Chronique Livre :
MA ZAD de Jean-Bernard Pouy

Publié par Psycho-Pat le 12/01/2018
Le pitch
Camille Destroit, quadra, célibataire, responsable des achats du rayon frais à l’hyper de Cassel, est interpellé lors de l’évacuation du site de Zavenghem, occupé par des activistes. À sa sortie de GAV, le hangar où il stockait des objets de récup’ destinés à ses potes zadistes (ZAD = Zone à défendre), n’est plus qu’un tas de ruines fumantes.
Son employeur le licencie, sa copine le quitte et il se fait tabasser par des crânes rasés. Difficile d’avoir pire karma et de ne pas se radicaliser.Heureusement, la jeune Claire est là qui, avec quelques compagnons de lutte, égaye le quotidien de Camille et lui redonne petit à petit l’envie de se révolter et de tuer tous les affreux : en l’occurrence la famille Valter, les potentats locaux et ennemis désignés des zadistes, sur qui Camille va enquêter pour trouver de quoi les neutraliser.
L’extrait
« Sur place, dans un joyeux bordel, tout se réorganisait malgré la tristesse et le désarroi dus à la douche froide er aux diverses blessures physiques et d’amour-propre. Le plus pénible, c’est qu’il y avait, maintenant, beaucoup plus de journalistes qu’avant.
Pas moyen de rester sur la ZAD, les cognes y avaient poussé comme des chardons. Le Comité avait déjà décidé de replier les forces restantes sur les trois fermes encore menacées (personne n’était dupe), envisageant plus ou moins de les transformer en châteaux forts modernes aussi imprenables que le Centre Pompidou.
Du coup, on avait encore besoin de moi.
Il y aurait désormais, en plus des proprios, une vingtaine de militants par ferme, décidés à continuer le combat, aussi vigilants que des renards paniqués dans la campagne britannique. Nos avocats, remontés comme des comtoises, nous ont assuré qu’ils reprenaient les dossiers, les réactivaient, restant aussi combatifs que des blaireaux cernés par d’autres blaireaux, eux en treillis.
La métaphore animale, c’est très pratique.
C’est là que j’ai appris que nos compagnons coxés par les bleus avaient été, comme moi, libérés, sauf quatre d’entre eux, pour violences aggravées, mis en examen. Nos baveux étaient déjà sur le coup et demeuraient confiants. Quant aux blessés, la plupart étaient sortis de l’hosto.
Bref, j’ai passé ma journée sur ma nouvelle base, la bâtisse encore intacte de M. et Mme Bournard, la plus proche du canal.
Même si tout le monde tirait la gueule, on a, un petit peu, par habitude, par santé mentale, refait le monde.
Et barricadé la grande porte donnant accès aux bâtiments. » (p.19-20)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Ô joie ! Ô bonheur ! Un nouveau Jean-Bernard Pouy pour commencer l’année, c’est comme une boîte de vos chocolats préférés qui vous vous arrive sans crier gare. Comme, en plus, il s’intitule Ma ZAD et que les bruits de chaussettes à clous énervées s’intensifient autour de Notre-Dame-des-Landes, c’est double ration : plaisir et actu. Humour noir et coups de matraques, à-peu-près rigolos et maximes acides, road-movie existentiel et regards acerbes sur le monde tel qu'il est, Ma ZAD, c’est tout ça, bien plus encore, et une sacrée bonne histoire !
Camille Destroit est à un tournant décisif de son existence. Tout commence, bien sûr, par une invasion musclée de Sa ZAD par des flics délicats comme des panzers traversant les Ardennes et une garde à vue en guise de mise en bouche. La routine. C’est ensuite que ça se complique.
Il se fait licencier de son poste de responsable de l’approvisionnement dans un hypermarché bio, sa participation aux combats des zadistes contre un projet de barrage à Zavenghem, qui saborderait une zone humide et ses jolis crapauds baveux, n’a pas fait que bonne impression, et les grosses boîtes qui lorgnent sur la juteuse construction ont le bras long. Sa copine s'est barrée et des inconnus foutent le feu à la grange où il stockait les produits de récup’ utiles à la lutte.
Camille n'a pas l'âme d'un guérillero même s'il préfère la marge à la pleine page encombrée de premiers de cordée. Il a commencé à militer mollo à Zavenghem, par curiosité, puis, petit à petit, s’est senti bien dans ce mouvement, utile, à sa place. Bref, la conscience lui est venue qu'il y en avait marre de laisser les puissants décider de tout, bétonner partout et nous piétiner allègrement. Sans trop se prendre le chou, Camille entre tout de même en résistance, par colère au début puis, de plus en plus, par conviction que cette famille richissime, c'est à lui de la mettre au pas.
Il habite dans une petite ferme du nord de la France, un héritage - ses parents sont morts dans un accident de voiture - quelques économies pour voir venir, sa mise à la porte n’est pas si dramatique que cela dans l’immédiat. Par contre, que des nervis incendient un bâtiment chez lui pour se venger des succès remportés par les manifestants et leurs avocats, ça, il supporte pas. Pas plus que de se faire casser la gueule par des skins fachos aux ordres des financiers, les Valter, qui attendent avec impatience de bétonner le paysage. Ce n’est plus la même limonade et les donneurs d’ordre vont le sentir passer.
Après une courte période de réflexion dans le Finistère chez un pote mi-basque mi-breton - c’est vous dire la dangerosité du personnage -, un type capable de dynamiter un bateau gênant la sortie du port de Saint-Guénolé, il en repart bourré mais plus motivé que jamais, nanti de belles et utiles provisions explosives et bien décidé à utiliser cette bonne vieille loi du Talion.
Il revient dans la ZAD parce qu’il a la rage mais aussi parce qu’il y a Claire qui réside à la ferme. Il n'est pas amoureux, du moins se le répète-t-il, mais presque. Pas amoureux, mais il ne s’en faudrait pas de beaucoup, malgré la différence d’âge, ils ne se quittent pas en attendant de voir si le presque s’efface. Tout ce qui lui tombe sur le coin du nez depuis un moment sont, pour lui, comme un signe du destin, une invite à changer sa trajectoire, à chercher qui il est réellement et comment il souhaite passer le temps qui lui reste à écluser sur terre.
Comme c’est Camille qui raconte, le lecteur le suit à la trace tout au long de son périple, de ses cuites, de ses doutes, de ses remises en cause et de ses nouvelles résolutions. Il croise Black Blocs et No Border - des zigs qui foutent un peu les jetons et qu'il est soulagé de voir partir vers d'autres Fort Alamo en instance -, se replie stratégiquement avec les résistants restants dans les fermes encore à défendre. Insidieusement le ton se durcit tout au long du roman, l’insouciance cède la place à un voile beaucoup plus sombre qui recouvre la vie de Camille, l’écriture de Jean-Bernard Pouy suit ce changement de ton, elle est moins légère, plus âpre, plus oppressée, elle colle magnifiquement à l’atmosphère qui règne dans le crâne de son personnage principal, le truculent passe la main à la vengeance pure, au combat sans limite. La faute aux circonstances, aux trahisons et à pas de bol… et au destin, on peut l’appeler comme ça finalement quand on y met du sien pour se colleter avec.
Un mec franco, ce Camille, tourmenté plus qu’il n’y paraît au premier abord, revenu de tant de choses qu’il tient comme à la prunelle de ses yeux à ce qui le maintient encore debout et n’hésite pas à foncer pour peu qu’on lui désigne des ennemis bien repoussants, pour continuer à croire en son combat salutaire, même s'il se noie dedans. Il faut dire que la famille Valter a tendance à collectionner tout ce qui rebute Camille, tant sur le plan financier que dans la sphère intime, ça sent le vice et la merde à tous les étages de la tribu, bien plus encore que ce que peut imaginer le zadiste énervé.
Claire, c’est son détonateur, un rayon de soleil capable de brûler celui qui ne fait pas gaffe et qui s’y expose trop, mais il s’en fout et il a bien raison. Jusqu’au bout, il a pris une route où le demi-tour est impossible et il le sait depuis le début, sans se l’avouer tout à fait franchement.
Un superbe polar, empli de culture, de références chères à l’auteur, de poésie, de rires gras et de sourires complices, de larmes aussi parce qu’il ne faudrait pas oublier l’émotion, les émotions partagées en chemin avec un Camille si attachant.
Retour gagnant et jouissif à la Série Noire pour Jean-Bernard Pouy ! N’écoutez pas Collomb et ses rodomontades, foncez dans sa ZAD, loin des banquiers d'affaire, vous y trouverez de l'humain à l'état brut, avec ses défauts et sa poésie tout pure qui éclabousse les yeux et le cœur.
Notice bio
Jean-Bernard Pouy, né en 1946, grand nom du polar français, a écrit une centaine de romans noirs (dont onze dans la célèbre « Série Noire »), et un vrai tsunami de nouvelles, d'articles, et d'ouvrages tels que L'Encyclopédie des cancres, autres rebelles et génies, dans la même collection que L'encyclopédie des héros. Il est aussi directeur et créateur de collections, et a notamment imaginé le personnage du Poulpe. Grand amateur d'écriture à contrainte, il est membre des Papous, émission de France-Culture. C'est un défenseur opiniâtre de la littérature populaire, partagé entre critique sociale, distance cynique, humour lamentable et gravité libertaire. Il voudrait être considéré, c'est lui qui le dit, comme un « styliste pusillanime », alors qu'il n'est que la cause d'une certaine déforestation.
La musique du livre
Hommage appuyé à Daevid Allen, fondateur du groupe mythique Gong, en plus d'une référence à la chanson ci-dessous, Camille concède avoir souvent voyagé sur l'album Continental Circus, bande originale du très célèbre documentaire éponyme de Jérôme Laperrousaz, toute une époque. D'ailleurs certaines paroles de l'album Camembert Électrique s'accorde presque parfaitement au périple de Camille, à plus de 45 ans de distance...
I gotta take pills to kill my pain
To kill my pleasure I blow my brain
I get so high I fall down again
What's happenin' man?
You don't know !
(Fohat Digs Holes in Space – paroles et musique de Daevid Allen & Gilli Smyth)
Sham 69 - Hurry Up Harry
Rolling Stones – Beggar's Banquet - Street Fighting Man
Grateful Dead - Doin' That Rag
Bob Dylan – Watching the River Flow
Chants diphoniques mongoles
Gong – Camembert Électrique – You Can't Kill me
MA ZAD - Jean-Bernard Pouy - Éditions Gallimard - collection Série Noire - 194 p. janvier 2018
photo : Mediacités Nantes