Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
LES RUES DE LAREDO de Larry McMurtry

Chronique Livre : LES RUES DE LAREDO de Larry McMurtry sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

« La plupart des voleurs de trains sont pas malins, et c’est une chance pour les compagnies de chemins de fer. À eux seuls, cinq bandits pas trop idiots pourraient braquer tous les trains de ce pays. »

Ainsi parle Woodrow Call, ancien capitaine des Texas Rangers désormais reconverti en chasseur de primes.

Engagé pour éliminer Joey Garza, un dangereux criminel mexicain plus futé que les autres, il sillonne les étendues arides du Texas en compagnie d’une équipe hétéroclite.

Mais le monde du vieil Ouest héroïque a changé ; la Frontière a été refermée, le pays est sillonné de lignes de chemin de fer, les cow-boys, Indiens et hors-la-loi ne sont plus ce qu’ils étaient. Une chose est sûre : Call, vieillissant, ne comprend guère la civilisation qui arrive. Mais Joey Garza est un adversaire à sa mesure.

Dernier volet de la saga Lonesome Dove, Les Rues de Laredo conte les ultimes aventures du légendaire Woodrow Call.


L’extrait

« Quand le capitaine Call vit Pea Eye au bord de la voie ferrée, sans arme ni couchage, il sut que l’heure du changement était arrivée. C’était un choc désagréable, mais pas une surprise. D’année en année, Lorena avait resserré son emprise sur Pea Eye. Depuis deux ans en particulier, le manque d’enthousiasme de Pea Eye à l’accompagner sautait aux yeux, son travail commençait même à s’en ressentir. La moitié du temps durant leurs expéditions, le mal du pays, ou le mal de femme, l’empêchait d’être aussi efficace qu’autrefois - et des sa jeunesse déjà, son efficacité était limitée.
- Eh bien, je crois que j’ai fait stopper ce train pour rien si tu comptes pas monter à bord, dit Call.
Il était contrarié et Pea Eye le savait forcément. Mais puisqu’il s’était présenté sans son équipement, Call ne vit aucun intérêt à tenter de le convaincre.
- Je ferais mieux d’y aller, dit-il. Bon courage avec ta ferme.
Call serra la main de Pea Eye et remonta à bord du train qui repartit un moment plus tard. Bientôt le dernier wagon avait disparu du champ de vision de Pea Eye, englouti par l’océan d’herbe aussi sûrement qu’un bateau l’eut été par l’horizon marin. Pea Eye retourna lentement jusqu’à son cheval, qui broutait à quelques pas. Il n’en croyait pas ses yeux : le capitaine était parti. Il n’avait même pas essayé de discuter avec lui, bien qu’il eût semblé fort dépité. Évidemment, il avait remarqué d’emblée que Pea Eye n’avait pas pris ses armes.
- Tu as oublié ton arsenal ? avait demandé le capitaine en descendant du train.
- Non, je l’ai pas oublié, je l’ai simplement laissé à la maison, avait-il répondu.
Derrière la vitre du train, un homme coiffé d’un fédora les regardait fixement. Pea Eye était déjà mal à l’aise, et le fait qu’un homme coiffé d’un fédora les observe n’arrangeait pas les choses.
- Oh, lui, c’est monsieur Brookshire, dit le capitaine en jetant un regard vers l’homme. C’est un employé de la compagnie de chemin de fer. Il va devoir changer de chapeau s’il compte voyager avec moi. Un homme incapable de garder son chapeau sur sa tête me sera pas d’une grande utilité au Mexique.
- Je crois que moi non plus, capitaine, répondit Pea Eye. J’ai une femme et cinq enfants, dont un bébé. Je crois qu’il est temps pour moi d’arrêter de courir après les bandits. » (p. 45-46)


L’avis de Quatre Sans Quatre

« Le capitaine Call dégageait une impression de grisaille et d’usure, celle d’un homme qui n’était plus ni jeune ni bien portant. »

Terminus ! Tout le monde descend, ou se fait descendre : Les rues de Laredo marquent le terme des aventures du désormais ex-capitaine des Texas Rangers, Woodrow Call. À la toute fin du dix-neuvième siècle, 1890, alors que la rude vie du Far West est bouleversée par le progrès, que les guerres indiennes ne sont plus qu’un souvenir (surtout pour les génocidaires), les intrépides héros d’autrefois s’épuisent sur les pistes glacées et désertiques du Texas à traquer des bandits plus jeunes et plus rapides qu’eux. Les autres se sont établis dans un confort très relatif qu’ils peinent toutefois à quitter. Les rues de Laredo clôt donc le cycle ouvert avec La Marche du mort (années 1840), suivi de Lune comanche (1850) et Lonesome Dove (1870).

Le colonel Terry, tyrannique directeur de la compagnie de chemins de fer, charge Brookshire, son employé modèle, spécialiste de la comptabilité, rigoureux, falot, timoré, de prendre la place de son chargé de mission habituel, malade, pour aller engager le vieux capitaine de Texas Rangers Woodrow Call, afin que celui-ci débarrasse le pays d’un intrépide bandit multipliant les attaques contre ses trains. Non seulement il détrousse les voyageurs, s’empare de la solde que l’armée envoie par le rail, mais assassine à tout-va, sans y être contraint, à chacun de ses forfaits. Ce hors-la-loi, Joey Garza, est Mexicain et semble franchir la frontière à sa guise pour frapper lorsque bon lui semble. Le mandat de Call n’est pas de capturer Joey, mais de le pendre, ou de l’abattre, le colonel n’a pas de préférence.

Woodrow Call n’est plus ce qu’il a été, loin de là. L’arthrose s’est propagée dans ses articulations, la fatigue de l’âge ralentit ses prises de décision et les souvenirs amers tiennent plus de place dans son esprit que les projets d’avenir. La légende a vécu, mais le colonel Terry ne le sait pas, pas plus que tous ceux qui craignent Call de part et d’autre du Rio Grande. Plus inquiétant, Woodrow Call lui-même n’en a pas réellement conscience.

Pea Eye, son fidèle compagnon, désormais marié et père de cinq enfants, rechigne, puis refuse de l’accompagner, pour la première fois. Call s’embarque donc dans l’aventure en compagnie de Brookshire, citadin totalement inadapté à la vie dans le désert texan, puis d’un shérif-adjoint regrettant, dès le premier soir de bivouac, de s’être engagé avec le chasseur de primes. Une véritable bande de bras cassés... La traque va durer des semaines, l’occasion d’évoquer le passé de Call, mais également la vie de tous les pittoresques personnages croisés tout au long des 750 pages. Que ce soit Famous Shoes, le vieux pisteur indien, dernier de sa tribu, capable de lire n’importe quel signe, John Wesley Hardin, le tueur, les putains qui sont légions et meurent en nombre sous les coups des ivrognes, les bandits, les artisans ou les simples vaqueros, tous sont peints avec minutie et illustrent une partie de l’histoire finissante de l’ouest sauvage. Ce ne sont pas les épreuves qui vont manquer pour l’ancien ranger puisqu’un autre hors-la-loi, pire encore peut-être que Joey, surnommé Mox Mox, ayant pour sale manie de brûler ses victimes, sans souvent attendre qu’elles soient mortes, monte une bande et décide également de s’en prendre aux trains du colonel Terry...

Deux femmes tiennent ce récit de bout en bout. Maria, la mère de Joey Garza, dont le père et le frère ont déjà été pendus par Call, et qui, en plus de protéger son bandit de fils, mauvais comme une teigne, éduque tant que faire se peut sa fille aveugle et son dernier né simplet, et Lorena, ancienne prostituée, au passé chargé de malheurs, devenue institutrice à force de volonté, mère des cinq enfants de Pea Eye. Elles semblent posséder l’apanage de la lucidité, de l’intelligence, mais également du courage qui commence à faire défaut à ces mâles, ramollis par les nouvelles commodités dont bénéficie les ex-pionniers.

De nombreuses tragédies attendent Call et sa troupe tout au long du chemin erratique parcouru d’un côté et de l’autre de la frontière, à travers des déserts brûlants ou glacés, des campagnes hostiles, ou une ville comme Crow Town, symbole de la décomposition générale. La nostalgie domine, celles de Woodrow contemplant son monde en train de s’effondrer, de se réduire comme lui-même s’enfonce dans la sénescence. Pas un seul instant, ce voyage au pas lent des chevaux ne paraît long, la magnifique écriture de McMurtry, la sauvagerie de la vie sur cette frontière nouvelle, les dizaines de rebondissements, d’histoires intriquées, de retournements de situation captivent littéralement.

Les rues de Laredo est au western ce que la série Les Soprano est à la mafia, une lente et minutieuse description de la déliquescence d’un mythe, l’arrivée du progrès, implacable, rendant les inamovibles héros inadaptés à un monde où ils n’ont plus leur place.

Sublime, puissant, cette fresque grandiose est un chef d’œuvre d’écriture et de finesse d’analyse des personnages. Aventures, actions, psychologie subtile, sauvagerie, amours torturés, révoltes, toute l’humanité y est représentée. Une partie s’y meurt, une autre émerge, dans les convulsions propres à tous les grands changements. Un de mes très gros coup de cœur 2020.


Notice bio

Larry McMurtry naît le 3 juin 1936 à Archer City, au Texas, et grandit sur le ranch familial. Fils et petit-fils d'éleveur, il est très tôt fasciné par les légendes et les mythes de l'Ouest.
Étudiant brillant, il suivra un cursus de lettres et publie son premier roman à l’âge de vingt-cinq ans : Horseman, Pass By, porté à l'écran sous le titre Hud avec Paul Newman dans le rôle principal. Suivront plus de quarante livres, dont plusieurs best-sellers. Six d'entre eux ont été adaptés à l’écran – notamment La Dernière Séance, réalisé par Peter Bogdanovich, et Tendres passions, par James L. Brooks. En 1969, Larry McMurtry, qui vient de déménager à Washington DC, ouvre une première librairie, Booked up, à Georgetown. En 1988, il en ouvre une deuxième à Archer City.
Depuis 1992, il collabore avec les studios de Hollywood pour la rédaction de divers scénarios, dont celui du Secret de Brokeback Mountain pour lequel il a remporté un Oscar en 2006. Son roman best-seller Lonesome Dove a obtenu le prix Pulitzer en 1986, avant d’être adapté à Hollywood pour la télévision avec Robert Duval et Tommy Lee Jones dans les rôles principaux. Aujourd’hui, Larry McMurtry vit à Archer City, au Texas.


La musique du livre

Andrea Bocelli and Alison Krauss - Amazing Grace

Rock of Age

The Carter Family - Can the Circle Be Unbroken

Lauren Solomons & Manilo Barry Davids - There’s a Home Beyond the River


LES RUES DE LAREDO - Larry McMurtry - Éditions Gallmeister - 744 p. novembre 2020
Traduit de l’américain par Christophe Cuq

photo : SoapWitch pour Pixabay

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