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Chronique Livre :
LE TUEUR AU MIROIR de Fabio M. Mitchelli

Chronique Livre : LE TUEUR AU MIROIR de Fabio M. Mitchelli sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Fasciné par leurs tatouages, il les appâte avec son appareil photo, fige leurs désirs de starlettes sur du papier glacé, puis les tue et s'empare de ce qu'il convoite. Le lendemain, on retrouve le corps de ces jeunes femmes sur les berges du Saint-Laurent, le pubis orné d'éclats de miroir et un morceau de peau découpé.

Pour piéger celui qu'à Montréal on appelle déjà « le tueur au miroir », il faut des flics borderline : Louise Beaulieu, qui se fiche des limites et des règles, et Carrie Callan, qui, sous son air bien sage, est un vrai pitbull.

Des photographies à clé, un secret de famille, des messages cryptés... Le passé rattrape Louise. Désorientée, elle ment et triche. Et Carrie soupçonne l'impensable : des liens entre l'enquêtrice québécoise et Singleton, le redoutable tueur en série qu'elles ont traqué ensemble un an auparavant.


L'extrait

« Il s’installa sur un banc et laissa ses pensées le ramner à la réalité, beaucoup moins poétique. Le flash info de huit heures, le matin même, lui avait fait comprendre que toute expérience avait un terme, possédait son propre dénouement, et que tout pouvait prendre fin à n’importe quel instant. Les malheurs, la désolation, tout comme les grands plaisirs du dévouement. mais désirait-il vraiment toujours goûter à ce plaisir ? Voulait-il toujours autant protéger sa mère ? Jusqu’à sa mort ?
Il avait un peu reconsidéré cette position. À défaut de protéger sa mère, il s’était mis en tête de protéger à sa façon toutes ces jeunes filles si belles et innocentes.
Il remonta les manches de sa chemise et contempla l’enchevêtrement complexe des tatouages qui zébraient ses bras. Il s’arrêta sur l’un d’entre eux : une représentation de Cronos d’après Francisco de Goya. Le roi des Titans dévorant l’un de ses fils s’étalait sur sa peau. Il caressa la bouche du dieu, sa longue chevelure argentée et le corps déchiré de l’enfant agonisant.
Son propre père l’avait-il lui aussi dévoré, d’une façon ou d’une autre ? L’avait-il englouti jusqu’à le rendre insignifiant ? Ce père si autoritaire, ce père qu’il n’avait jamais vraiment aimé, ce père qui sentait le tabac, le rhum et la sueur… Tant de souvenirs olfactifs dansaient sous le crâne d’Inkskin, au rythme d’une nausée insupportable.
Son père avait souillé sa mère, sa famille. » (p.29)


L'avis de Quatre Sans Quatre

Tout commence par un corps découvert emmuré sur un chantier. Même pas évident que ce soit un meurtre, puis arrive un étrange SMS donnant des précisions à Louise Beaulieu, la flic québécoise… c’est parti pour un sacré voyage au bout de la folie meurtrière sous (presque) toutes ses formes, la mécanique Mitchelli est enclenchée, elle ne s'arrêtra plus. 

Le tueur au miroir, c’est une sorte de match retour entre Louise Beaulieu et Carrie Callan, mais à domicile cette fois pour la Québécoise. Le premier round, Une forêt obscure, s’étant déroulé principalement en Alaska, normal que Louise reçoive pour la suite de leurs aventures. Le fil rouge reste le même : le tueur en série Daniel Singleton, évadé de prison à la fin du précédent opus, il s’est enfui au Canada et contacte Louise qui se démène sur le dossier d’un assassin multipliant les cadavres de jeunes filles tatouées plus rapidement que le Nazaréen les petits pains, c’est vous dire. La Québécoise pressent bien que le serial killer ne la guide pas pour ses beaux yeux - encore que..- mais l’urgence et l’ampleur de l’hécatombe la poussent à jouer le jeu pervers du fugitif.

Louise Beaulieu a soigné son addiction au jeu mais reste pourtant fragile, les tentations sont grandes avec un métier aussi stressant que le sien, fait d’échecs, de fausses pistes, d’espoirs déçus et de nouveaux corps mutilés découverts presque chaque jour. Carrie, promue capitaine a repris sa vie de couple avec le père de sa fille, atteinte de progéria. Tout paraît donc aller mieux dans leurs vies personnelles. Dans leurs vies professionnelles, évidemment, c’est bien plus compliqué.

Louise met beaucoup d’espoir dans les renseignements que lui donne, au compte-goutte, Singleton, ils tombent toujours juste et font avancer son enquête, pourtant elle connaît le bonhomme, il ne fait rien gratuitement, elle se demande surtout d’où il tieint tous les éléments qu’il lui transmet via des messages mystérieux. Elle doit donc, tout en semblant coopérer avec Carrie, protéger le fuyard des investigations de sa consoeur. Position très inconfortable pour les deux femmes, l’Américaine se rendant vite à l’évidence que son amie n’est pas d’une franchise absolue avec elle. Ce petit jeu du chat et de la souris ajoute encore à l’atmosphère délétère du roman. Les deux héroïnes se méfient l’une de l’autre, Singleton manipule tout le monde et le tueur au miroir ne paraît plus contrôler du tout ses pulsions, il frappe de plus en plus souvent, multipliant les victimes et les risques d’être pris.

Fabio M. Mitchelli approfondit encore le personnage trouble de Daniel Singleton, livrant ici la genèse de sa folie destructrice, quelques pistes expliquant sa haine des enfants et son parcours criminel. Les zones d’ombre d’Une forêt obscure s’éclaircissent quelque peu, même si la nouvelle affaire est des plus sombres.

Le tueur de jeune fille est lui-même recouvert de tatouages, il se fait appeler Inkskin. Il est Narcisse qui n’en finit pas de noyer son regard dans son image renvoyée par les éclats de miroir qu’il colle sur le corps de ses victimes; d’où son surnom. Destructeur et déstructuré, il n’en est pas moins redoutable, c’est un chasseur né, un prédateur séduisant qui va blesser Louise en lui prenant ce qu’elle a de plus cher. La traque devient alors apocalyptique, plus aucune règle ne s’applique pour la Canadienne. L’écriture est tendue, sur le fil du rasoir, personne n’a plus rien à perdre, tous les coups sont permis, chaque paragraphe amenant son lot de surprises et de suspense.

On trouve, bien sûr, dans Le tueur au miroir, les références habituelles de l’auteur aux biographies des grands serial killers de l’histoire, un peu sa marque de fabrique. Il n’a pas non plus oublié de fouiller au plus intime ses personnages, les rendants attachants ou repoussants mais jamais d’une façon monolithique. Chacun possède sa part d’ombre, de mystère et de lumière, le mal ne surgit pas de nulle part, il a une origine, ce ne sont pas des excuses, mais des explications qui ne peuvent pas faire de mal. Le savoureux accent québécois de Louise balance ses vérités sans fard, Carrie n’est pas en reste et les deux femmes apparaissent encore plus complémentaires que lors du premier épisode de leurs enquêtes.

Un vrai grand thriller, des personnages forts dans des intrigues qui s’enchevêtrent, un deus ex machina diabolique mais aussi humain - bien plus qu’on pourrait l’imaginer - et tout ce beau monde qui s’embarque dans une sarabande macabre qui s’agite au gré des fausses pistes, rebondissements et cadavres semés par le tueur au miroir. Un roman gigogne où chaque crime en cache un autre, où chacun semble jouer sa partition, mais qui, au final, parvient à donner l’impression d’une formidable harmonie tragique et palpitante. Entre Le silence des agneaux et Seven pour l’ambiance, avec même une pincée de Psychose, Fabio M. Mitchelli impose son rythme trépidant à l’histoire sans négliger de mettre de la chair sur ceux tous ceux qu’il décrit. Une large palette du mal sous toutes ses formes, du quasi psychotique serial killer aux notables cachant leurs saloperies, il y en a pour tous les goûts...

Un page turner addictif au dénouement en forme d’ouverture pour un prochain épisode, on ne s’en plaindra pas.


Notice bio

Fabio M.Mitchelli, né à Vienne (Isère) en 1973, musicien et écrivain, auteur de thrillers psychologiques, romans et nouvelles. Il a signé La trilogie des verticales parue aux éditions Ex-aequo entre 2010 et 2012, dont La verticale du fou. Il a été révélé au public par son thriller La Compassion du Diable (éditions Fleur Sauvage - 2014), surnommé Le Livre Bleu, inspiré par la vie de Jeffrey Dahmer. Il est fasciné par les faits divers et les grands criminels du XXème siècle. En 2016, Une forêt obscure, paru dans la collection La Bête Noire, met déjà en scène les principaux personnages du Tueur au miroir.


La musique du Livre


Une copieuse playlist vous attend à la fin du roman, très complète et suffisamment éclectique pour vous accompagner tout au long de votre lecture. Une petite sélection, aussi partiale et arbitraire que possible...

Marvin Gaye - Let’s Get It On

Tom Petty & The Heartbreakers - Into The Great Wide Open

Emma Louise - Jungle

Nena - 99 Luftballons

Carlie Rae Jepsen - Call Me Maybe

Grace Jones - la Vie en Rose


LE TUEUR AU MIROIR – Fabio M. Mitchelli – Éditions Robert Laffont – Collection La Bête Noire – 355 p. octobre 2017

photo : Cronos dévorant son fils - Goya (détail)

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