Chronique Livre :
Les initiés de Thomas Bronnec

Publié par Psycho-Pat le 17/01/2015
Photo : le ministère de l'Économe des Finances à Bercy (Wikipédia)
L'extrait
« Caradet était maître en la matière. Il parvenait à changer du plomb en or, comme sur la hausse du Smic. Cette promesse de campagne était indiscutable ? Soit. Il avait commencé par la discuter. Discuter de sa pertinence, et discuter ses modalités, telles qu'elles avaient été envisagées par le camp socialiste pendant la campagne. Il s'était installé avec la ministre dans une guerre de tranchées qui avait duré trois semaines, au bout de laquelle il avait mené une guerre éclair magistrale. Il avait cédé sur la date d'application, en acceptant qu'elle soit fixée le plus tôt possible – c'est à dire en septembre. Et il avait réussi à imposer, en contrepartie de l'augmentation du salaire minimum, un crédit d'impôts pour les entreprises, équivalent au surcoût engendré par cette hausse de leur masse salariale. »
Le pitch
La crise de 2008 n'a pas servi à grand chose, les banques françaises continuent quatre ans plus tard à jouer avec des produits potentiellement toxiques mais particulièrement juteux. Une d'entre elles, le Crédit Parisien, dirigée par le sulfureux Antoine Fertel, est sur le point de faire faillite, victime de sa rapacité.
Fertel pense pouvoir encore compter sur le même refinancement de son établissement par l'état, et donc les contribuables, assuré qu'il est de l'appui des hauts techniciens du ministère des Finances. Sauf qu'Isabelle Colson, ministre nommée pour sa combativité par le nouveau président de gauche, s'oppose à ces messieurs et demande à son chef de cabinet, Christophe Demory, d'imposer des contreparties en échange de son intervention.
Celui-ci n'est pas au sommet de sa forme. En quittant son bureau de Bercy, il voit le cadavre d'une jeune femme, Stéphanie Sacco disparue sans laisser de traces depuis plusieurs années, qui a sauté du toit de l'immeuble. Stéphanie n'est autre que la proche collègue de Nathalie Renaudier, celle avec qui il partageait sa vie et qui s'était suicidée. Les deux jeunes hautes fonctionnaires avaient été placardisées pour un rapport jugé pas assez complaisant à propos de Fertel et du plan de sauvetage du système bancaire français en 2008.
La ministre est au sommet dans les sondages, il est compliqué de l'affronter directement. Les manœuvres de tous les acteurs du système commencent pour contourner ou abattre l'obstacle. Christophe Demory, replongé dans son histoire avec Nathalie, cherche les causes de son suicide et celles de la réapparition de Stéphanie et il va tomber sur un sacré merdier...
L'avis de Quatre Sans Quatre
La première grande qualité de ce livre est de nous faire pénétrer dans l'univers feutré du ministère des Finances. Au plus haut niveau, celui des décisionnaires du Trésor, que la nation devrait contrôler en vertu des principes démocratiques, puisque ses fonctionnaires sont soumis au décision des autorités légitimes mises en place par les scrutins présidentiels et législatifs. Mais ce temple des finances publiques se révèle tout à fait autonome, rétif au changement, imperméable aux volontés politiques les plus farouches.
Un monde constitué de la fine fleur de l'ENA, les meilleurs des meilleurs, ayant comme interlocuteurs d'autres anciens élèves de cette prestigieuse école ayant choisi le privé et, donc, les banques et l'industrie. En fin connaisseur de l'institution, Thomas Bronnec décrit avec sérieux les résistances, au minimum passives, de ce grand corps aux changements de stratégie politique, à tout ce qui ne constitue pas son credo.
Chacun y va de sa définition de la loyauté et de la fidélité à la nation, l'adaptant aux circonstances et prenant bien soin que cette définition puisse à tout moment justifiée ces rebuffades ou manœuvres visant à modifier ou annihiler une décision de son ministre ou du président qui ne lui plaît pas. AU service de l'état ou du système bancaire, ces hommes se connaissent et se côtoient souvent depuis le lycée, leur système de pensée est formaté par les mêmes professeurs ou la même cupidité...
L'intrigue, qui ne se résume pas à un prétexte au déroulé d'un descriptif des us et coutumes de Bercy, entrecroisent habilement le destin politique d'une étoile montante d'un gouvernement de gauche tiraillé entre ses promesses de campagne, le lobbying des banquiers, la force d'inertie de l'administration et les jeux de pouvoir avec la quête de Demory tentant de mettre enfin du sens au suicide de lNathalie, la cicatrice rouverte avec la découverte du corps de son ancienne collègue au pied de Bercy.
Technique, documenté, ce thriller n'est pas non plus d'une complexité folle mais passionnant de bout en bout, les rouages et arcanes se mêlent sans effort au récit. Pas besoin d'un master d’économie pour le lire et y prendre du plaisir. Écrit comme un polar avec ses rebondissements, ses dissimulations, il en a l'intérêt et, de plus, l'avantage de nous faire entrer dans le cercle très fermé des vrais décideurs qui ne sont manifestement pas ceux qui le proclament haut et fort à longueur de média. Les deux pieds dans le réel,
Nous avons tous intérêt à faire connaissance avec Les initiés !
Notice bio
Thomas Bronnec est né à Brest. Journaliste et auteur de documentaires pour la télévision, il a exploré pendant plusieurs années les arcanes du ministère des Finances. Il a vécu au Vietnam où il a rencontré de nombreux vétérans de la guerre, une expérience qu'il a mise en scène dans son précédent roman, La fille du Hanh Hoa.
Les initiés – Thomas Bronnec – Série Noire Gallimard – 234 p. janvier 2015