Chronique Livre :
LUCA de Franck Thilliez

Publié par Psycho-Pat le 05/05/2019
Quatre Sans... Quatrième de couv...
« Existe-t-il encore un jardin secret
que nous ne livrions pas aux machines ? »
Partout, il y a la terreur.
Celle d’une jeune femme dans une chambre d’hôtel sordide, ventre loué à prix d’or pour couple en mal d’enfant, et qui s’évapore comme elle était arrivée.
Partout, il y a la terreur.
Celle d’un corps mutilé qui gît au fond d’une fosse creusée dans la forêt.
Partout, il y a la terreur.
Celle d’un homme qui connaît le jour et l’heure de sa mort.
Et puis il y a une lettre, comme un manifeste, et qui annonce le pire.
S’engage alors, pour l’équipe du commandant Sharko, une sinistre course contre la montre.
C’était écrit : l’enfer ne fait que commencer.
L'extrait
« Un randonneur matinal avait donné l'alerte aux alentours de 8 heures : son berger malinois avait filé d'un bond à travers les fourrés, pour s'immobiliser soudain et aboyer sans discontinuer. Après sa découverte, l'homme avait composé le 17. L'appel téléphonique était d'abord remonté au commissariat d'Aulnay-sous-Bois puis, vu la nature sordide du crime et la zone géographique, à la brigade criminelle de Paris. Sharko étant en réunion avec la direction de la PJ, Pascal Robillard, leur procédurier, avait lancé la machine, sur l'ordre du procureur de la République. L'Identité judiciaire venait d'arriver afin de sécuriser la zone et d'installer le matériel pour les premières analyses de police scientifique. La journée promettait d'être longue et humide.
Sharko salua tout ce beau monde, y compris les flics d'Aulnay et le randonneur avec son chien. Visage gris et fermé sous la pluie. Lucie tremblotait dans on anorak noir et, malgré sa capuche, des mèches de cheveux blonds dégoulinantes collaient à ses joues rosies par le froid. Franck lui adressa un bref signe de la main.
- Pourquoi les flics ne prennent jamais de parapluie ? Il n'y a pas de honte à tenir un parapluie quand il pleut. C'est quoi ? Une question de virilité ?
- Plutôt de la compassion pour les victimes. Elles ont froid, alors nous aussi.
Lucie désigna la fosse, cinq mètres devant elle.
Pas beau à voir.
Les techniciens de scène de crime plantaient des piquets pour installer des barnums, ces tentes blanches avec un toit pointu, afin de protéger au mieux la zone te le corps. Avec la forte pluie, leur tâche, déjà compliquée dans des conditions idéales, allait relever du parcours du combattant. » (p.28)
L'avis de Quatre Sans Quatre
La machine Thilliez se met une nouvelle fois en route et, le moins que l'on puisse dire, est qu'elle est diablement efficace ! Son Sharko vieillit bien, il bougonne toujours autant, surtout depuis qu'il est chef et que sa place devrait être derrière son bureau plutôt qu'à courir les forêts humides où pourrissent les cadavres mutilés. Comme ce n'est pas demain que qui que ce soit le contraindra à rester calé dans son fauteuil, nous le retrouvons, en compagnie de son épouse Lucie, bien entendu, devant une fosse et une victime atrocement mordue et rongée à l'acide. L'identification risque de ne pas être une partie de plaisir. Au sein de l'équipe, Nicolas Bellanger se remet difficilement d'un traumatisme terrible : la découverte du corps de sa compagne assassinée et massacrée, et une petite nouvelle, Audra Spick, également suivi en psychothérapie pour un choc émotionnel profond dont on ignore l'origine.
Bellanger n'est pas au bout de ses peines puisqu'un quidam décède dans ses bras, à l'entrée de l'hôtel de police, en lui délivrant une enveloppe et un message cryptique. Déjà chargé de l'enquête sur le macchabée des bois, Sharko renâcle un peu à accepter la seconde relative au message et à l'étrange décès du messager. Pourtant il apparaît bien vite que les deux énigmes sont liées, et que deux personnes, retenues prisonnières dans un lieu non identifié, risquent fort d'y laisser leurs peaux si la crème de flics ne s'y colle pas.
La menace est partout, les réseaux sociaux et YouTube offrent un terrain de jeu infini aux psychopathes un peu évolués, surtout sur un public avide de voyeurisme morbide, formaté à avaler n'importe quoi pourvu que l'image ou le message odieux aient le parfum du buzz. À quelle vitesse se propage une rumeur sur Facebook ou Twitter, combien de temps les internautes resteront à observer d'autres personnes dans une situation atroce sans décrocher de leurs écrans ? Seraient-ils prêts même à participer à un jeu immonde, peu importe la raison, à tuer l'un pour sauver l'autre, à parier sur la vie ou la mort ?
Franck Thilliez, lui, ne se donne aucune limite, et il a tout à fait raison. Son scénario va bien au-delà de la simple dénonciation des dangers du Net, cette histoire mêle aussi bien la très haute technologie que la biologie de pointe et la génétique, le transhumanisme, ces types qui se font implanter des puces afin d'augmenter leurs capacités, la sauvagerie la plus humaine, la bestialité des combats de chiens, et les manipulations d'ADN les plus complexes. L'auteur chasse large, aux marges du pire de la société, là où se tapissent les monstres risquant de surgir demain, lorsqu'il sera trop tard pour les combattre. Là où les dérives potentielles voient le jour, loin de toute éthique et de tout contrôle, là où elles ont germé dans les cerveaux malades ou rapaces de dégénérés ingénieux.
Cent énigmes s'enchevêtrent dans ce roman, un nouveau défi pour Sharko et son équipe se dresse à chaque fois qu'une partie de l'affaire semble résolue, plus difficile, plus incroyable encore, mettant les nerfs à rude épreuve, aussi bien ceux des policiers que ceux du lecteur. Pas un temps mort, comme toujours avec Sharko. Il peut poser un genou à terre, Lucie est là pour le doper, l'exhorter à faire son boulot jusqu'au bout, aussi folle que paraît l'enquête et ce qu'elle soulève. Les flics du roman sont fragiles et forts, simples humains confrontés à l'innommable, face à des méchants d'anthologie, aux noms porteurs d'effroi, L'ange du futur et le Punisseur permettant de couvrir l'ensemble du spectre du mal. L'ange se veut protecteur, lanceur d'alerte face aux GAFA, au vol de nos données, à leur utilisation à des fins publicitaire, à la marchandisation du corps humain et veut frapper les esprits pour faire passer ses avertissements, l'autre, plus barbare, ramène à la sauvagerie inhérente à l'homme, loin du progrès et de ses abus, tel qu'il a toujours été...
Comme si cela ne suffisait pas, la météo s'en mêle, la pluie tourne au déluge et Paris risque de ne pas respecter sa devise bien longtemps et de couler sous le niveau extraordinaire des flots de la Seine. Vengeance divine ?
Luca immerge son lecteur dans un monde qui effraie par sa semblance au nôtre. Nous sommes dans le cauchemar, au bord de l'abîme que nous contemplons, impossible de sortir de ce roman sans se poser quelques questions essentielles qui résonnent bien longtemps après les dernières pages tournées. Une écriture nerveuse, tendue, paroxystique parfois, parfaitement adaptée au thème et à l'urgence de l'enquête. Un très grand thriller donc, mais pas que, la vision de l'auteur sur des menaces déjà présentes autour de nous, qui n'ont guère besoin d'un génie criminel pour devenir effrayantes, invite à la réflexion, une fois repu d'angoisse et de frissons rétrospectifs...
Notice bio
Franck Thilliez est l’auteur d’une quinzaine de romans, parmi lesquels, Puzzle, Atomka, Pandemia, Sharko et Le Manuscrit inachevé. Adapté au cinéma pour La Chambre des morts (prix SNCF du polar français), il est aussi scénariste. Ses livres sont traduits dans le monde entier.
LUCA – Franck Thilliez – Fleuve Édition – collection Fleuve Noir – 552 p. mai 2019
photo : Pixabay