Chronique Livre :
LES ENFANTS DE LAZARE de Nicolas Zeimet

Publié par Psycho-Pat le 27/11/2018
Quatre Sans... Quatrième de couv...
« Je m’appelle Agathe, avait-elle annoncé avant de s’asseoir sur une machine. Je suis la chanteuse des laveries… »
Tout commence quand Pierre Sanak, journaliste reporter d’images à France Télévisions, croise par hasard cette jeune artiste un peu fantasque et très énigmatique. D’origine cambodgienne, Agathe a été adoptée, vit à Paris, ne se sépare jamais de sa guitare et semble errer entre plusieurs mondes… Pierre en tombe immédiatement amoureux.
Apprenant en conférence de rédaction l’incroyable nouvelle de la résurrection momentanée de Sokhom, un jeune Cambodgien qui aurait vécu une expérience de mort imminente, Pierre ne peut s’empêcher de tisser un lien ténu avec l’histoire d’Agathe…
Le journaliste s’envole aussitôt pour une semaine de folles investigations à Siem Reap et dans la jungle d’Angkor où, bien après le génocide, le tourisme des orphelinats semble perdurer. Une dangereuse course contre la montre s’engage alors.
Pierre parviendra-t-il à découvrir le secret d’Agathe ?
L'extrait
« Pierre s'éloigne de la zone sécurisée. Des secouristes. Des hommes en uniforme. De la file des touristes qui évacue la tour Eiffel. Il trouve un banc sur lequel il dépose sa caméra et se plie en deux au-dessus du bitume. Un début de nausée le raidit.
- Oh, ça va ? fait le preneur de son dans son dos.
Il cherche sa respiration, fait non de la tête. Sentant qu'il va vomir, il pose les mains sur ses genoux pour garder son équilibre. Ça tangue comme à le sortie d'un grand huit.
- Y a un lézard, mon pote ?
Pierre ouvre la bouche. Il reste là, à attendre que ça sorte. Mais il est sidéré, sans voix.
Agathe.
Des images lui reviennent en flashes successifs. Une Converse. Des jambes brisées. La bouillie rose et luisante qui s'échappe de la boîte crânienne, sous la masse des cheveux noirs. Une mèche bleue s'enroulant dans le vent.
- Tu veux de l'eau ?
Son collègue lui tend une petite bouteille d'Évian. Pierre s'en saisit mais ne boit pas tout de suite. Après une poignée der secondes, Vanessa vient les rejoindre.
- Ça va aller ?
Elle pose une main sur l'épaule de Pierre, qui a l'impression de recevoir une décharge électrique. Il sait qu'il a un devoir d'information, que ce sujet va faire la une du 12/13, mais c'est plus fort que lui. Il est à deux doigts d'envoyer balader la rédactrice.
- On a le porte-parole des pompiers qui nous accorde deux minutes. Tu le sens ou pas ?
Pierre n'a pas la force de répondre. Son esprit bat la campagne. Agathe, son Agathe, a sauté de la tour Eiffel... » (p. 16-17)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Agathe, jeune fille d'origine cambodgienne adoptée par un couple de riche bourgeois français qui ne fait guère attention à elle,, chante dans les laveries. Une occupation comme une autre, moins dangereuse que de tenter sa chance dans le métro. C'est dans un de ces établissements qu'elle rencontre Pierre Sanak, reporter à France Télévision. La jeune fille charme le journaliste solitaire, aussi bien par ses chansons que par le mystère dont elle s'entoure. Il parvient à la revoir le lendemain, presque par hasard, obtient un baiser léger et une phrase énigmatique. Ce sera tout, il découvre avec horreur, un jour plus tard, que la suicidée de la tour Eiffel, pour qui sont équipe s'est rendue sur place, n'est autre qu'Agathe. Celle-ci semblait hantée par la mort, la résurrection, laissant, çà et là, dans ses paroles, nombres d'allusions.
Pierre est effondré, incapable de comprendre ce qui a pu conduire Agathe à mettre fin à ses jours, et de manière aussi spectaculaire de surcroît. Au bureau, il entend parler de Sokhom, un très jeune garçon cambodgien, déclaré mort, revenu à la vie alors que la cérémonie d'inhumation avait débuté. Le gamin s'était noyé en plongeant dans un lac afin de repêcher l'équivalent d'un dollar, donné par un touriste, que son petit frère avait laissé tomber par mégarde. Obnubilé par la tragédie d'Agathe, le journaliste fouille son passé, découvre un SDF qui lui parle de l'obsession de la jeune femme pour la mort et les EMI, expérience de mort imminente. Pierre découvre également qu'elle était originaire de la même région que Sokhom, alors il presse sa rédactrice de le laisser partir au Cambodge pour mener une enquête journalistique sur ce curieux phénomène de retour à la vie.
Une fois sur place, les traces le guideront jusqu'à la famille d'origine d'Agathe, puis vers un orphelinat et deux médecins locaux qui lui paraîtront plus que louches, les décès et retours à la vie inexpliqués semblant se multiplier dans leurs sillages... La misère extrême des populations, conduisant certains parents à abandonner leurs enfants afin de se séparer d'une bouche surnuméraire à nourrir, la corruption généralisée à grande échelle et l'opacité des archives lui compliqueront bien entendu la tâche, et son fixer, son guide-interprète Kheun, également journaliste, lui sera d'un grand secours.
Après Retour à Duncan's Creek, Nicolas Zeimet poursuit son chemin sur un thème pas si éloigné que cela, la mort d'un enfant et l'analyse en profondeur de ce qui y a mené. Son personnage principal, Pierre Sanak est anéanti par le suicide de son Agathe et l'histoire du petit Sokhom agit comme un catalyseur, il se précipite au Cambodge, autant pour expliquer ce qui est arrivé à la jeune femme que pour une illusoire tentative de la faire revenir à la vie, même de manière symbolique. Il va enquêter aux frontières de la vie et de la mort, dans un univers flou, d'autant plus difficile à pénétrer que ni les autorités policières ni les services médicaux ne vont lui être d'un grand secours. Sanak fonce, suit plus son intuition que sa raison, il bouscule les protocoles propres au pays, tant sa quête est devenue vitale pour lui. Cette jeune orpheline, croisée à deux reprises tout au plus, ne quitte plus son esprit, il ne peut se résoudre à ne pas trouver une explication à son geste funeste.
Aventure exotique, le Cambodge est un pays peu fréquenté par les polars, intrigue glauque à souhait, savants fous et expériences interdites à tous les étages, Les enfants de Lazare est une enquête menée tambour battant, dans un environnement dangereux, inquiétant, aux règles inconnues et mouvantes, face à des notables pratiquement sûrs de leur impunité, quels que soient leurs actes. Elle remet en cause cette frontière indéterminée entre la vie et la mort, ce no man's land imprécis et passionnant ainsi que les traumatismes de ceux qui y ont été confrontés.
Un bon polar, une intrigue originale sur les expériences de mort imminente, fort bien écrit et passionnant à suivre, dans un pays plein de mystère : le Cambodge.
Notice bio
Nicolas Zeimet est né le 17 juillet 1977. Il est traducteur et vit à Paris. Il se passionne pour l’écriture dès son plus jeune âge. Son premier roman, Déconnexion immédiate, paru en 2011, est suivi en 2014 de Seuls les vautours, qui reçoit le Prix Plume d’Or 2015 avant d’être republié en poche chez 10/18. Son troisième roman, Comme une ombre dans la ville, le consacre comme « l’une des jeunes voix les plus douées du polar français ». Retour à Duncan's Creek (Jigal Polar), paru en 2017, obtient le Prix Dora Suarez.
La musique du livre
Outre la sélection ci-dessous, vous pourrez trouver au fil des pages des évocations de : Dizzie Gillespie, Annie Lennox, France Gall, Lady Gaga, Céline Dion, Serge Gainsbourg, Dorothée...
Ella Fitzgerald – Somebody Loves Me
Blues Trottoir – Un soir de pluie
Christophe – Les Mots Bleus
Rita Mitsouko – Marcia Baïla
Dalida – Pour ne pas Vivre Seule
Ginette Reno – Ne m'en Veux pas
LES ENFANTS DE LAZARE – Nicolas Zeimet – Éditions Jigal Polar – 291 p. septembre 2018
photo : enfants du Cambodge - Pixabay