Chronique Livre :
MINUIT À CONTRE-JOUR de Sébastien Raizer

Publié par Psycho-Pat le 17/09/2017
Le pitch
Le gang paradoxal a explosé.
De retour du Laos où elle est allée chercher Liwayway, la fillette qu’elle était à l’âge de quatre ans lorsque des miliciens ont abattu ses parents, Silver est immédiatement dirigée par le commissaire Lacroix sur une enquête qui implique un groupe radical rouge-brun et le site Shoot To Kill, listant des personnalités à abattre et élaboré par Antoine Marquez, théoricien du chaos social.
Wolf, son coéquipier à la Brigade criminelle et alter ego absolu, se trouve plongé dans un coma profond suite à une overdose de neurotoxine hallucinogène, l’arme existentielle de la Vipère dont l’élève, Diane, s’est faite l’archange noire.
Lacroix est obsédé par l’idée de récupérer la neurotoxine, mais la Vipère et Karen, la fille samouraï, ont poussé le réel nettement plus loin qu’il ne peut l'imaginer.
Silver va s’engouffrer dans des représentations du monde divergentes et mutuellement exclusives, en attendant le réveil de Wolf qui, perdu dans l’univers parfait du néant, enregistre les mélodies de l’alignement des équinoxes.
L'extrait
« « Apprête-toi à traverser l’enfer. Sans garantie d’en sortir. »
Alors le monde pivota, se mua en quelque chose d’inédit. Ce nouvel univers réagissait à ses émotions et à ses pensées, il était vivant et connecté à son système nerveux central. C’était une dimension parallèle, ou bien le futur.
Un homme avança vers lui, visage marqué, bouche, yeux et oreilles tailladés, os saillants et sourire et sourire inquiétant. Il déchire de son index les chairs de son flanc droit, depuis le foie jusqu’au téton. Blessure noire, profonde. Une entaille à la fois saignante et en putréfaction. Blessure ancienne et éternelle. Permanente. Derrière lui, un horizon bouché de feu rouge projetait son ombre atomique. Les fantômes des morts endurées, prisonniers du brasier. Un être éternellement dépecé, infiniment tourmenté par mille morts passées et à venir.
Toutefois, à mieux y regarder, cet homme était neuf et indestructible. Cas ce n’était pas un homme mais un réseau de pensées.
« L’univers est un arc de réalité entre deux extrêmes impossibles : l’être et le non-être », déclara cette forme de vie.
Wolf se sentit violemment étranger à cette manifestation.
« L’univers est multiple, et il a engendré le cerveau humain à son image », entendit-il. » (p. 61)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Pour faire connaissance avec les épisodes précédents, vous pouvez vous reporter aux articles relatifs à L’alignement des équinoxes et à Sagittarius. Ces trois romans doivent, à mon sens, être considérés comme un tout, un parcours initiatique, plus qu’une saga, je vous recommande donc de les lire dans l’ordre de parution. Cette histoire, à mon avis, ne prend tout son sens et sa force qu’en suivant pas à pas le chemin qui y est tracé.
Dans Minuit à contre-jour, le commissaire Lacroix ne lâche toujours pas prise, il désire plus que jamais s’emparer de la formule de la drogue neurotoxique et parvenir à neutraliser Diane Lempereur et ses complices. Silver a réalisé son alignement, elle est revenue du Laos, en ayant récupéré l’enfant qu’elle était, et reprend l’enquête tandis que Wolf, en overdose de neurotoxine, gît dans un coma très profond sur un lit d’hôpital. Immobile sur un rocher au milieu d’un lac, il assimile les vérités premières, celles qui lui permettront d’enfin toucher l’origine de sa culpabilité et de sa colère. Marquez, passé à l’ennemi, compile des milliards de données au sein de la Zone Zéro, l’antre de Diane, Joana, la base d’une Vipère débarrassée de son enveloppe corporelle, devenue pure intelligence pas si artificielle que cela...
Ce bouquin est un thriller implacable aux tueurs multiples, aux courses poursuites, avec des descentes de flics et des bastons taille XXL, certes, mais tout y est symbole et métaphore. Impossible dans ces lignes de résumer sans déflorer l’intrigue. Wolf et Silver, étape par étape, déchirent un à un les masques et s’approchent du visage ultime de la vérité.
L’alignement, c’est une sorte d’anti-cathéchisme ou le représentant de l’ordre, Lacroix, protège contre les forces du mal représentées par le serpent, emblème de la connaissance, la Vipère. Oui, mais voilà, tout cela n’existe qu’au royaume des apparences, dans le monde forgé par le TechnoReich qui abrutit à coups de milliards de datas contradictoires les esprits les plus pointus. De complotisme de pacotilles en vérités dissimulées au sein de fatras d’infos infinis, l’ombre a pris la figure du réel et il est nécessaire de laver son esprit pour réussir à le regarder à contre-jour et en distinguer la véritable nature.
Ce ne sont pas leur vies que Silver et Wolf devront mettre en jeu pour démêler les fils de l’intrigue, ils devront traverser leurs morts, se déconstruire pièce par pièce, les purifier une à une, puis remonter à l’origine des conflits qui obscurcissent leur jugement afin de parvenir à une vision pure qui renversera leur système de croyances et le cours de l’enquête. Le festin de la vérité se déguste dénudés des pseudo-savoirs anciens. Hé oui, la parano cosmique du vieux William S. Burroughs plane comme un vautour au-dessus de ces pages, décrit des cercles de plus en plus serrés autour des personnages.
L’alignement, dans son ensemble, c’est le Siddhartha d’Hermann Hesse débarquant dans l’univers électrique de Philip K. Dick. La voie menant à la révélation est la même, les méthodes pour y parvenir sont bien plus radicales car l’intoxication est plus profonde, les manipulations plus perfides. Ce n’est pas une petite traque, une enquête de routine qui traverse cette trilogie, il s’agit de la nature humaine elle-même qui doit être débusquée, des règles qui régissent notre monde, de la connaissance, de sa relativité et du moyen de la dominer avant d’être dominé par le monde de l’illusion. Il faudra pour cela s’abstraire totalement, prendre le recul nécessaire très loin en soi afin de retrouver l’enfant enfoui en nous, contempler la fausseté même du prétendu péché originel, délaisser le spectacle de marionnettes pour distinguer le marionnettistes.
Sébastien Raizer nous aligne donc une nouvelle fois avec Minuit à contre-jour qui clôt ce qu’il faut bien appeler un cycle. Clore n’est pas le terme exact d’ailleurs, loin d’être une fin, ce troisième opus boucle une spire de roue karmique, marque plutôt une étape. Les dernières pages semblent, en effet, ramener les deux héros au commencement de l’aventure. Ouvert par Search and Destroy, des Stooges, dans L’alignement des équinoxes, ce morceau est également le dernier titre cité dans Minuit à contre-jour. Une pincée d’Albert Camus, la fin d’un livre est tout entiere contenu en son début...
À la différence notable que les personnages centraux sont “augmentés” des expériences vécues et éclairés par la prise de conscience de la nature réelle de leur environnement. Ils sont partis d’une enquête basique manichéenne. Les représentants de l’ordre qu’ils sont, traquent les odieux criminels que sont la Vipère et celle qu’il a désigné pour lui succéder, Diane Lempereur. Au fil des événements, les sens aiguisés par la neurotoxine de Meriem Drought, toute l’affaire va en être transfigurée, les réalités vont devenir mouvantes, de déplacer, se simplifier peu à peu pour devenir aussi simple et magnifique que la geste parfait de Karen, la tueuse samouraï qui les a mis en chasse, tranchant une tête avec son sabre,
Polar du dépouillement des illusions comme seule voie d’accès au réel, de la traversée des zones les plus enfouies de l’être afin de parvenir à l’éveil. Le concept freudien du principe de castration et le Hagakure de Jôchô Yamamoto s’y rejoignent. Il faut être prêt à perdre pour gagner, dit en substance Freud, laisser quelques bénéfices secondaires en chemin pour accéder à plus d’indépendance, c’est ce que doivent faire Silver et Wolf. « La voie du Samouraï est la passion de la mort. Même dix hommes sont incapables d’ébranler un être animé d’une telle conviction », proclame le livre des guerriers, la philosophie est la même, quand on accepte de tout perdre, on peut tout gagner.
Mishima, et plus précisément sa tétralogie, imprègne cet opus, on y trouve le même schéma de morts -symboliques ou pas - et de renaissances/reconnaissances, les mêmes boucles d’existences, avec, cependant, peut-être, un peu plus d’espoir chez Sébastien Raizer. Là où Mishima conclut par L’ange en décomposition, lui termine par la résolution des conflits et la naissance douloureuse d’un système vivant, pensant et agissant, en référence au SIVA de Philip K. Dick
Dépasser les croyances, observer, se purifier de l’illusion, reconnaître qui est qui et comment se servir de ses connaissances en éliminant le superflu et les miroirs aux alouettes, une pensée claire et parfaite, performante et nette telle une coupure de rasoir qui coupe le voile des illusions. Parti d’une image convenue d’un monde de bons et de méchants, L’alignement décrypte le tableau originel pour faire accéder son lecteur à un autre possible, renverse ses convictions les plus intimes pour lui montrer une voie alternative conduisant à la lucidité.
Allez au bout du voyage, accrochez-vous à Silver et Wolf, cette trilogie est une oeuvre à part, inclassable, puissante, une allégorie moderne et intemporelle, une merveille !
Notice bio
Sébastien Raizer est né en 1969. Il vit aujourd'hui à Kyôto. Il est le cofondateur des Éditions du Camion Blanc, qui ont publié des cargaisons d'ouvrages sur le rock, et de la collection Camion Noir transportant une littérature plus sombre et sulfureuse. Il a publié un premier roman, Le Chien de Dédale en 1999 aux éditions Verticales. L'Alignement des Équinoxes, premier tome de la trilogie est paru en 2015 à la Série Noire, suivi en 2016 par le second volume, chez le même éditeur, Sagittarius.
La musique du livre
En plus de la sélection ci dessous, vous trouverez également : Talking Head - Psycho Killer, Radiohead - Paranoid Android, Coil - Musick to Play in the Dark Vol. 2, UK Subs, Hunky Dory, Ramones - Rocket to Russia - Teenage Lobotomy, Grinderman - Get It On, Coil - Moon’s Milk
Leonard Cohen - The Future
Frustration - Uncivilized
Ramones - Road to Ruin - I Wanna Be Sedated
Bring Me The Horizon - The House of Wolves
Memphis Slim - Walking Alone
Coil - Consequences of Raising Hell
The Stooges - Search and Destroy
MINUIT À CONTRE-JOUR – Sébastien Raizer – Éditions Gallimard – Collection La Série Noire – 386 p. septembre 2017
photo : Pixabay