Chronique Livre :
MARATHON ROUGE SANG de Philippe Paillaud

Publié par Psycho-Pat le 30/12/2018
Quatre Sans... Quatrième de couv...
Quand les fantômes resurgis du passé planent au-dessus de l'immense peloton des coureurs amassés sur les Champs-Élysées, quand l'hémoglobine coule à flots des goulots remplaçant les crus prestigieux du marathon de Médoc, quand le sang et les larmes des victimes se mêlent à la sueur des athlètes, alors rien n'empêche plus la peur de s'installer en vous, puis la terreur de vous prendre aux tripes.
À ce moment-là, que vous caracoliez en tête de course ou que vous soyez largué en queue de peloton, si vous avez le malheur d'avoir été repéré comme une proie, vous ne pouvez plus être sûr que d'une chose : il vous faudra courir vite, très vite, de plus en plus vite, pour éviter une rencontre autrement plus dommageable que celle du mur du marathon !
L'extrait
« Une nouvelle fois, Bertrand Letellier avait mal dormi. Il s'était réveillé à 1 heure du matin et il s'était souvenu qu'à 5 heures, il ne dormait toujours pas. Et bien sûr, Morphée l'avait pris dans ses bras quelques minutes seulement avant que l'alarme de son téléphone – le magnifique solo de guitare d'Hotel California – ne le sorte de sa torpeur.
Au moins, en ce lundi de janvier, il savait qu'il se réveillait pour aller bosser et qu'il n'avait pas la gueule de bois. Que sa chambre ne sentait pas le tabac froid comme lorsqu'il grillait deux ou trois cigarettes, parfois même un joint, pour l'aider à dormir.
Il était fatigué mais ses idées étaient claires.
De plus, la veille il avait dîné avec Marie, sa fille. Quatre mois qu'il ne l'avait plus vue ! Ses yeux s'embuèrent à ce souvenir, et c'était bien un signe qu'il était en train de redevenir lui-même. Bien sûr, il était encore à des années-lumière de ce qu'il avait été dans son autre vie : le journaliste vedette, celui qu'on adulait et craignait dans les couloirs du quotidien France Sports, mais il était sur la bonne voie.
Il y a encore un an, ses nuits et ses jours se ressemblaient étrangement. D'abord retrouver des copains d'infortune au bar dès 10 heures du matin, consulter les très rares annonces de la rubrique « marché du travail », s'étrangler de rage en se rappelant la t^te satisfaite du ministre qui, la veille, se gargarisait d'une baisse du chômage de 0,2% par rapport au mois précédent.
Ensuite il rentrait chez lui vers midi, faisait bouillir une casserole d'eau et se préparait une assiette de pâtes, comme à l'époque où il se gavait de sucre lent en période de préparation de marathon, ce qui semblait remonter à une éternité. » (p.35)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Échauffez-vous un peu avant d'entamer ce thriller, c'est long un marathon ! Et ça demande une préparation soigneuse, surtout que dans celui-ci, on parcourt non seulement le bitume de la capitale, les vignes du Médoc, mais aussi l'histoire avec un grand H. Un œil par-dessus son épaule parce qu'un tueur rôde dans les pelotons de forçats en short, avalant les kilomètres comme nous les cacahuètes à l'heure de l'apéro. Un assassin sans visage, issu du passé, animé d'une folie qui n'appartient qu'à lui et dont il faudra toute l'enquête et ses coups de théâtre, et un peu de chance, pour découvrir son identité et les ressorts de sa croisade criminelle.
Le récit débute par le meurtre d'une femme s'entraînant dans les jardins du Luxembourg à Paris, la quarantaine, sans histoire, elle est assistante parlementaire de son vieux père, sénateur, Paul de Lormont, qui lui, par contre, aurait pu être borgne et avoir un patronyme breton, tant ses idées politiques fleurent bon les relents d'égouts dans lesquels croupissent les pires projets réactionnaires fascisants. L'enquête est confiée au commissaire Dougret, affectueusement surnommé Gotlib, rapport à sa presque homonymie avec Bougret, le flic fantasque, héros du dessinateur, qui subit immédiatement des pressions hiérarchiques venues du sommet de l'État. Pas question que Lormont profite du crime pour se faire de la publicité, se pose en victime comme il sait si bien le faire. Les élections sont proches et le marigot politique s'inquiète. Pourtant la tâche s'avère ardue, le policier ne possédant que très peu d'éléments pouvant expliquer que l'on s'en soit pris à cette femme, sans ennemi connu, ne militant pas particulièrement dans les pas de son père.
Parallèlement, le lecteur suit Bertrand Letellier, ex-journaliste star d'un grand quotidien sportif, marathonien d'assez bon niveau, ayant réussi l'exploit de figurer au palmarès du club très restreint des athlètes ayant couru la fameuses épreuve sur tous les continents. Aléas de la vie, diverses erreurs, alcool, Bertrand a tout perdu : travail, compagne, enfant, célébrité. Il rebondit grâce à une amie qui lui offre un poste dans son équipe gérant un site d'information, dédié exclusivement au marathon, et retrouve le plaisir d'écrire et de courir. Il s'inscrit dans un club et décide de préparer la course parisienne, c'est là qu'il croise et devient ami avec Christian Delmont, débutant sur la distance. Bientôt lui-aussi victime du tueur ? Parano sur le circuit, la police cherche en vain les liens entre ces deux morts et d'autres qui vont surgir ici ou là dans le pays...
Meurtres d'un côté, rédemption et espoir de l'autre avec, en toile de fond, un de ces produits d'excellence, qui a fait la renommée de notre beau pays, un produit ayant beaucoup servi en Algérie, au point de faire de certains de nos militaires des experts mondialement reconnus et fort prisés des dictatures sud-américaines : la torture. Pas n'importe laquelle : l'institutionnalisée, la scientifique, celle qui requiert des connaissances tirées avec soin de l'expérience, un fleuron de notre armée qui s'est exportée avec succès dans les années soixante-dix. Bref de quoi semer suffisamment de haine à travers le monde pour que Philippe Paillaud en tire un thriller intelligent, passionnant, permettant à son lecteur de découvrir aussi bien les coulisses de la course-reine de 42,195 kilomètres, ses souffrances, ses rituels, l'ambiance des pelotons, la solidarité entre coureurs (pas ceux qui visent la victoire, et encore...), mais également les sales besognes commises au nom de la lutte contre le socialisme par des gouvernements ignobles. Les mêmes que celui que l'on voit refleurir aujourd'hui du côté de Rio, l'homme n'apprend décidément jamais rien, à l'alliance du sabre et du goupillon a succédé celle du populisme et des évangélistes, tout aussi avide d'éliminer physiquement ceux qui s'opposent à leur folie réactionnaire.
À travers les rues de la capitale, au rythme des foulées, dans les sentiers traversant les vignobles du Médoc,, au cours des entraînements ou des investigations, ses personnages, construits avec soin, riches, complexes, affrontent un ennemi invisible et bien difficile à cerner, tant ses motivations sont absconses. Un beau suspense, des rebondissements en veux-tu en voilà mais aussi de belles aventures humaines, des exemples de courage et de solidarité. Une enquête captivante, qui suit ses protagonistes jusque dans l'intime, incitant à prendre garde aux cicatrices que l'on croit refermées, l'infection en-dessous n'étant pas toujours éradiquée.
Aussaresses, Massu, Bigeard, Videla, Pinochet, Franco et tant d'autres tortionnaires sous leurs ordres vécurent au vingtième siècle, ils sont morts, pour la plupart, tranquillement dans leurs lits, pourtant les malheurs et la haine qu'ils ont semé n'ont pas fini d'alimenter les intrigues des écrivains, leurs exactions sont loin d'être oubliées et leurs successeurs semblent de plus en plus prêts à prendre la relève...
Philippe Paillaud livre avec Marathon rouge sang un excellent thriller, intégrant tous les codes du genre, comportant ce petit supplément permettant de l'inscrire dans l'Histoire, pas simplement dans la folie d'un homme aveuglé par sa rage. Un long voyage que cette traversée du temps entre la guerre d'Algérie, les dictatures militaires sud-américaines et les marathons d'aujourd'hui, aussi long, difficile et passionnant que l'épreuve d'athlétisme...
Notice bio
Philippe Paillaud est aussi un coureur amateur devenu, en 2007, en Antarctique, le premier Français officiellement membre du Seven Continents Club (ils sont une dizaine aujourd'hui) qui réunit des sportifs globe-trotters du monde entier ayant couru au moins un marathon sur chacun des sept continents. Cadre administratif du Ministère de l'Intérieur en poste à Niort, il est l'auteur de l'ouvrage Le marathour du monde en sept continents, édité en 2007 aux éditions Patrimoines et Médias.
La musique du livre
The Eagles - Hotel California
Ivan Rebroff - Kalinka Malinka
Georges Brassens – Les Copains d'Abord
Los Incas - El Condor Pasa
Queen – Show Must Go On
Idir – A Vava Inouva
MARATHON ROUGE SANG – Philippe Paillaud – Éditions Cédalion – 337 p. novembre 2018
photo : Pixabay