Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
MEMORY de Arnaud Delalande

Chronique Livre : MEMORY de Arnaud Delalande sur Quatre Sans Quatre

Quatre Sans Quatrième… de couv…

Un meurtre, huit témoins, pas un ne se souvient de ce qui s’est passé.

Elle voudrait tout oublier.

Ils donneraient tout pour se souvenir…

Au cœur de Memory, une clinique spécialisée perdue dans la montagne et la forêt, un patient est retrouvé pendu. Un suicide qui a tout l’air d’un meurtre déguisé : huit personnes ont assisté à la scène.

Un homme mort. Huit témoins. Un huis clos. La combinaison parfaite pour une enquête vite résolue… C’est sans compter sur l’amnésie bien particulière dont souffrent les résidents : leur mémoire n’excède pas six minutes. Ils ont vu, mais ils ne se souviennent pas.

En plein deuil de son père adoptif, Jeanne Ricœur, jeune inspectrice de police, hérite de cette affaire impossible. Elle découvre une communauté à part, celle d’étranges victimes de la vie à la mémoire brisée, au quotidien hanté de post-it et de mémos. Tandis qu’elle essaie désespérément de reconstituer le puzzle du drame, ses propres démons refont surface…
Mais bientôt, on la menace.

Qui veut l’assassiner, et pourquoi ?


L’extrait

« Jeanne pénétra dans un hall blanc, avec peintures abstraites et plantes vertes, une tête de cerf incongrue au mur - pour faire « chalet », sans doute - et un ours polaire empaillé. Elle fut accueillie par deux flics de sa juridiction, qui ma saluèrent d’un signe de tête, et une femme rousse de quarante-cinq ans, aux faux airs d’Isabelle Huppert, apparemment très affectée. Sèche, un peu martiale, les joues creuses, le front barré de rides prématurées, elle paraissait vouloir rester maîtresse d’elle-même. Control freak, pensa Jeanne instantanément. Un iceberg qui cache le feu ? Elle lui tendit sa main froide.
« Lieutenant Jeanne Ricœur.
- Bonjour. Nathalie Hauteville. Je suis la directrice », dit-elle, lèvres pincées.
Hauteville se détourna sans attendre et invita Jeanne à la suivre dans le couloir. Un peu surprise par la rugosité de l’entrée en matière, Jeanne lui emboîta le pas.
« Qu’est-il arrivé exactement ? »
Ce fut au tour de son interlocutrice d’afficher sa surprise.
« On ne vous a encore rien dit ? Vous allez vite comprendre. Quelque chose de... de terrible s’est produit dans notre foyer. Suivez-moi. »
Tandis qu’elle marchait, Jeanne nota la présence, à la fois sur le sol et sur les murs, d’énormes flèches bleues qui pointaient dans différentes directions. Elles étaient assorties de mentions insistantes et de photos : BUREAU DIRECTRICE : NATHALIE. POSTE INFIRMIER : HERVÉ. DEUXIÈME ÉTAGE : FOYER. Jeanne fronça un sourcil en passant devant une salle qui retint son attention. À l’intérieur, sept personnes se trouvaient assises en rang d’oignons, comme ahuries et prostrées. Debout devant elle, une infirmière quinquagénaire, à lunettes et chignon gris, donnait à chacun une pilule bleue et un verre d’eau. Un adolescent aux cheveux ras, visage anguleux, se tenait debout lui-aussi. Apercevant Jeanne, il la mitrailla soudain de son iPhone, avant de refluer dans la pièce avec un sourire étrange. Tout au fond, une jeune et jolie femme jouait du violon de manière totalement décalée. Le morceau Erbarme dich. Jeanne glissa devant la porte et poursuivit dans le couloir, hallucinée. Ce fut pour tomber sur une affiche : BIENVENUE EN HARMONIA. Pour votre bien-être : l’autonomie contre l’oubli.
Elle se tourna vers Hauteville.
« Mais, euh... on est où, ici ? » » (p. 63-64)


L’avis de Quatre Sans Quatre

Jeanne Ricœur est lieutenant de police, et elle vient tout juste de perdre son père adoptif, Guy. Elle est désormais seule puisque Alice, son épouse est décédée des années plus tôt. Guy était également policier et le commissaire Franck Ruffier, le chef de Jeanne l’a bien connu et l’estimait beaucoup, il va essayer de protéger sa subordonnée de ses démons, en particulier l’alcool dont elle a tendance à abuser pour calmer son mal-être. La petite Jeanne avait été retirée de chez ses parents biologiques car elle y était en grand danger, c’était deux toxicomanes notoires, incapables de prendre soin d’une enfant. Son véritable père est mort depuis et elle ne veut plus jamais entendre parler de sa mère dont elle ne se souvient que par bribes. Une vie sentimentale quasi déserte, peu de loisirs, Jeanne vit pour son travail, aussi est-elle ravie de se voir confier sa première affaire d’importance dès son retour au commissariat. Une mort qui a toutes les allures d’un suicide par pendaison dans une institution spécialisée dans le traitement des troubles de la mémoire, non loin d’Annecy où elle habite.

Une fois sur place, la policière se rend vite compte que ce dossier ne sera pas aussi facile qu’il aurait pu en avoir l’air. Certes la pièce était fermée, elle dispose de huit témoins et l’homme s’est manifestement pendu, mais aucun de ses témoins ne dispose d’une mémoire supérieure à 6 minutes. C’est-à-dire qu’ils n’ont aucune idée de ce qui a bien pu se passer sous leurs yeux deux heures plus tôt. Leur amnésie, souvent traumatique, parfois liée à un accident vasculaire, est la raison de leur présence à l’institut Harmonia, dédié aux troubles de la mémoire antérograde (immédiate).

La victime, Marcus Kempf, 45 ans, était comptable dans une PME vendant par correspondance des spécialités pharmaceutiques, type viagra, un homme tranquille, intelligent, à qui on ne connaissait pas d’ennemi. Il fêtait ce soir-là son anniversaire dans le foyer en compagnie des autres patients, et le supposé suicide se serait déroulé alors que l’infirmier de surveillance était sorti de la pièce quelques minutes pour un appel téléphonique urgent à son père.

Chaque résident possède un smartphone afin de prendre des photos qui leur serviront de mémoire, et un carnet sur lequel ils notent tous les événements dont ils sont témoins. Pourtant, de façon très étonnante, aucun d’eux n’a inscrit quoi que ce soit à propos du suicide, ni pris d’image durant l’acte, juste des photographies de Marcus déjà mort. L’un des patients, Babakar, 27 ans, ancien boxeur, a été retrouvé dehors, comme s’il avait sauté par la fenêtre, sa cheville est d’ailleurs blessée, mais il ne peut expliquer pourquoi il est sorti de cette manière. Un pistolet de 9mm est également découvert dans la neige, hélas sans aucune empreinte... Le premier jour, Jeanne, assisté de son coéquipier et ami, Davy, apprend peu à peu à faire connaissance avec les patients de l’institut et tente de réveiller la moindre étincelle de souvenir auprès de chacun d’entre eux.

Nathalie Hauteville, la directrice coopère, certes, mais elle comme plusieurs autres personnes de l’institution semblent avoir quelque chose à cacher, même si ce n’est pas forcément en lien avec la mort de Kempf, cela n’arrange pas le climat de suspicion. Jeanne s’étant attardée et ne disposant pas des pneumatiques adéquats, se retrouve coincée seule sur place par une tempête de neige rendant tous les moyens d’accès impraticables. Au fur et à mesure de ses investigations, l’affaire apparaît de plus en plus obscure, l’atmosphère s’alourdit encore davantage. En outre, sans que nul ne s’en aperçoive, à l’extérieur de l’établissement, un tireur d’élite épie les moindre faits et gestes de ses occupants à travers la lunette de son fusil. Qui l’a envoyé là, et pourquoi ?

Tout au long du roman, les soupçons passent de l’un, ou l’une, à l’autre. Un mot énigmatique vient relancer l'affaire, puis Jeanne est menacée,, sa vie est en danger. Malgré tout, la flic se confronte à la réalité douloureuse de chacun des malades, se faisant l’écho à ses propres difficultés pour retrouver les chemins de sa mémoire, à se rappeler de sa mère, sauf qu’il choisit pour Jeanne d’un choix conscient, elle ne veut pas de ces images encombrantes. Impossible de lire Memory sans évoquer Agatha Christie, ce mystère opaque jusqu’à la révélation finale, regroupant tous les acteurs du drame, avec coup de théâtre de dernière minute. Le scénario est original et permet des variations parfois très drôles, à d’autres moments plus dramatiques sur les conséquences du handicap qui touche les résidents, et l’isolement involontaire de la policière la contraint à regarder enfin en face son passé ; et à entamer le deuil de ce père adoptif qu’elle n’a pas ménagé mais qu’elle a tout de même tant aimé, au point de suivre un parcours professionnel identique.

Les montagnes, la neige, l’isolement et un crime devant des témoins privés de mémoire supérieure à six minutes, ce thriller se distingue également par son intrigue touffue qui demandera toute la subtilité de Jeanne pour en comprendre les ressorts et remonter aux sources de la mort tragique de Marcus. La policière devra faire avec les interrogatoires atypiques des amnésiques, hauts en couleur et matière à désespérer d’avoir un jour une information fiable, et mobiliser toute sa sagacité afin de pénétrer les secrets d’Harmonia, ne pouvant compter sur ses collègues qu’à distance et devant se méfier de tout le monde à l’intérieur...

Un très bon thriller, huis clos et atmosphère étouffante, témoins amnésiques et policière au passé douloureux dans une intrigue tordue comme on aime !


Notice bio

Arnaud Delalande est auteur de romans historiques, scénariste pour le cinéma et la bande dessinée, et professeur de scénario et de dramaturgie. Il est parrain et membre du conseil d’administration de Bibliothèques sans frontières.


La musique du livre

Netherlands Bach Society - Jean-Sébastien Bach - Passion selon Saint Matthieu - Erbarme Dich

Barbara - Mon Enfance

Eddy Mitchell - Pas de Boogie Woogie

Philippe Jaroussky - Che faro senza Euridice


MEMORY - Arnaud Delalande - Éditions du Cherche-Midi - 310 p. janvier 2021

photo : JerzyGorecki pour Pixabay

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