Chronique Livre :
Les Neuf Cercles de R. J. Ellory

Publié par Psycho-Pat le 27/10/2014
Photographie : évacuation de soldat américains au Vietnam (Wikipédia)
« C'était comme si nous passions tous un pacte avec Dieu. Croyez, ayez confiance, ayez foi en Sa bonté et tout ira bien. Mon œil, tout n'allait pas bien. Ce n'était jamais allé bien, et ça n'irait jamais bien. Tout n'était qu'horreur et saloperie.
Gaines croyait fermement – quand il était question de pacte avec Dieu – que l'une des deux parties ne respectait pas sa part du contrat. » (R. J. Ellory)
Le pitch
1974 : John Gaines est devenu shérif de Whytesburg, une petite bourgade du Mississippi, après son retour de la guerre du Vietnam où il a côtoyé plus d'horreur qu'un homme ne devrait en voir. Les vrombissements des hélicoptères de combat et le staccato des mitrailleuses peuplent toujours ses cauchemars. Sa vie sociale est un désert, son père fut tué en Belgique en 1942, sa mère agonise d'un cancer chez lui et il ne rencontre guère que ses collègues de travail.
Le cadavre d'une jeune fille disparue en 1954 est retrouvé au bord de la rivière parfaitement conservé. Le thorax, atrocement mutilé, est grossièrement recousu, et, à la place du cœur, le légiste et John Gaines découvre un panier contenant un serpent qui se mord le queue, un Ourobouros.
Commence alors une enquête qui devient vite vitale et personnelle pour le shérif qui va croiser de biens étranges personnages de ce sud profond des Etats-Unis où la fin de la ségrégation raciale n'est pas rentrée dans les mœurs et où les secrets prennent une densité plus lourde qu'ailleurs. Gaines a traversé les neuf cercles de l'enfer au Vietnam, il va devoir tenter de refaire ce chemin pour élucider ce mystère et poser enfin le fardeau le plus lourd qu'il ait connu : le souvenir des morts...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Au delà de l'enquête en elle-même, passionnante et tordue à souhait, c'est la terrible détermination de Gaines qui éclaire ce récit d'une lumière directement venue des enfers. Dès le début, le lecteur sait que rien ne peut arrêter sa quête de vérité, ni le respect de la loi ni le risque de voir les preuves collectées annulées pour vice de procédure, il ira au bout de sa vie ou de l'énigme.
Gaines joue sa peau contre un ennemi invisible, comme au Vietnam. Comme dans ce conflit inachevé qui l'a profondément marqué, c'est la catharsis inattendue, celle qui peut tout changer, l'occasion de trouver un mobile à la mort. Il en a tant vu qui ne rimaient à rien au plus profond de la jungle qu'il fait une affaire personnelle de celle-ci.
De l'analyse des traumatismes de guerre au motivations criminelles, R. J. Ellory domine totalement son sujet. Le lecteur passe alternativement de la jungle vietnamienne au sud profond, de la peur effroyable du soldat perdu dans un conflit qu'il ne comprend pas, des massacres inutiless aux crimes et secrets sordides du présent sans se perdre un instant, la maitrise de l'auteur est éblouissante.
L'écriture est, comme à l'accoutumée chez Ellory, magnifique. Il retrouve ici le souffle de Seul le Silence ou de Vendetta qui manquait un tout petit peu à ses ouvrages plus récents. Il sait comme peu d'auteur embarquer son lecteur dans les recoins les plus glauques de l'âme humaine, mêler à merveille la symbolique la plus ésotérique et les conversations les plus anodines. Le récit ne perd pas une seule seconde de son intérêt, les passages relatant le passé du combattant expliquant brillamment les tâtonnements de l'enquêteur et de l'homme.
Ce thriller est un pur chef d'oeuvre ! Un très grand roman puissamment humain et humaniste. Chaque personnage cherche sa voie, cherche à se perdre ou à se retrouver mais aucun n'est inintéressant, chaque rouage a sa place et joue juste. A noter la traduction qui est remarquable également.
Un des meilleurs romans de cette année sans aucun doute, à découvrir absolument !
Notice bio
Roger Jon Ellory est né en 1965 à Birmingham. Il n'a pas connu son père, qui aurait été un voleur hollandais, et sa mère est décédée alors qu'il n'avait que 8 ans. Confié à sa grand-mère, celle-ci, de santé précaire, décide de le confier à l'orphelinat. C'est dans la bibliothèque de cette institution qu'il fera connaissance avec la littérature, il apprend également la trompette classique et jazz.
Après un bref séjour en prison pour vol, il monte un groupe de rock, The Manta Rays, où il jouera de la guitare. Vivant dans des conditions déplorables dans un studio qu'ils ont construit dans la maison de sa grand-mère, le batteur y décède d'une crise d'asthme. R. J. Ellory se tourne alors vers la littérature et publie son premier roman après plus de 120 refus.
Depuis 2008, avec Seul le silence et Vendetta, tous les deux chez Sonatines éditions, il enchaine des thrillers magnifiques au style unique qui font de lui un des plus grands écrivains du genre actuellement.
La musique du livre
Nous sommes en 1974, Gaines a quasi laissé sa peau au Vietnam et, malheureusement, les rangs des immenses gloires de la rock music se sont également éclaircis durant le conflit. Le shérif écoute ce qui passait en boucle à l'époque, Janis Joplin dans Cry Baby, Jimi Hendrix et son Purple Haze de légende ainsi que l'énorme boogie de Canned Heat, On the road again.
Une petite note nostalgique avec Dinah Washington dont le standard What difference a day makes qui passait à la radio tandis que Linda, son ex compagne, perdait l'unique enfant qu'il aurait pu avoir.
Les Neuf Cercles sont emplis de musique, de celle du milieu des années 50 à celle des seventies, de belles découvertes à faire tout au long du roman !
Les Neuf Cercles – R. J. Ellory – Sonatines éditions – 574 p. octobre 2014
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau