Une série d'attentats et d'attaques terroristes ont totalement détruit son organisation et son environnement. Les différentes milices et gangs règnent sur leurs territoires et gèrent au mieux leurs intérêts propres.
Dewey Decimal, ex soldat d'élite, amnésique suite à des expériences un peu poussées de l'armée sur son cerveau, occupe la bibliothèque municipale, abandonnée à son sort, comme tous les autres bâtiments de la cité sans administration. Il a mis au point pour survivre dans ce monde de cauchemar un « système » vraiment très particulier. En bon hypocondriaque, il porte, des gants en latex, un masque chirurgical en permanence, avale des comprimés inconnus aux effets étranges, se lavent compulsivement les mains. Mercenaire, il vit de missions plus ou moins loin de la légalité, mais qui se soucie de la loi dans cet univers ?
Decimal, dans le capharnaüm ambiant, tombe incidemment sur des documents très compromettants pour un sénateur très puissant dans ce qui reste du parlement des États-Unis. Celui-ci va en prendre ombrage très sérieusement et Dewey, mercenaire en rupture de ban, va trouver refuge dans Koreatown, le quartier de New-York contrôlé par la mafia coréenne et l'armée chinoise, une zone de tous les dangers où il rencontrera la très redoutable Rose Hee, dangereusement hypnotique mais impitoyable...
L'extrait
« Approche ma tronche pour l'inspecter de plus près. Mon nez ne sera plus jamais le même, et les points de suture qu'un toubib manchot a fait sur ma pommette ont laissé une sale cicatrice, plus pâle que le reste. Abaisse le masque. J'ai des gerçures aux lèvres qui craquent tout le temps, même en ce moment, du coup ça cicatrise jamais.
Si vous pouviez me voir marcher, vous constateriez que je boite, et c'est plutôt prononcé, alors j'ai tendance à appuyer sur ma jambe gauche. Vous feriez pareil si on vous avait flingué le genou.
À part ça, j'aime à penser que j'ai fière allure. Admettons qu'on se croise dans la rue, genre on serait sortis pour prendre l'air vicié, eh ben vous vous diriez que j'ai vraiment un style unique et qu'à tous les coups je suis attendu dans un lieu chic. Un endroit select où jamais on ne vous laisserait entrer.
Si vous ajoutez à ça les gants et le masque bleu, je trouve que ça me donne un petit côté mystérieux. Enfin, c'est ce que j'ai envie de croire.
Vu sous un autre angle, je passerai tout aussi bien pour un clodo, un énième black en bout de course. Ridicule dans son costume de créateur. Complètement frappadingue avec son matos anti-SRAS. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Un dandy déglingué, sous amphétamine à très haute dose, au moins, évoluant dans un monde totalement dévasté où plus aucune loi ne s'applique, voilà pour la personnage principal. Ses nombreux trous de mémoire n'arrangent pas le tableau. C'est du lourd, et c'est drôle. Dewey Decimal a fait la guerre, loin de chez lui, dans les troupes spéciales, et à domicile dans les services, très spéciaux aussi. Rien ne lui fait peur, si ne sont les germes divers, l'air vicié et l'armée de sbires que le sénateur a envoyé après lui afin de récupérer quelques dossiers bien encombrants.
Ce n'est pas qu'il reste grand chose de l'ex première puissance mondiale, les attentats se sont succédés et, ma pauvre dame, tout a foutu le camp avec. Ne boudons pas notre plaisir : voir l'armée chinoise défendre le territoire de la mafia coréenne en plein New-York est un vrai plaisir de gourmet. Dans l'univers de Decimal, tout est sous-traité, Cyna-Corp, une multi-nationale emploie des mercenaires remplaçant la police et l'armée. Autant vous dire que la procédure judiciaire est expéditive et qu'il faut mieux ne pas compter sur la protection constitutionnelle.
James Bond SDF, squattant la célèbre bibliothèque municipale de New-York, Dewey, un tantinet maniaque du classement a de quoi faire, il a même de quoi déprimer vu l'état du classement des millions d'ouvrages. Pas fainéant, il s'y est attaqué mais la tâche est immense et les joyeux drilles que Cyna-Corp lui a collé aux fesses nuisent à son efficacité. Il aime l'art sous toutes ses formes, son costume qu'il ne quitte jamais, même ensanglanté, et les femmes dangereuses, il va être servi ! La superbe et vénéneuse Rose Hee ne va pas l'aider non plus. Ces deux-là se reconnaissent très vite et savent qu'ils vont devoir coopérer.
Hyper vitaminée, speed, l'écriture sent le rock et la folie qui rôde. Dans un monde à la Mad Max, le mercenaire en costard promène sa déglingue et ses obsessions, effectue des cascades totalement dingues dans un roman très noir bourré d'explosifs et d'effets spéciaux. On y trouve les guerres de clans, le politiciens verreux, la femme fatale et toutes les trahisons possibles, c'est un épisode de Die Hard mais très élégant. Decimal est ambivalent, excentrique, balançant entre le suicide flamboyant et le lutte pour la vie, cohérent jusqu'à l'incohérence, ce personnage complexe tient la route tout le long du roman, surprend autant de la première à la dernière page, reprenant tous les codes des blockbusters pour mieux les détourner avec brio.
Le Système Nerveux est un roman post-indus, comme la musique du même nom, pas de la science-fiction, il appuie juste un peu le trait sur la caricature de société de consommation idéale dans la quelle nous évoluons quotidiennement. On y trouve de l'humour, de l'action, de la sensualité aussi raffinée que des tortures chinoise et un héros absolument fascinant.
Notice bio
Nathan Larson est né en 1970. Il a été guitariste de rock et a joué pour les groupes Shudder to Think (en), Mind Science of the Mind, Hot One, A Camp, a enregistré quatre albums solos et, est surtout connu pour avoir composé des musiques de film (une trentaine, dont celles de Dirty Pretty Things et Boys Don't Cry. Il est l'auteur de deux romans, Le Système D qui vient de paraître chez Pocket éditions et donc Le Système Nerveux. Il vit à Harlem.
La musique du livre
Comme toujours chez Asphalte, la playlist de l'auteur est présente en fin de volume, un très bon choix qui correspond parfaitement avec l'atmosphère lourde du roman, vous y trouverez de quoi illustrer largement votre lecture, pêle-mêle, par exemple :
Sly & Family Stone - Thank You For Talking To Me Africa
Steve Reich - Music for 18 Musicians
The Pink Room - Angelo Badalamenti
Wu Tang Clan- Shame On A Nigga
Il y a d'autres groupes et morceaux à l'intérieur du livre, comme Bad Brains, des punks vitaminés à qui Decimal fait référence en ayant comme eux, la Positive Mental Attitude.
LE SYSTÈME NERVEUX – Nathan Larson – Asphalte éditions – 276 p. juin 2016
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Patricia Barbe-Girault