Chronique Livre :
LES DERNIERS MOTS de Tom Piccirilli

Publié par Psycho-Pat le 22/07/2018
Le pitch
Élevé dans un clan de voleurs et d’arnaqueurs, Terrier Rand a choisi de s’en éloigner après un massacre perpétré par son frère Collie, lors duquel huit personnes ont été tuées sans raison apparente.
Cinq ans plus tard, à quelques jours de son exécution, Collie reprend pourtant contact avec Terry. Il jure qu’il n’est pas responsable de la mort d’une des victimes, et affirme que le véritable meurtrier court toujours.
Doutant des déclarations de son frère, hanté par ses propres remords, Terry retrouve les siens et commence à enquêter sur ce qui est réellement arrivé le jour de la tuerie. La crise de démence de Collie a-t-elle les mêmes racines que le mal qui touche leur père et leur grand-père? Évoluant sur le fil du rasoir qui sépare la fraternité de la haine, la loyauté de la trahison, Terry va devoir explorer des secrets de famille profondément enfouis.
L'extrait
« Au bout de cinq ans et de trois mille kilomètres, j’attends sous la pluie que l’onprépare mon frère à son propre assassinat.
Il lui reste encore quinze jours à vivre avant qu’on le ligote, puis qu’on lui injecte du poison et que son coeur s’arrête. Comme sur tout le reste, Collie aura là-dessus des sentiments mitigés, je n’en doute pas. D’une part, il aura hâte de faire le grand saut, c’est une perspective qu’il aura toujours envisagée. D’autre part il étouffera de rage, jouera les martyrs et tremblera de peur.
Je suis sûr que lorsque son heure viendra, il ne bougera pas jusqu’à ce qu’il faille l’attacher. Il réagira alors violemment et s’en prendra à celui qui se trouvera à ses côtés, qu’il s’agisse d’un prêtre ou d’un gardien de prison. On sera obligé de lui donner des coups de matraque, et pendant ce temps-là il rigolera. Le curé, s’il en a encore les moyens, n’aura plus qu’à réciter ses prières d’une voix forte pour couvrir ses imprécations.
J’arrive avec vingt minutes de retard. Le maton de faction refuse d’abord de me laisser entrer, car il est noté que je ne me suis pas présenté au précédent rendez-vous. Je ne discute pas. Je n’ai pas envie d’être ici. Il lui suffit pourtant de voir que j’ai envie de me tirer pour qu’il se sente tenu de me laisser passer.
Devant la porte de la prison, un autre gardien me regarde de la tête aux pieds, l’air dégoûté. Je décline mon identité, désormais ça me fait tout drôle.
- Terry Rand. » (p. 13-14)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Terry Rand n’est plus lui-même depuis cinq longues années. Réellement plus lui-même. Il a changé de nom, quitté sa famille, arrêté les cambriolages. Désormais il est cow-boy dans un ranch fort éloigné de sa ville natale et a modifié son identité. Cinq ans. Depuis la terrible soirée au cours de laquelle son frère Collier à perdu la tête et a assassiné sans mobile huit personnes. Une famille entière, enfants compris, un pompiste, une adolescente, Rebecca, une vieille dame, pistolet, couteau, coup de poings, une boucherie. Nul ne connaît la raison de ce drame, pas même son auteur qui n’a jamais nié les faits. Pourtant, aujourd’hui, Collie, en passe d’être exécuté, lui a fait téléphoner afin de lui demander d’enquêter sur la huitième victime dont il nie être le meurtrier.
Sept ou huit inculpations, à quelques jours de passer sur la table et de recevoir l’injection, quelle importance, me direz-vous, ça ne change pas grand-chose pour le condamné. À moins que, comme le pense Gilmore, le policier un peu étrange dont le rêve aurait été de faire partie de la meute des Rand, celui-ci tente de faire réviser tout son procès, puisqu’il a été condamné à tort, au moins pour un des crimes qui lui ont été imputés. Cela n’apparaît pas dans ses propos, mais sait-on jamais, il est capable de tout, il l’a prouvé le soir du massacre.
Les sept autres, il en endosse volontiers la responsabilité, n’espère même pas une quelconque clémence ou pardon, mais il tient à ce que son frère parvienne à prouver son innocence quant au meurtre de l’adolescente. Collie ne veut pas que l’assassin qui a profité de sa tuerie pour s’en tirer ne continue sa balade meurtrière. Parce que, pour lui, il y a eu d’autres cas, même après son emprisonnement, au moins cinq. Les flics n’ont pas fait leur boulot, n’ont pas su, ou pas voulu, relier les points entre eux.
Bien que septique, Terry va commencer à se renseigner et, pour cela, retourner vivre chez ses parents, essayer de reprendre ses marques et sa place dans la horde des Rand. Curieuse famille dans laquelle tous portent des noms de races de chiens : Terrier, Malamute, Greyhound… Sauf le clébard justement qui se nomme Kennedy et sera le témoin privilégié des investigations de Terry.
Une famille bien pathogène, composée d’arnaqueurs, d’escrocs, de tricheurs, de voleurs, mais pas de meurtrier, Collie étant l’exception qui confirme la règle. Une cellule familiale dont l'heure de gloire est un peu passée, qui vit sous le regard des caméras sur leur trottoir et refuse de parler à la presse, l’imminence de l’exécution rend les journalistes avides de sensationnel. Une lignée également en proie au doute et à l’inquiétude : son patriarche, surnommé le Vieux berger, est atteint de la maladie d'Alzheimer et chacun pense avoir hérité du mauvais gène. Un groupe en apparence uni, qui défend les siens, sauf l’indéfendable Collie, évidemment. Malgré tout, Terry va se mettre à croire petit à petit à l’histoire que lui a servi son frère, malgré la rancoeur qu'il éprouve à son encontre, et va aller de révélations en surprises.
Les femmes dans tout ça ? La mère de Terry, consciente qu’elle a épousé un clan de voleurs n’en est pas moins quelqu’un à la morale assez stricte. Elle parle peu de son aîné qui va bientôt mourir, tout comme le père qui n’y fait pas allusion, tous deux dans une forme de déni, ce qui est difficile, harcelés comme ils le sont par les médias. Dale, la petite soeur, quinze ans, ne semble pas très concernée non plus, elle vit sa vie de jeune fille délurée et sort avec un voyou, ce qui ne plaît pas à Terry, il craint qu’elle ne soit entraînée sur la mauvaise pente et finisse en prison. Et puis il y a Kimmy, l’ancienne petite amie de Terry qu’il a quitté du jour au lendemain, de façon totalement dégueulasse. Elle est aujourd’hui mariée avec Chub, l’ex-meilleur ami de Terry et ils ont une petite fille, un peu comme si on lui avait volé son avenir. Kimmy hante ses rêves, nourrit ses regrets et ses remords. Dans le monde de mensonges et d’illusions des Rand, les femmes sont la réalité, la vraie vie, l’élément solide sur lequel on peut compter pour remettre les pieds sur terre…
Sans oublier Lin, la femme que Collie a épousé en prison, dans des conditions étranges. Nul, hormis Terry ne la connaît dans la famille, elle se démène avec ses dossiers pour tenter de faire réouvrir l'enquête, mais en vain. Ou Eve, la journaliste, qui pourrait ne pas être qu’une aventure d’un soir pour Terry, mais peut-il s’y fier ou cherche-t-elle le scoop d’une déclaration que toute la famille refuse à la presse ?
La maison familiale est une allégorie de la mémoire humaine. Pleine de caches et de pièces dissimulées, encombrée d’un butin dont on ne sait que faire mais qu’on garde en se disant qu’on ne sait jamais, mais qui n’ont d’autre utilité souvent que de rappeler le temps qui passe et les poids que l’on accumule au fil des années, envahissant à chaque fois un peu plus notre espace disponible pour la nouveauté.
Pour mener sa quête de vérité sur l’assassinat de l’adolescente, Terry va déjà devoir reprendre sa place dans le paysage de la ville, mais cinq ans, c’est bien long et beaucoup de choses ont changé. Le lecteur le suit dans la redécouverte de la nouvelle donne locale, mais également dans le combat qu’il mène entre la répulsion que lui inspire Collie, son coup de folie furieuse, et son devoir de frère, sa loyauté, de rétablir la vérité et d’envoyer le coupable du meurtre de la jeune fille en prison. Pour cela, il lui faut rouvrir les plaies de la famille de Rebecca, s’insinuer dans l’esprit du tueur, reprendre tout le fil de cette dramatique soirée au cours de laquelle son frère s’est transformé en bête furieuse.
Contrairement à ses oncles, Grey et Mal, joueurs-tricheurs talentueux, Terry va disputer sa partie avec les cartes qui lui ont été distribuées, et il restera à la table jusqu’au coup final, jouant son va-tout à chaque tour. Terry est un héros attachant, un type droit né dans la mauvaise famille, un honnête cambrioleur cerné de menteurs, il en veut à son frère de l'avoir obligé à quitter le clan, de l'avoir contraint à fouiller dans la folie de la meute, et ainsi de s'être rapproché de là où vit Kimmy... C'est peut-être le prix de sa rédemption, une façon de sauver sa sœur de l'emprise de l'arnaque et d'une vie de hors-la-loi...
Une merveille de thriller, âpre, superbement écrit et traduit, traversée d'un enfer personnel entre folie et rédemption...
Notice bio
Auteur d’une trentaine d’ouvrages, Tom Piccirilli s’est notamment illustré dans le domaine du fantastique et de l’horreur. Avec Les derniers mots, premier volet d’un diptyque à paraître à la Série Noire, il a confirmé qu’il excellait également dans l’univers du thriller.
La musique du livre
The Beatles - Till There Was You
Nat King Cole - A Blossom Fell
Connie Francis - Carolina Moon
LES DERNIERS MOTS – Tom Piccirilli – Éditions Gallimard – collection Série Noire – 463 p. mai 2018
Traduit de l’américain par Étienne Menanteau
photo : Salle d'injection létale, USA - Wikipédia