Chronique Livre :
LES OMBRES INNOCENTES de Guillaume Audru

Publié par Psycho-Pat le 03/01/2016
photo : Vaches Aubrac sur le Plomb du Cantal (Wikipédia)
Le pitch
Été 2013, un vieil homme est retrouvé hagard et blessé sur une petite route de Corrèze. Choqué, il ne veut pas porter plainte alors qu'il a manifestement été molesté. Le même jour, une femme très âgée est découverte par son fils, pendue à un croc de boucher et éventrée, dans sa ferme isolée sur le plateau de l'Aubrac. Un gendarme un peu désabusé, proche de la retraite, et sa jeune collègue vont se charger des premières constatations et de l'enquête.
Pendant ce temps-là, Hélèna Roussillon, aide-soignante à la clinique psychiatrique des Dômes, non loin de Clermont-Ferrand, s'occupe tout particulièrement, au grand dam de ses collègues et de sa hiérarchie, d'une patiente oubliée de tous qui hurle et agresse ceux qui entrent dans sa chambre d'isolement.
Le tabassage du vieillard entraîne Élie Sarrabé, ancien commissaire d'Ussel, à se confier à un jeune journaliste d'un canard local de Corrèze, Matthieu Géniès. Il commence à lui donner quelques éléments pouvant expliquer l'agression, lui laissant à penser que cette histoire mérite quelques risques.
Tous ces personnages vont se retrouver plongés dans le même drame, la même tragédie ancienne, tirée d'un fait réel, aux conséquences effroyables. Un récit où c'est le réel qui est efrrayant !
L'extrait
« Café. Clope. Cafés. Clopes. Le régime quotidien de Serge Limantour. Des habitudes acquises depuis qu'il a endossé l'uniforme. Son médecin, qu'il omet souvent de fréquenter, lui a recommandé à maintes reprises de ralentir l'allure. Voire de tout arrêter du jour au lendemain. Serge n'en a cure. ET ce ne sont pas les remarques naïvement assénées par Boulmerka qui le convaincront d'arrêter. Sous le regard stoïque de Nicolas Jansac, plusieurs mégots maculent déjà la terre sèche de la ferme des Gerles.
Autour d'eux, ça s'agite, ça brasse. On s'active, on prélève. Quantités de combinaisons blanches ont investi les lieux. Avec un rictus de dégoût, Limantour pense à une bande de charognards puis reporte son attention sur Jansac. Serge le dévisage puis se ravise. Jamais il ne s'est montré aussi empathique avec un témoin. Mille précautions pour éviter que Nicolas ne sombre, même si celui-ci continue de se tenir fier et droit, évitant au possible de laisser paraître la moindre émotion. Une petite tape sur l'épaule ou un sourire bien appuyé, Jansac a choisi de ne pas s'offusquer de ce rapprochement. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Au départ de ce polar sinueux, un drame comme seuls les états imbus d'eux-mêmes et méprisants peuvent en produire. Impossible de vous en parler davantage sans déflorer une intrigue qui mérite d'être découverte au fil des diverses enquêtes parallèles qui font vivre ce roman et en font tout l'intérêt. Mais il fallait beaucoup de talent pour parvenir à imaginer tout ce réseau de faits isolés qui ne peuvent que mener à la mise à nu de la vérité, des causes profondes de ces faits divers et anecdotes n'ayant, a priori, que peu de rapports entre eux.
Des paysages magnifiques mais désolés, une population secrète, vieillissante, repliée sur elle-même, qui imagine mais ne sait pas vraiment, ou sait mais ne dit rien. Le curé pour faire le lien et, aussi, tout ce qu'il veut, il est la figure de l'autorité ultime, la référence morale qui efface les moindres doutes qui pourraient survenir. Guillaume Audru lance toutes les troupes disponibles sur ce coffre-fort de mystères, de pratiques d'un autre temps : un journaliste, un ancien flic, un vieux gendarme qui n'a plus rien à perdre, une jeune qui a tout à découvrir, une aide-soignante rebelle aux méthodes expéditives. L'adversaire est coriace, une institution psychiatrique, l'église, l'état, les taiseux locaux.
Sans perdre son lecteur, l'auteur contrôle parfaitement le lent cheminement des protagonistes, les progrès de chacun, les méthodes bien différentes aux résultats complémentaires. Une écriture très directe, en prise avec le milieu géographique où l'on ne fait pas de grandes phrases et l'affaire qui ne tolère que de petites avancées.
La frontière est bien mince entre innocents et coupables, victimes et bourreaux, pris dans un même mouvement initié par d'autres, loin, intouchables, tous les acteurs de cette histoire sont dépassés par l'ampleur de la cause initiale. Des personnages riches, avec des failles béantes, des qualités, des pulsions, et un scénario tortueux à force de non-dits ou de dissimulations retorses dans une contrée propice à ces manœuvres.
Tous les ingrédients pour un excellent thriller qui passionne le lecteur d'un bout à l'autre, tout en lui donnant la possibilité de réfléchir sur l'inconséquence de certaines décisions politiques imbéciles, ou, plutôt, leurs conséquences funestes.
Notice bio
Guillaume Audru est né en 1979 à Poitiers. Fan de romans policiers, il est le créateur du célèbre blog Territoires Polars. Son premier ouvrage, L'Île des Hommes Perdus (éditions du Caïman) figurait dans la liste des quinze meilleurs polars francophones de la sélection du festival de Cognac 2014. Il travaille dans le secteur de la logistique pour un grand groupe privé et est vice-président de l'association poitevine L'Instant Polar.
La musique du livre
Beautiful Drug de Thievery Corporation pour saluer l'arrivée de Cécile Cuesta, la substitut du procureur de Mende sur les lieux du meurtres de la vieille femme. Élégamment vêtue, séductrice, pas tout à fait raccord avec la scène, et de troubles rapports avec le gendarme Limantour.
Matthieu Géniès, le journaliste, écoute Massive Attack - Save From Harm dans sa voiture pour se changer les idées et oublier la fatigue. C'est lui qui fournira la plus grande part de la playlist du roman puisque, bien plus avant dans le roman, il mettra Nine Inch Nails - Various Methods Of Escape dans son lecteur CD puis Dave Gahan – Insoluble pendant qu'il attend Élie Sarrabé.
LES OMBRES INNOCENTES – Guillaume Audru – Éditions du Caïman – 260 p. décembre 2015