Chronique Livre :
LES 7 JOURS DU TALION de Patrick Senécal

Publié par Psycho-Pat le 23/12/2018
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Bruno Hamel et sa compagne Sylvie forment un couple bourgeois à l’existence tranquille, avec leur fille unique de sept ans. Tout bascule un jour d’automne, où Jasmine ne rentre pas de l’école.
Après quelques heures de recherches, elle est retrouvée morte — elle a été violée et étranglée—, dans les fourrés près de l’école. Dès lors, l’univers de Bruno vacille. Il se fait de plus en plus distant, gagné par une haine sourde. Aussi, lorsque la police arrête le meurtrier, un terrible projet germe dans son esprit : il va s’emparer du coupable et lui faire payer ce qu’il a fait à sa petite fille. Le jour de sa comparution, il le kidnappe.
Tandis que la police fait tout pour le retrouver avant qu’il ne soit allé trop loin, Bruno s’enferme avec le meurtrier dans un chalet isolé, au fond de la forêt québécoise. Sept jours au cours desquels le chirurgien si humain et fou d’amour pour sa fillette s’enfonce dans une folie de vengeance glaciale, jusqu’à ne plus savoir : le monstre, est-ce lui ou l’autre ?
L'extrait
« En voyant le monstre sortir de la voiture, Bruno Hamel entendit le grognement de chien pour la première fois.
À une trentaine de mètres devant lui, la voiture de police était arrêtée près de l'entrée arrière du palais de justice depuis une bonne minute déjà, et ses occupants n'avaient toujours pas donné signe de vie. Bruno s'était même demandé s'ils n'avaient pas remarqué sa présence lorsque les deux policiers étaient enfin sortis pour ouvrir aussitôt la portière arrière. Le monstre, menotté, était apparu.
Bruno le voyait en chair et en os pour la première fois. À l'exception de ses cheveux lissés et de sa barbe fraîchement coupée, il était comme sur toutes les images vues à la télé.
C'est à ce moment que le grognement de chien se fit entendre, sourd, lointain. Bruno y porta à peine attention. Ses yeux ne quittaient pas le visage du monstre. Il s'était toujours méfié des stéréotypes : il considérait que les plus tordus avaient souvent l'air des plus droits... Pourtant cette fois, le monstre ressemblait vraiment à une pourriture, une vraie caricature de « méchant » hollywoodien, et cette constatation agaçait Bruno, il n'aurait su dire pourquoi. » (p. 11-12)
L'avis de Quatre Sans Quatre
L'équation pourrait être simple : à crime abominable, châtiment abominable. Voilà, tout est dit, la raison et les arguties juridiques n'ont plus leurs places dans le débat, c'est le principe de cette fameuse loi du Talion, permettant de reproduire sur le coupable l'équivalent de la blessure que celui-ci a infligé à la victime. Pour Bruno Hamel, chirurgien en vue, pacifiste convaincu, cette évidence va s'imposer rapidement après l'arrestation du violeur meurtrier de sa petite fille. Comme le criminel n'a pas d'enfant, le principe prédéfini pêche déjà, le père de la petite va devoir s'en prendre à ce qu'il a sous la main : le monstre lui-même, kidnappé à sa sortie du tribunal, et qu'il retient prisonnier au fond de la forêt, sur les bords du lac Souris.
Si les premiers sévices s'avèrent satisfaisants, expression d'une rage longtemps contenue, exutoires à la culpabilité de n'avoir pas été là afin de protéger ce qu'il avait de plus cher au monde, la suite se révélera bien vite plus complexe. On ne s'improvise pas impunément tortionnaire, on ne blesse, torture, n'abime pas un corps, même celui d'un monstre dont on ne veut connaître ni le nom ni l'histoire pour ne pas l'humaniser, sans dommages personnels. Bruno Hamel va se couper de tout et de tous, de sa compagne, Sylvie, de la société entière, s'enfermer dans une sorte de délire de toute puissance forcément vain puisque celle-ci n'existe pas et qu'il est impossible de faire table rase de sa morale, de son éthique, même après un traumatisme comme celui qu'il a subi. Et puis il y a ces gémissements ou aboiements de chien, dont il ne parvient pas à déterminer l'origine mais qui le rende fou...
Le justicier ne cherche pas à s'en tirer à bon compte, il a prévenu la police, au bout de sept jours, il tuera son prisonnier et se rendra. Il espère durant cette période grimper un à un les échelons de la satisfaction, soulager, torture après torture, plaie après coup, sa douleur et venger sa fille. Le sergent-détective Mercure est chargé de l'enquête, il tient absolument à arrêter Hamel avant qu'il ne soit trop tard, que celui-ci évite une peine de prison équivalente à celle qui aurait pu être prononcée à l'encontre de l'assassin de sa fille. Mercure connaît bien le problème, il traîne dans son sillage une douleur peu ou prou semblable à celle du chirurgien, il peut compatir, mais pas accepter cette vengeance qui ne mène à rien. Il est le représentant de la loi et elle doit s'appliquer quelle que soit la compréhension dont on peut faire preuve envers celui qui la transgresse.
Peu à peu, dans le pays, des voix s'élèvent pour soutenir le père en détresse, approuver son action, le proclamer lors de manifestations publiques. Puis d'autres leur répondent, opposées à ce type de justice expéditive et cruelle. La société se divise, Hamel se rend compte de l'impact de son acte, il est de plus en plus perdu, se met à boire, à improviser, ne plus suivre à la lettre son plan millimétré. Mercure, instinctif et brillant, le pousse dans ses retranchements, ruse, tente des coups osés, malgré les oppositions au sein même de la police de certains agents justifiant la démarche du chirurgien.
Les histoires de Mercure et de Hamel se répondent, les deux hommes se jaugent, l'affaire tourne au duel. Le fait que le flic ait vécu ce qu'il a vécu, et vive encore, est capital pour sentir les failles du kidnappeur, il doit accepter de fouiller là où ça fait mal en lui afin de comprendre et anticiper le prochain mouvement de Hamel. Ce qui était une enquête devient une affaire personnelle dans laquelle son engagement sera total. En face, la superbe du premier jour de Hamel va céder peu à peu la place au doute, à l'angoisse, à l'improvisation, à l'acharnement aveugle qui ne parvient pas à cacher toute sa détresse.
Beaucoup d'action, de suspense et de coups de théâtre tout au long de ce thriller singulier, ce qui ne gêne en rien une belle réflexion sur l'impasse de la vengeance, le rôle des médias et de l'opinion dans nos sociétés contemporaines. Les deux personnages principaux possèdent de multiples facettes, des failles profondes dont ils n'usent pas de la même manière, ce qui explique qu'ils ne soient pas dans des démarches identiques. Patrick Senécal joue fort bien de cette dualité pour en tirer un thriller étonnant et original, intelligent et passionnant.
Un thriller décapant, un personnage prêt à tout pour venger la mort de sa fille, même au pire, quitte à se transformer lui-même en monstre... mais ne devient pas monstre qui veut...
Notice bio
Né au Québec en 1967, Patrick Senécal a ouvert une voie à part dans le monde du thriller. Il s’est ainsi acquis un public fidèle au Canada, où ses livres sont des best-sellers. Un succès couronné en France du Prix Masterton du meilleur roman fantastique pour Sur le seuil, et au Canada du Prix Boréal du meilleur livre pour Aliss.
La musique du livre
Beau Dommage - Ginette
LES 7 JOURS DU TALION – Patrick Senécal – Fleuve Éditions – collection Fleuve Noir – 358 p. novembre 2018
photo : Lac Souris