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LES CHIENS DE CHASSE de Jørn Lier Horst

Chronique Livre : LES CHIENS DE CHASSE de Jørn Lier Horst sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Dix-sept ans après son incarcération pour l’enlèvement et le meurtre de la jeune Cecilia Linde, Rudolf Haglund retrouve la liberté… Et son nouvel avocat affirme être en mesure de démontrer que Haglund a été condamné sur la base de preuves falsifiées.

William Wisting, à l’époque jeune policier en charge de l’enquête, est devenu une figure exemplaire et respectée, incarnant l’intégrité et les valeurs d’une institution souvent mise à mal dans l’opinion publique.

Au cœur d’un scandale médiatique et judiciaire, suspendu de ses fonctions, Wisting décide de reprendre un à un les éléments du dossier. Les policiers auraient-ils succombé au syndrome des «chiens de chasse», suivant la première piste que leur indique leur instinct, au risque d’en négliger d’autres, et s’acharnant à étayer leurs soupçons pour prouver la culpabilité supposée de leur « proie »?

Ou l’enquête aurait-elle été manipulée? Mais par qui, et dans quel but?


L'extrait

« Wisting regarda la Une du journal où s’affichaient des conseils pour maigrir, la météo prévoyant encore plus de pluie et des intrigues amoureuses dans un programme de téléréalité. Il était rare que les journaux du dimanche annoncent de véritables informations. Que des « news en conserve » comme Line appelait ces « nouvelles » qui avaient traîné pendant des jours et des semaines dans les salles de rédaction avant d’être publiées. Cela faisait bientôt cinq ans que sa fille était journaliste à VG. C’était un métier qui convenait à sa curiosité et à son sens critique. Elle avait fait le tour des services, mais pour l’heure travaillait dans celui des affaires criminelles. Ce qui voulait dire que sa rédaction couvrait parfois des affaires sur lesquelles son père enquêtait. Père et sujet d’articles, c’était un double rôle qu’il avait tant bien que mal réussi à endosser. Ce qu’il avait reproché au choix de carrière de sa fille, c’était qu’il lui ferait côtoyer toutes les horreurs de la société. Wisting était dans la police depuis trente et un an. Cette expérience lui avait fait acquérir une certaine connaissance en matière de brutalité et de cruauté humaines, mais aussi causé beaucoup d’insomnies. Il aurait préféré épargner tout cela à sa fille.
Il feuilleta rapidement le journal, ne s’attendant pas à y trouver un article de Line. Il lui avait parlé avant le week-end et savait qu’elle était en RTT. » (p. 9-10)


L'avis de Quatre Sans Quatre

William Wisting est la probité même, une carrière sans tâche, une honnêteté au-dessus de tout soupçon : incorruptible, respectueux de la procédure, de ses collègues, des témoins et des suspects. Aussi le ciel lui tombe un peu sur la tête lorsque sa fille, Line, journaliste à VG, un grand quotidien norvégien, lui apprend que l'avocat d'un assassin qu'il a arrêté voilà dix-sept ans pour enlèvement, séquestration et meurtre d'une jeune fille, l'accuse d'avoir falsifié certaines preuves et demande la libération de son client.

Le choc passé, reprenant les éléments de preuve annoncés par la partie adverse, Wisting doit bien admettre qu'il y a eu intervention d'un membre des forces de police afin d'accabler Rudolf Haglund et clore cette enquête au plus vite. Un mégot retrouvé à l'époque, et ayant servi à incriminer le suspect, a été échangé dans les scellés. La preuve ADN ne tient plus, le prisonnier est libéré, Wisting suspendu. Même si on lui assure que nul ne le pense coupable de la substitution, lui se sent responsable puisqu'il était en charge de l'affaire et dirigeait les hommes qui l'ont menée. Bien évidemment, il va tout faire pour éclaircir ce sac de nœuds et prouver son innocence, la culpabilité de Haglund, qui n'est pas remise en cause par cette révélation, et trouver celui ou celle qui a trafiqué les éléments à charge.

Line, de son côté, arrive la première sur une scène de crime, un homme tabassé à mort en pleine rue, et commence à fouiner parallèlement à la police. Grâce à son flair et à ses contacts, elle remonte vite la piste de l'identité de la victime et manque de connaître un sort identique au sien en se rendant à son domicile alors que le tueur y est déjà. Comme il est hors de question pour son rédacteur en chef qu'elle travaille au sujet des accusations lancées contre son père, la reporter sera chargée de suivre l'évolution de l'enquête portant sur l'homme tué sur la voie publique. Ce qui ne l'empêchera pas, loin de là, de donner un coup de main à Wisting si besoin, et inversement.

C'est un vrai grand plaisir de retrouver Wisting et son petit monde après cette première apparition réussie qu'était Fermé pour l'hiver. Le chalet isolé, les paysages, sa ténacité, son blues toujours en filigrane... Dans le précédent roman, il était préoccupé par la relation de Line avec un mauvais garçon, là, c'est le couple bancal qu'il forme avec Suzanne qui lui donne du vague à l'âme. Un petit côté Harry Bosch, droiture et obstination, capable de retourner ciel et terre pour mettre un terme à une affaire, mais en respectant scrupuleusement les règles. Ici, ce n'est pas la possible erreur judiciaire qui l'inquiète, il est persuadé d'avoir eu le bon coupable, c'est le fait qu'une manipulation grave des preuves ait conduit à relâcher cet homme.

Comme pour le conforter dans son jugement, une autre jeune fille disparaît, Wisting se lance alors dans une course contre la montre afin de la récupérer, déterminer qui est le traître dans son ex-équipe et remettre Rudolf Haglund au plus vite sous les verrous. Il sera aidé, en plus de sa fille, par un ancien technicien de la police scientifique, même si Wisting est plutôt un solitaire, il sait qu'il a besoin de soutien sur cette enquête à haut risque dans laquelle une adolescente peut perdre la vie s'il ne la découvre pas assez vite. Il ne peut bien entendu ne se fier à personne de son ancienne équipe, tous ceux qui ont pu avoir accès aux scellés sont suspects.

Parfaitement traduit par Hélène Hervieu, la prose de Horst enchaîne les événements sans pour autant oublier ses personnages, le décor, l'ambiance. Le lecteur est embarqué dans les pas du personnage principal, suit la jeune journaliste dans son enquête, un grand roman policier qui n'a rien à envier aux Américains. Jørn Lier Horst s'installe avec ce deuxième opus dans la cour des grands, loin des stéréotypes du polar scandinave ennuyeux dont on nous a rebattu les yeux ces dernières années.

Un cold case brûlant, un magnifique polar norvégien, une intrigue tordue à souhait. Wisting, un flic à suivre les yeux fermés.


Notice bio

Né en 1970, Jørn Lier Horst est un ancien officier de police. Avec son précédent roman, Fermé pour l'hiver, paru à la Série Noire en avril 2017 (distingué en 2011 par le Norwegian Booksellers' Prize), il met sa connaissance des méthodes d'investigation au service d'un thriller qui nous plonge en plein cœur de l'hiver norvégien. Il est désormais considéré comme l'un des plus importants auteurs de roman noir scandinave. Les chiens de chasse confirme son talent incontestable.


La musique du livre

Seal – Kiss from a Rose


LES CHIENS DE CHASSE - Jørn Lier Horst – Éditions Gallimard – Collection Série Noire - 463 p. mars 2018
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu

photo : Pixabay

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