Chronique Livre :
LES MAFIEUSES de Pascale Dietrich

Publié par psycho-Pat le 07/02/2019
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Il y a toujours moyen de s'arranger avec la réalité chez les gangsters. À condition de respecter le code d'honneur, on peut mener une vie formidable ! C'est en tout cas ce que Leone Acampora, vieux mafioso grenoblois, a enseigné à sa famille.
Michèle et ses deux filles ont donc appris à fermer les yeux lorsqu'elle trébuchaient sur un cadavre ou une valise de cocaïne dans le joli salon en marbre. Et si, aujourd'hui, Dina a parfois mauvaise conscience, elle espère se racheter en travaillant dans l'humanitaire. Quant à Alessia, pharmacienne inspirée, elle a pas mal d'idées pour moderniser le business paternel. Ainsi va la vie chez les femmes Acampora, entre coups de fusil à pompe et séance de tai chi.
Jusqu'à ce que le vieux Leone perde les pédales. Car avant de mourir, il a laissé une dernière instruction : lancer un tueur à gages aux trousses de sa femme...
L'occasion pour les mafieuses de déboulonner un vieux monde machiste et ringard.
L'extrait
« À l'hôpital, Leone était couché sous les draps, les traits lisses, ses lèvres charnues fermées. Les machines auxquelles il était relié émettaient des sons réguliers qui rythmaient les secondes et Michèle supposa qu'il s'agissait du tempo de son cœur. Elle s'avança, flageolante. Son cerveau fonctionnait au ralenti.
- Leone... articula-t-elle.
D'un coup, elle eut l'impression de sortir d'elle-même et de se voir dans la chambre blanche, comme au cinéma : elle, mes épaules voûtées, serrait son sac à main contre son estomac, et lui, allongé sur le matelas, seulement relié au monde par ces machines compliquées. Ses doigts s'approchèrent du visage de son mari et elle tressaillit en percevant son souffle.
- Leone, c'est moi, murmura-t-elle.
Seule la musique lugubre du moniteur lui répondit. L'infirmière avait expliqué qu'il fallait parler aux gens dans le coma car ils pouvaient ressentir des choses, mais elle n'vait pas l'habitude de monologuer.
- Les médecins m'ont dit que tu n'en avais plus pour longtemps, poursuivit-elle. Mais je n'ai pas confiance en eux. J'ai l'impression qu'ils ne savent pas grand-chose...
Le timbre de sa voix résonnait dans la pièce. Leone pouvait-il voir des choses ? Y avait-il des couleurs, des formes, des montagnes ou de la neige derrière ses paupières ?
Déjà que t'étais pas loquace avant... soupira-t-elle en tirant de son sac à main une flasque d'Amaretto. » (p. 12-13)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Les tatas flingueuses...
Elles sont venues, elles sont toutes là,
Dès que l'hôpital a parlé de coma,
Il va mourir, le papaaaaaa...
Le pauvre Leone Acampora,
Le cerveau vidé par l’Alzheimer
Agonisant, inconscient, sans repère
Il y a Michèle, l’épouse frivole,
L’haleine chargée par l'alcool
Puis Alessia, jolie dealeuse ironique,
Suivant la voie de son père cynique
Dans un coin, y a Gina, perdue, velléitaire,
Qui bosse encore un peu dans l’humanitaire
Y a même Bernard, l'ami maudit,
Avec qui Michèle a trahi son mari…
Rangez les violons, l'heure n’est plus aux pleurs et aux jérémiades dans cette chambre du centre hospitalier de Grenoble où le vieux chef mafieux expire à petit feu. Ce filou sans pitié a laissé une lettre, dans laquelle il réaffirme son amour pour son épouse, mais distille à mots couverts qu’il est au courant que celle-ci profitait de ses nombreux voyages pour se livrer à des transports coupables avec Bernard, celui-là même qui était chargé de veiller à sa sécurité et à sa fidélité envers son époux. Comment a-t-il pu être mis au courant ? Mystère. Toujours est-il qu’il a placé un contrat sur la tête de Michèle et que, connaissant l’animal, il ne l’a pas confié à un bras cassé.
Parano, panique et pataquès, la famille se serre les coudes pour faire face à la menace. Chacune, avec ses moyens, va contribuer à tenter de sauver la mamma. Pas plus affecté que ça par le décès de celui qui a partagé sa vie, très ennuyée tout de même de risquer de se faire assassiner à tout instant - tu parles d’un héritage ! -, Michèle ne reste pas à attendre patiemment l'assassin. Le mieux, la solution évidente est de disparaître, loin, là où le ou les sbires de Leone ne la trouveront pas. Pendant ce temps ses filles se chargeront d’arranger la situation, soit parvenir à un accord avec les exécutants du contrat, soit en les éliminer. Les propres contacts de Michèle dans le milieu s’avèrent bien trop anciens pour lui être utiles, les déambulateurs ont remplacé les limousines et les urinoirs les 11.43 dans le cercle de ses connaissances. Il lui faudra compter sur ses filles.
Michèle, forte tête, ne se laisse pas démonter, elle a vécu toute sa vie avec un truand, il en faut plus qu’une menace pour l’anéantir. Sa tendance à lever le coude mise à part, elle a de la ressource, même si la plupart desdites ressources sont périmées, et du courage à revendre. Oui, elle a un peu trompé Leone, mais il ne s’est pas gêné non plus, même si pour les hommes ce n’est pas pareil, évidemment. Surtout chez les hommes d’honneur, passant leur temps à piller, voler, tuer et arnaquer, une maîtresse est un viatique obligatoire. Pour la vieille dame, sa relation purement sexuelle avec Bernard ne mérite pas toute cette histoire et elle est bien décidée à ne pas devenir la victime expiatoire de son défunt mari.
Alessia, pharmacienne-dealeuse, à la tête des activités inavouables du clan, a deux enfants, Matteo et Luisa, seize et treize ans, un mari, loin de partager ses activités, et un tempérament de combattante qui lui permet d’évoluer dans l’environnement sauvage et hostile du grand banditisme. L’épée de Damoclès en suspension au-dessus de la tête de sa mère tombe, si j'ose dire, au plus mauvais moment. Alessia est occupée à mettre au pas, ou conclure un accord avec Awax Rouamba, un caïd congolais de 150 kilos qui lui fait de l’ombre, et ce ne sont pas les quelques sentences new wave un peu cuculs qu’elle se récite chaque matin qui lui sont d’un grand secours. Alessia possède certes sa garde prétorienne, des aides précieuses, mais également un sens de l’ironie fort utile qui lui permet de se distancier des situations les plus tendues pour réagir au mieux.
Dina, quant à elle, dégoûtée par le milieu dans lequel s’est déroulé son enfance, a choisi de travailler pour une ONG, mais n’y trouve pas la rédemption qu’elle était venue y chercher. Celle-ci passe l’essentiel de son temps à chercher du fric, comme n’importe quelle entreprise légale ou illégale, mettant au second plan l’intérêt de la mission lorsqu’une opportunité de ramasser un paquet de pognon se présente. Quand ce ne sont pas ses collègues partant sur le terrain qui en profitent pour abuser des enfants ou filouter sur les notes de frais. Instable dans sa vie professionnelle, tout autant dans sa vie sentimentale, elle va mettre tout en oeuvre pour sauver sa mère, même si le chaos qui l’habite transforme ses interventions comme celles d'un chien dans un jeu de quilles qu’en secours efficace…
Une comédie, Les mafieuses ? Certes, on y rit tout du long, sauf lorsque le suspense nous tient en haleine ou au cours des scènes d’action qui ne manquent pas. Une comédie à l’italienne aux personnages faussement archétypaux, riches de personnalités élaborées et finement dessinées, pas un pastiche, une vraie histoire moderne d’adaptation de l’ancien monde aux réalités d’aujourd’hui. Bien sûr que le trait est parfois un peu forcé, et alors ? Lorsque c’est fait avec talent et que la caricature sert le propos, j’applaudis, on a rien trouvé de mieux pour faire passer en douceur des messages qui peinent à être entendus autrement.
Pascale Dietrich parvient avec habileté à transposer les classiques du genre mafieux en inversant les rôles. Les ravissantes idiotes classiques deviennent de redoutables stratèges, les beaux mecs d’hier sont cacochymes et leur territoire se limitent à leurs maisons de retraite, les jeunots manquent de métier et de culture, voire d’un peu de chance. Certes Alessia n’est ni Al Pacino ni Marlon Brando, mais elle est vive et sait ce qu’elle veut, et toute perdue qu’elle est, Dina, par sa maladresse va favoriser leur destin. Comme bon sang ne saurait mentir, Matteo ne sera pas en reste.
Un polar enlevé, drôle, un tantinet acide, juste ce qu’il faut, aux personnages attachants. Une histoire de gangster.e.s retors.es, posant, sans en avoir l’air, quelques banderilles féministes dans un univers de mâles obtus et armés...
Notice bio
Pascale Dietrich est née à Tours en 1980. Sociologue à l'Ined à Paris, ses travaux portent sur les inégalités face au logement et les conditions de vie des plus démunis. Côté écriture, elle a publié des nouvelles dans des revues et des collectifs (Monsieur Toussaint Louverture) ainsi que de courts romans flirtant avec le polar, Le homard (Éditions In8 - 2013) ou Une île bien tranquille (Éditions Liane Levi - 2016)
La musique du livre
Dany Brillant – C'est l'Amour qui Rend Heureux
Gold – Un peu plus près des étoiles
Daniel Darc - C'est moi le printemps
LES MAFIEUSES – Pascale Dietrich – Éditions Liana Levi – 151 p. février 2019
photo : Pixabay