Chronique Livre :
MORTELS TRAFICS de Pierre Pouchairet

Publié par Psycho-Pat le 20/11/2016
photo : Pixabay
Le pitch
Paris : Deux enfants assassinés de sang froid à l'hôpital Necker. Un crime odieux, signé par un slogan islamiste écrit avec le sang des petites victimes. Malgré toute cette mise en scène, la police et la juge ne croit pas à l'acte terroriste. Il y a autre chose derrière. C'est ce que va tenter de découvrir le commandant Patrick Girard et son groupe de la Crim', les cadors du Quai des Orfèvres.
Espagne : des truands, hyper motivés, préparent un gros transport de came pour la France. Une véritable expédition de pros, pas un go fast d'amateurs.
Nice : la commandant Léanne Vallauri de la brigade des Stups est sur l'affaire du convoyage espagnol, la cargaison étant destiné à un parrain local. Elle se prépare à aller les attendre.
Des lieux et des affaires bien éloignés les uns des autres, et pourtant, les protagonistes vont peu à peu se rejoindre inexorablement. Les enquêteurs devront apprendre à collaborer, s'apprivoiser malgré leurs différences de styles et leurs méthodes disparates. La violence inouïe des voyous, la paranoïa des trafiquants produisent des cocktails détonnants mobilisant tous les services de police.
La traque est lancée...
L'extrait
« Deux gosses assassinés et « Allahu Akbar » inscrit en arabe, qu'est-ce que c'est que ce truc ?
Il s'agissait plus d'une réflexion personnelle que d'une véritable question. La jeune femme haussa légèrement les épaules, ramena en arrière une mèche brune, découvrant des yeux sombres sur un visage tendu. L'affaire était si sale que les magistrats et l'état-major de la préfecture de police n'avaient pas hésité : Brigade criminelle saisie. Restait à déterminer rapidement s'ils faisaient face à du terrorisme, susceptible d'être confié à un groupe de la section anti-terroriste et de mobiliser la direction générale de la sécurité intérieure. S'il s'agissait de droit commun, l'affaire serait traitée par le groupe de permanence : aujourd'hui le commandant Girard et toute son équipe.
Des gardiens de la paix avaient déjà pris position dans l'enceinte de l'hôpital. Sonnerie de portable.
Oui, monsieur.
La voix d'Isabelle ressembla à celle d'une gamine face à son professeur. Girard sourit intérieurement en comprenant qu'il s'agissait du taulier. Antoine Bayon, patron de la Crim'. L'homme avait la réputation de faire trembler les jeunes commissaires. Ce grand flic « à l'ancienne » connaissait par cœur le moindre dossier, aimait discuter avec les enquêteurs et traîner tard dans les couloirs. Sa mémoire d'éléphant s'amusait à prendre en défaut ses collaborateurs aux méthodes moins rigoureuses. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Les jurés ont livré leur verdict, voici donc le tant attendu et convoité Prix du Quai des Orfèvres 2017 ! Et il est attribué à Pierre Pouchairet, qui nous régale d'habitude avec des aventures exotiques en Cisjordanie ou Afghanistan, couronné ici pour une intrigue nettement plus hexagonale. Décerné par un jury composé de magistrats, de policiers, d'avocats, de journalistes et d'un réalisateur, ce prix a la particularité de récompenser un manuscrit anonyme. Il faut dire qu'en ancien des Stups de Nice, l'auteur connait le boulot et la procédure. N'en reste pas moins que c'est un vrai prix littéraire et que le talent d'écriture compte largement autant que la description des arcanes du travail de police.
Mortels Trafics est comparable à une fusée à plusieurs étages qui, au lieu de se séparer au fur et à mesure de l'avancée vers l'objectif comme toute fusée bien élevée, se rejoignent et s'additionnent. Et l'ajustage est au millimètre, pas question de bricolage ou d'approximations, les différentes parties et enquêtes s'emboitent presque naturellement et ajoutent à l'intérêt d'un roman policier riche en rebondissements. Des étages qui ne partent même pas du même endroit d'ailleurs, un du Maroc, un de Paris, un qui tente de passer la frontière pyrénéenne discrètement, un de Nice... un patchwork d'éléments avec lesquels l'auteur présente un scénario époustouflant.
Patrick Girard et son équipe vous font vivre intimement le déroulé d'un début d'enquête, le rôle de chacun, le travail lassant de recoupements, interrogatoires, pêche au renseignements, procédure et j'en passe. Habilement mêlés au scénario, ces routines de flics d'élite nourrissent l'histoire, lui donnent du corps et de la réalité, loin des clichés de super flic, le commandant est plutôt un père tranquille qui n'aime guère le changement et mène ses affaires avec opiniâtreté et obstination.
Du côté de la commandant Léanne Vallauri, à Nice, ce n'est pas la même musique. Loin des Trenet et Mireille dont Girard se farcit les oreilles, elle, c'est plus du Hard Rock bien lourd. Boulot de fourmis des Stups qui doivent être sur le terrain, anticiper les affaires, sentir les coups, alors que la Crim' travaille sur des meurtres déjà commis, Léanne investigue sur des deals pas encore conclus, des transports à venir, elle crée presque ses dossiers. Rebelle, un peu Calamity Jane, elle est aussi fonceuse que Girard est réfléchi. Finalement, ils forment un duo très complémentaire et équilibré qui fera avancer un récit de plus en plus passionnant. Un terrible jeu du chat et de la souris, mortel, âpre, se met en place et va se poursuivre de longs jours, monter en tension, la victoire basculant sans cesse d'un camp à l'autre.
Reste les truands, les proies prédatrices qui occupent les esprits de toutes les équipes liées à ces dossiers. Là aussi, pas de cliché, du vrai, du vécu, des hommes avec leurs folies, leurs faiblesses, pas taillés dans un bloc unique mais venant de divers horizons, du psychopathe sadique au père de famille embarqué dans une histoire qui le dépasse un peu, un vieux caïd niçois et son jeune pendant de banlieue parisienne, qui ne jouent décidément pas dans la même cour. Tous tendu vers un but, pas forcément le même, mais un magnifique grain de sable dans la belle mécanique mise au point par les gangsters, un petit vieux trop curieux va gripper un peu les rouages...
Voilà l'ensemble des ingrédients de base d'une histoire qui tient diablement la route, malgré les accidents de parcours qui y sont décrits et les aléas de trafics illicites où les projectiles plombés peuvent être considérés des deux côtés comme des risques professionnels. L'association du crime sordide des deux enfants et du trafic de cocaïne et cannabis permet à Pierre Pouchairet de scanner un large panorama du quotidien des divers services de police, leur fonctionnement et les difficultés à coopérer tenant souvent à des préconçus vieux comme la police.
Un excellent polar, une histoire captivante, pleine de suspense et de fausses pistes, de coups de théâtre, des personnages attachants ou repoussants, du solide et du crédible, le tout servi et accommodé par la superbe plume de Pierre Pouchairet.
Le Prix du Quai des Orfèvres 2017 est un superbe cru à déguster sans attendre !
Notice bio
Pierre POUCHAIRET est né en 1957. Il a été commandant de la police nationale puis chef d’un groupe luttant contre le trafic de stupéfiants à Nice, Grenoble ou Versailles… Il fût également à plusieurs reprises en poste dans des ambassades, a représenté la police française au Liban, en Turquie, a été attaché de sécurité intérieure à Kaboul puis au Kazakhstan. Aujourd’hui à la retraite, il vit à Jérusalem. Il a publié en 2013 un livre témoignage, Des Flics Français à Kaboul, puis Coke d’Azur en 2014. La même année sort son premier polar, Une Terre Pas Si Sainte, édité par Jigal Polar, comme La Filière Afghane (2015) et À L'Ombre Des Patriarches (2016).
La musique du livre
Dans la playlist également, il y a dualité entre Patrick et Léanne, l'ancienne chanson française pour lui, rien d'après 1960, et le hard pour elle, je vous laisse leur attribuer les titres qui leur corrspondent. Pour le morceau country, il accompagne juste un cammionneur sur une autoroute espagnole.
Charles Potier - Madelon 1919
Guns and Roses - Sweet Child O' Mine
AC/DC – Highway To Hell
Commander Cody and his Lost Planet Airmen - Mama Hated Diesel
Charles Trenet et Mireille – Le Jardinier Qui Boîte
MORTELS TRAFICS – Pierre Pouchairet – Fayard – 403 p. novembre 2016