Chronique Livre :
Les temps sauvages de Ian Manook

Publié par Psycho-Pat le 10/02/2015
L'extrait
« Ce qui se voit, c'est que ton cœur est meurtri. De cette ville, de ce que deviennent les gens, de ce que tu fais pour vivre, de ce que tu ne peux plus faire pour les autres. Tu es fort dehors, mais tu pleures à l'intérieur. Alors que tu aimerais que la montagne sacrée te rapproche du ciel, tu as au contraire l'impression qu'elle pèse tout entière sur tes seules épaules. Tu sais qu'on va te battre, encore et encore, et que tu vas tenir bon. Tu sais que des gens t'aiment, mais tu ne sais pas comment les aimer. Tu voudrais remettre de l'ordre dans ta vie et dans la ville, mais tu ne peux le faire que par la force et la colère. Tu apportes la mort comme punition alors que tu as reçu l'Enseignement. Tu as sauvé Altentsetseg et pourtant elle est morte à cause de toi... » (un vieux nomade d'Oulan Bator à Yeruldelgger)
Le pitch
C'est une étrange affaire que découvre l'inspecteur Oyun, adjointe de Yeruldelgger, dans la steppe encore plus glacée que d'habitude par un vent frigorifiant. Elle a été appelée par un jeune militaire pour une sorte de hamburger démentiel : un cheval, un homme en selle et un yak par dessus le tout, tous écrabouillés, morts plus que permis et congelés à cœur. Comment ce cavalier a t'il pu se faire écraser avec sa monture par une femelle yak venue du ciel ?
Pendant ce temps, Yeruldelgger, le flic d'élite de la police mongole et élève brillant du monastère de Shao-Lin, s'est rendu, à l'invitation du professeur , gardien d'un petit musée archéologique, examiner la curieuse trouvaille de celui-ci : des gypaètes se régalent en laissant tomber des os humains sur les rochers pour en extraire la substantifique moelle. Le cadavre, perché sur l'à-pic d'une falaise semble lui aussi tombé de bien plus haut que le sommet.
Au même moment, Solongo, la compagne de Yeruldelgger, médecin légiste de son état, examine le corps égorgés d'une jeune femme que son hôpital a reçu en début de journée. Une jeune femme qu'elle et son compagnon connaissent bien...
Le décor est posé, les enquêtes peuvent commencer. Elles mèneront les héros de la steppe glacée, aux grandes villes hyper polluées de Mongolie, des cités radioactives sibériennes russes aux forêts de mélèzes noirs et de bouleaux enneigées. Cette affaire aura même des prolongements jusqu'au Havre, un port où aboutissent bien des trafics.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Quelle épopée ! Ian Manook a concocté un récit à la démesure des étendues mongoles, des steppes sibériennes qu'il nous fait parcourir à la vitesse des chevaux au galop ou des trains lourds de marchandises et d'humains clandestins. Dépaysement garanti dans ces somptueux paysages loin d'être figés dans la glace, il y passe toujours un être humains, un loup, un yak au joli nom de Grangousier ou l'esprit des fiers nomades...quand ce ne sont pas d'immondes barbouzes aux motivations moins romantiques ou des meutes de loups énigmatiques...
L'écriture suit le mouvement, l'accompagne, sait être vive, ou plus douce selon la situation. Un roman truffé d'humour, de situations cocasses – ne comptez surtout pas acheter discrètement des culottes sexys en Mongolie;-) - et de purs moments d'actions auxquels se mêlent, toujours à propos, quelques réflexions édifiantes sur la réalité mongole : pollution terrible, mort du nomadisme et des traditions, difficultés démocratiques et existence de zones propices à tous les trafics mais également la vie courante et exotique de ce pays méconnu.
La psychologie des personnages est brillamment décrite. Yeruldelgger est en colère, il change, il ne suit plus la voie du Septième Monastère, confronté qu'il est à la misère, au crime et à la corruption ambiante, il va naturellement en payer le prix. Ce n'est pas un super héros, ses failles, ses doutes sont tout autant mis en avant que ses réelles qualités. Il navigue ici dans une intrigue tragique, des situations cruelles comme seules savent en abriter les zones imprécises des frontières floues peuplées d'aventuriers, de flics usés qui ne croient plus en grand chose, habitées par l'indifférence née de l'épuisement et des conditions extrêmes.
Coups tordus, pièges, espionnages, mesonges, manipulation, secret défense, vous trouverez tous les codes des nids d'espions, des trafiquants et des militaires magouilleurs. Les temps sauvages promène ses protagonistes, les illusionnent, le lecteur suit parce qu'il est impossible de quitter ce marigot congelé sans en connaître l'issue, il fait moins trente mais on y est bien.
Une grande bouffée d'air gelé, hautement radioactive ou truffée de particules fines, un suspense puissance dix ! Entre le western sauvage, James Bond et le film de kung-fu, haute technologie, chamanisme, barbouzes, magouilles politiques, tous les ingrédients d'un excellent roman d'aventure sont réunis et habilement mixés.
Un thriller à lire au chaud sous la couette, idéal pour la saison,Ian Manook a encore réussi son coup et c'est tant mieux !
Notice bio
Ian Manook est le pseudonyme de Patrick Manoukian. né en 1949 à Meudon. Il voyage depuis l'âge de seize, le Bronx pour commencer avant un périple de 40 000 kilomètres en stop aux USA et au Canada. Après des études de droits européen, de sciences politiques et de journalisme, il crée deux sociétés d'édition, dont Les éditions du Tournon qui diffuseront X-Files, Les Tortues Ninja ou Denver.
Yeruldelgger, son premier polar, paru l'an dernier chez Albin Michel a été un immense succès couronné de nombreux prix.
La musique du livre
Thriller de Michael Jackson, la sonnerie du portable de Soulniz, le journaliste havrais qui aide Zarza dans son enquête française pour débuter et Formidable de Stromae que ce même Zarza siffle dans des conditions particulièrement périlleuses...
Impossible de parler de la Mongolie sans écouter des chants diphoniques comme ceux que chantaient les parents de Bathbaatar, le chef des services secrets mongoles.
LES TEMPS SAUVAGES – Ian Manook – Albin Michel – 523 p. février 2015
photo : Yourtes misérables et pollution dans la banlieue d'Oulan Bator (Wikipédia)