Chronique Livre :
LES MILITANTES de Claire Raphaël

Publié par Psycho-Pat le 12/03/2020
Quatre Sans… Quatrième de couv…
Ce n’est pas tous les jours qu’on assassine une femme en pleine rue par arme à feu. Ni qu’on trouve une signature sur des étuis percutés.
Alice Yekavian est experte en balistique. Béatrice Chabaud avait été capable de quitter un mari qui la battait, de retourner son destin, assez peut-être pour irriter ceux qui aimeraient que les victimes restent dans leur rôle. Qui s’est attaqué à cette militante contre les violences faites aux femmes, liée à un journaliste ayant appartenu à la mouvance d’extrême gauche ?
Les équipes de police n’ont aucun doute. Cette enquête va leur demander du temps, de la minutie, de la modestie. Quand les malentendus s’enchaînent, quand les détails prennent de l’importance et qu’on n’y peut rien, quand le hasard s’invite en prenant l’ascendant sur votre intelligence, quand les suspects ont trop de choses à dire après avoir peaufiné leurs mensonges pendant des années, il suffit parfois d’un détail pour que tout s’éclaire. Ou de laisser une chance à ses intuitions.
L’extrait
« Je m’amusais dans mon coin. Au fond du plus grand bureau, dans ce laboratoire de police scientifique où nous sommes vingt balisticiens à turbiner comme des moteurs. Et nous n’avons plus tellement le temps de rêver. Les enquêteurs nous réquisitionnent tous les jours, parce que les armes en France sont aussi nombreuses que les animaux domestiques, et leurs propriétaires ne sont pas des saints, ni les héros qu’ils aimeraient être.
Le chef est venu me distraire. M’imposant sans ménagement de répondre vite et bien à sa sollicitation. Il me proposait une urgence que j’ai acceptée avec le sourire parce qu’il paraît que cela me va bien de sourire. C’était neuf douilles de calibre 45 trouvées aux pieds d’une femme comme des pétales dorés décorant sa dépouille. Et il est assez rare que les femmes soient exécutées de cette manière.
Les femmes sont généralement tuées à la main, ou avec quelque ustensile ménager qui pèsera lourd sur leur crâne, parfois elles sont poignardées avec un couteau de cuisine. Elles sont tuées sans trop de cérémonial, elles sont tuées sans trop de manières, elles sont tuées par la seule volonté de leur bourreau, elles sont tuées modestement pourrait-on dire. Elles sont tuées par des coups portés dans le secret des alcôves familiales. Et il faut souvent plusieurs années pour que des violences conjugales finissent en bain de sang. Il faut des habitudes qui s’enveniment et des ressentiments qui s’exacerbent… et parfois, il suffit d’une simple soirée alcoolisée et l’alcool sera accusée du crime.
Les femmes sont très rarement tuées par arme à feu. Et celle dont on me présentait le dossier avait sans doute la malchance d’appartenir à la part d’exception que les statistiques autorisent.
J’ai reçu les photographies un peu plus tard. Elle avait été touchée dans le dos, au moment où elle remontait le rideau du garage, et elle s’était affalée au pied de sa Clio, dans un quartier pavillonnaire de Meudon.
Elle portait une longue jupe, une de ces jupes paysannes qui descendent sur la cheville et s’arrangent de couleurs sobres, fondues en arabesques fleuries, pour imiter une élégance qui ne cherche pas à s’afficher… Elle portait un chemisier à manche courte doté d’épaulettes et d’un écusson… Une jupe féminine et une chemisette masculine… C’était une femme qui tentait d’imposer sa volonté sans renier son genre… Son sac à main à ses côtés était encore fermé pour témoigner que le vol n’était pas le mobile du crime. Les photographies suivantes étaient moins décentes, le chemisier ouvert par le médecin, découpé à l’arrache et froissé comme un vieux chiffon, et la peau nue, blanche, tendue pour donner à voir des volumes de femme gironde, er on l’aurait bien vue installée dans la lumière d’un cabinet de peinture, cette femme qui nous offrait l’expression de sa nudité ourlée de traits de peinture rouge, des traits de sang marquant les plaies des coups de feu qui l’avaient perforée.
Sur son dos, les orifices d’entrée étaient au nombre de neuf, comme le nombre d’étuis retrouvés très exactement. » (p. 9-10-11)
L’avis de Quatre Sans Quatre
« Le crime est souvent l’expression d’une bêtise qui n’a pas d’imagination. »
Un peu de renouvellement ne peut nuire, il fait même beaucoup de bien parfois, comme avec ce polar au personnage principal fort original : une technicienne en balistique. D’autant plus que le crime auquel elle est confrontée est tout sauf banal. Un meurtre de femme, voilà qui ne nous change guère, hélas, de l’actualité et de la panoplie de base du roman policier, excepté que celui-ci est digne d’un règlement de compte dans le milieu du grand banditisme. La victime a été abattue devant chez elle par une rafale de neuf balles dont on a retrouvé les étuis sur place. Ce qui n’avance pas vraiment l’enquête du lieutenant Mielic puisque ce sont ses seuls indices. Pourtant un fait se révèle étrange : ces douilles ont été gravées avec les initiales de la jeune femme assassinée. BC, comme Béatrice Chabaud. Voilà donc la police entre un scénario pouvant aussi bien faire référence à une tuerie entre truands ou une mise en scène de serial killer. Afin de venir en aide aux policiers de terrain, le supérieur d’Alice Yekavian, la balisticienne, l’autorise à suivre Mielic dans ses investigations.
Béatrice Chabaud fut une femme battue qui a su se relever, résister, trouver refuge dans une association et s’y reconstruire, avant d’aider à son tour d’autres femmes qui vivent le même calvaire. L’ex-mari violent est hors de cause, l’enquête se tourne alors sur les relations qu’auraient pu nouer la victime après sa séparation. Un journaliste d’extrême-gauche, connu pour des faits de violence, y compris domestiques, attire l’attention : Grégoire Berger. Il va être le centre de toutes les attentions des policiers. Là encore, un très beau personnage de loser, intelligent, abimé par la vie, l’alcool et les combats perdus, mais refusant d’abdiquer son goût de la provocation et les ambiguïtés comme si c’était là les dernières bouées pouvant lui éviter de couler.
Un deuxième meurtre suivra, puis un autre, étuis là-aussi gravés d’initiales et, malgré tous les efforts du groupe d’enquêteurs et d’Alice, pas moyen de trouver un lien entre les victimes, si ce n’est qu’elles habitent à Meudon… comme des dizaines de milliers d’autres femmes.
La complexité de l’affaire permet à Claire Raphaël de faire embrasser à Alice un vaste panorama des diverses violences faites aux femmes aujourd’hui, de la confronter aux militantes de terrain, à de petites voleuses exploitées par des adultes, mais également aux exclus d’une société qui ne fait aucun cadeau aux faibles. C’est aussi, bien évidemment, l’occasion de parler de son métier, du rôle de plus en plus essentiel de la technologie et du savoir-faire des technicien.nes de police scientifique et des médecins légistes, essentiels dans la résolution de bon nombre de dossiers. Sans pour autant, loin de là, dédaigner la part d’irrationnel qui ne peut qu’enrichir les connaissances, l’instinct, c’est la conjugaison des deux qui donnera les meilleurs résultats. Bien qu’issus de services bien différents, Alice et Miélic vont finalement former un duo très complémentaire qu’on ne demande qu’à revoir dans de nouvelles enquêtes.
Pour son premier roman, l’autrice fait preuve d’une maîtrise exceptionnelle de son intrigue et de ses personnages qu’elle a su creuser pour les intégrer dans une histoire d’un réalisme glaçant. Pas de place ici pour les artifices et ficelles d’écriture, le vocabulaire est sobre, le style limpide et il fait mouche. Le lecteur se trouve dans les pas et les pensées d’Alice, totalement immergé au sein des rouages d’une enquête complexe dans laquelle il n’y a pas de seconds rôles ni de digressions inutiles et lassantes. Suspense, coups de théâtre, fausses pistes, anecdotes sentant l’expérience de l’autrice, rien ne manque à ce texte dans les codes traditionnels du genre, il n’y a que des plus tout à fait passionnants.
Un excellent premier roman, un polar réaliste et sombre ayant pour thème les violences faites aux femmes, une enquête en immersion dans la police scientifique pour une intrigue riche en rebondissements…
Notice bio
Claire Raphaël est ingénieure de la police scientifique et travaille en région parisienne. Les Militantes est son premier roman. Elle publie également de la poésie.
La musique du livre
Les Rita Mitsouko – Les Histoires d’Amour
LES MILITANTES – Claire Raphaël – Éditions du Rouergue – collection Rouergue Noir – 223 p. mars 2020
photo : Esther Chilcut pour Pixabay