Chronique Livre :
LE ZOO de Gin Phillips

Publié par Dance Flore le 22/09/2017
Qui est-elle ?
Gin Phillips est une romancière américaine qui a déjà écrit cinq romans. Le Zoo est son premier thriller, il sera bientôt adapté au cinéma et il déjà reçu le prix Transfuge du meilleur polar étranger.
Alors, vite fait
Joan et son petit garçon Lincoln, quatre ans. Une après-midi banale, une sortie comme tant d'autres, au zoo, dans l'aire de fouille des dinosaures, un endroit familier, abrité et où l'on peut s'asseoir tranquillement. Lincoln joue avec ses figurines de super-héros et sa mère l'écoute distraitement. Elle pense à surveiller l'heure pour ne pas se retrouver enfermée, la sortie n'est pas toute proche et il est bientôt 17 heures. Il n'y a déjà plus grand monde dans le zoo.
Alors qu'elle est en train de passer en revue la meilleure façon d'amener son fils à cesser de jouer sans le brusquer, elle entend des bruits d'explosion qui ressemblent à des coups de feu. Mais ce n'est pas une hypothèse qui vaille la peine qu'on s'y attarde, alors elle reste calme et avance tant bien que mal, freinée par un Lincoln peu désireux d'interrompre son jeu puis vite fatigué de marcher...
La majeure partie du chemin est faite mais Joan prend soudain conscience qu'elle voit des cadavres par terre et soudain, elle aperçoit un homme armé d'un fusil.
Un petit extrait, c'est cadeau !
« Une longue rangée d'épouvantails a été dressée le long de la palissade qui fait le tour du plan d'eau. Beaucoup ont des citrouilles à la place de la tête, et Lincoln est absolument fasciné. Il aime Superman et l'astronaute – celui avec la citrouille peinte en blanc comme un casque spatial -, mais surtout le Chat chapeauté.
- Allez, p'tit chou, c'est bon.
Il lui lâche la main et lève les bras.
Joan jette un coup d'oeil le long de la palissade et reprère la tête de citrouille bleue de Pete le Chat. Vers le milieu, plusieurs épouvantails sont tombés. Une demi-douzaine, soufflés par le vent suppose-t-elle. Sauf que non, il n'y a pas eu de tempête. Et pourtant, les épouvantails sont renversés, éparpillés tout du long jusqu'à l'enclos des perroquets, et encore au-delà.
Non, pas des épouvantails. Pas des épouvantails.
Elle voit bouger un bras. Un corps beaucoup trop petit pour être un épouvantail. Une jupe, remontée de façon indécente sur une hanche pâle, des jambes fléchies.
Elle relève lentement les yeux, mais quand elle regarde au loin, derrière les formes allongées par terre, après les perroquets, vers le long bâtiment bas avec les toilettes publiques et les portes marquées RÉSERVÉ AU PERSONNEL, elle voit un homme debout, immobile à côté de la fontaine à eau. Il lui tourne le dos. Il est en jean et tee-shirt noir. Il a les cheveux bruns ou noirs, et à part cela elle ne voir pas les détails, sauf un, quand il finit par bouger : il donne un coup de pied dans la porte des toilettes, son bras remonte pour la rattraper, et elle voit qu'il tient une arme à feu dans la main droite, une espèce de fusil, long et noir, dont le bout étroit monte comme une antenne derrière sa tête sombre alors qu'il disparaît entre les murs vert pâle des toilettes pour femmes.
Elle pense repérer un autre mouvement du côté des perroquets, un autre personnage encore debout, mais elle n'en voit pas davantage car à cet instant elle se détourne.
Elle attrape Lincoln, le soulève – les jambes du garçon se balancent lourdement -, et le dépose sur sa hanche, sa main droite serrée autour de son poignet gauche sous les fesses de l'enfant, lui offrant une sorte de siège.
Elle se met à courir. » (p. 30-31)
Ce que j'en dis, si ça peut vous intéresser :
Le Zoo, c'est l'un des pires scénarios qu'on puisse concevoir quand on a des enfants. Quoi qu'on fasse, dans un coin de notre tête, il y a la possibilité du mal qui prend corps. Le roman se déroule à travers les pensées et les perceptions de Joan, la mère de Lincoln, on est comme elle, aux aguets, pris dans l'écheveau de myriades de pensées qui se bousculent, s'escamotent les unes les autres, se repoussent, se complètent. On sent comme elle la peur sauvage, animale, qui fait transpirer et noue les tripes, on a comme elle le poids infiniment précieux mais infiniment trop lourd d'un petit garçon sur la hanche, on a mal aux cuisses, au dos, aux bras, la gorge qui brûle.
Tout va être chamboulé à la minute où Joan prend conscience qu'elle et Lincoln sont au beau milieu d'une tuerie de masse, du genre de celles qui ont eu lieu à Columbine ou encore sur l'île d'Utoya. Des tueurs, deux tueurs qu'elle entend rire et échanger des plaisanteries, des jeunes d'après leur voix, lourdement armés et qui tirent sur les visiteurs comme on vise les ballons de baudruche à la fête foraine.
Les prédateurs sont en liberté et beaucoup plus sauvages et dangereux que n'importe lequel des animaux du zoo. Joan et Lincoln vont être traqués, suivis, pistés. Joan va devoir trouver des cachettes, faire confiance à ses sensations, laisser l'instinct prendre le dessus, redevenir animale. Elle se débarrasse petit à petit de toute trace de civilisation, d'ailleurs, à commencer par le téléphone qu'elle utilise au départ pour envoyer des textos à son mari, pour lui expliquer exactement où elle est et ce qui se passe mais, au fur et à mesure que la nuit tombe, elle se rend compte que la sécurité offerte par l'objet fait d'elle une cible potentielle et elle s'en sépare. Elle doit courir, se cacher dans l'eau, apprendre à ne faire confiance qu'à ses sens. Elle perd ses chaussures et, pieds nus, elle n'est plus qu'une fugitive qui cherche avant tout à mettre son petit en sécurité tout en tâchant de répondre à ses incessantes questions et de négocier avec lui pour obtenir son obéissance absolue, son silence, la vie ou la mort suspendues aux caprices et aux humeurs d'un tout petit bonhomme.
Elle essaie de jouer, de deviner quels seront les arguments qui porteront, elle se contient, elle fait taire en elle les milliers d'envies de lui crier dessus, de l'empoigner et de le bâillonner en couvrant sa bouche d'une main... car Lincoln est un petit garçon certes très tendre et doux mais aussi extrêmement précoce et vif. Il pose des questions sur tout, s'interroge à voix haute et demande à comprendre pour obéir. Toutes ses merveilleuses qualités deviennent des dangers potentiels. La force du récit c'est ça, on suit l'esprit affolé de Joan qui suppute, imagine, sonde ses souvenirs sans relâche dans l'espoir de trouver les mots qui calment, qui font obéir, qui rassurent et apaisent. Vite. Car les pleurs, les cris, les paroles prononcées à voix hautes sont des dangers mortels.
Cachés dans un enclos désaffecté, Joan et Lincoln se préparent à attendre mais Lincoln a faim. Et il ne va pas pouvoir attendre bien longtemps. Joan est contrainte de quitter leur abri temporaire, pour se rapprocher du distributeur de nourriture et de boissons. Le principal obstacle à leur survie est devenu son enfant, sa faim, sa voix, sa peur. De lui dépend leur vie, suspendue à ce tout petit garçon inventeur d'histoires inlassables, qui la fait rire et place toute sa confiance en elle.
Le monde est littéralement sens dessus dessous : les tueurs sont des enfants immatures qui se servent de leurs fusils comme de gros jouets, pour s'amuser. Les animaux sont moins effrayants que ces gamins ricanants. Le zoo n'est plus un espace de promenade et de plaisir mais un territoire effrayant avec ses allées découvertes, ses haut-parleurs qui déversent joyeusement leur musique tonitruante. Seuls les lieux ombreux et secrets sont amicaux, le reste est hostile. Lincoln enregistre et décode la moindre inflexion dans la voix de sa mère tout en questionnant le monde avec le sérieux qu'il met à inventer des scénarios pour ses figurines. Joan s'animalise, elle trouve les ressources pour fuir, contrecarrer les plans des tueurs, se cacher et lutter dans son instinct de protection, elle n'est plus que mère cherchant toutes les ruses et trouvant tous les courages pour son petit. « Disparais » lui dit-elle plusieurs fois, comme un tour de magie, un coup de bluff qui permettrait de s'en sortir vivant.
Le récit est découpé en chapitres égrenant les minutes qui passent, suspens total, et presqu'entièrement écrit du point de vue de Joan. Elle est bombardée de pensées et d'émotions pas seulement celles relatives à la situation, mais aussi tous les souvenirs qui arrivent sans prévenir, émaillant une méditation poignante et très intime sur ce que c'est qu'être mère, les devoirs et les bonheurs bien sûr qui sont ainsi créés mais aussi le changement de vie, les renoncements, les frustrations et l'intense sentiment de responsabilité absolument écrasant face à un être aussi vulnérable. Comment on apprend à faire des voix de super-héros, à répondre à toutes les questions même les plus incongrues, à devenir experte en chansonnettes, comment aussi on pense à ce que la vie sera quand il sera grand, à la liberté retrouvée mais à la nostalgie inévitable qui sera son corollaire.
Joan n'est pas une super-héroïne, elle n'a pas les super-pouvoirs que Lincoln prête à ses jouets mais elle est mieux que ça, elle est sa mère.
Musique :
Il n'y en a pas dans le texte à part celle qui est diffusée dans le zoo, un truc assurément insupportable !
Mais j'ai pensé à Perfect Day de Lou Reed
LE ZOO - Gin Phillips - Éditions Robert Laffont – Collection La Bête Noire - 293 pages 21 septembre 2017
Traduit de l'anglais (E.U.) par Dominique Haas
photo : Pixabay