Quatre Sans Quatre

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Chronique Livre :
NID DE VIPÈRES d'Andrea Camilleri

Chronique Livre : NID DE VIPÈRES d'Andrea Camilleri sur Quatre Sans Quatre

Le pitch

Malgré sa longue expérience en terre sicilienne, le commissaire Montalbano doit reconnaître que jamais il n’a été confronté à pareille affaire : un homme tué deux fois. Barletta, affairiste détesté, usurier qui a ruiné bien des malheureux, don juan compulsif qui n’hésite pas à recourir au chantage pour parvenir à ses fins libidineuses, a d’abord été empoisonné par une femme qui a passé la nuit avec lui, puis a reçu une balle dans la tête par quelqu’un qui le croyait encore vivant.

En plongeant dans le passé fangeux de Barletta, le commissaire va se trouver face à ses deux enfants, Arturo, que l’usurier voulait déshériter, et la très belle Giovanna. Aidé non seulement par la fine équipe du commissariat de Vigàta, mais aussi par un mystérieux vagabond qui siffle comme un rossignol, Montalbano découvrira que l’amour et la vilenie peuvent avoir le même visage.


L'extrait

« En suivant les ‘nstructions de Fazo, il arriva à la villa Mariella, pas Pariella, Catarella n’arrivait jamais à dire correctement un nom. Il lui fallut trois quarts d’heure de voiture vu qu’il y avait beaucoup de circulation et que l’eau du ciel, qui continuait à tomber en abondance, ralentissait la vitesse de tout le monde.
La villa d’un étage était juste devant la route qui longeait la plage. Le portail était ouvert et sous le portique, à côté de deux autres voitures était rangée celle de la police. Comme il ne voulait pas se mouiller, vu qu’il continuait à pleuvoir serré, il entra lui aussi avec la voiture et la gara à côté des autres.
Il était en train de descendre, quand il vit Fazio se présenter à la porte.
- Bonjour, dottore.
- Tu trouves que c’est un bon jour ?
- Oh que non, c’est une façon de dire.
- Qu’est-ce qui se passa ?
- On a tué le propriétaire de la villa, le comptable Cosimo Barletta.
- Y a qui à l’intérieur ?
- Gallo, le mort et son fils Arturo. C’est lui qui atrouva le corps de son père.
- Tu as averti tout le monde ?
- Oh que oui. Il y a cinq minutes.
Il entra dans la villa, suivi de Fazio. » (p. 15-16)


L'avis de Quatre Sans Quatre

À soixante-trois ans, Cosimo Barletta est un homme puissant, riche et influent. Inutile de se demander qui avait un motif pour l’assassiner, il est plus simple de dresser la liste de ceux qui n’en avaient pas un ou plusieurs. Ce type était un salaud de la pire espèce, un parvenu qui usait de son argent pour des prêts usuraires ruinant ceux qui faisaient appel à lui en désespoir de cause. Il n’aimait pas les femmes, il adorait le pouvoir qu’il pouvait exercer sur elles, en les achetant ou par chantage, se servant de leurs corps avant de les jeter quand se présentait une nouvelle proie. Il a déshérité son fils Arturo, privilégiant sa fille, Giovanna, au prétexte qu’elle a un enfant, mais ceci n’est que l’épiphénomène de la vie d’humiliations qu’il leur a fait mener durant des années.

Ceci étant dit, il est assez rare de se faire tuer deux fois dans la même matinée. Un empoisonnement suivi d’une balle dans la nuque, ce n’est pas courant, même en Sicile. Le commissaire Montalbano se trouve devant une énigme redoutable, entouré de menteurs ou de gens qui ont tous intérêt à ne pas raconter ce qu’ils savent, ayant chacun à leur tour subi à divers titres le joug de Barletta. Jeunes femmes photographiées dans des positions dégradantes, artisans étranglés par les taux d’usure, pères et maris corrompus, personne n’ose venir rencontrer le policier de son propre chef et chacun essaie de minimiser ses rapports avec l'ignoble bonhomme. Pas facile de trouver celle qui a partagé son lit la nuit d’avant sa mort, il y a tant de candidates, c'est pourtant cette inconnue qui a tué l'usurier, la balle n'est venue qu'une fois celui-ci déjà décédé.

Les Barletta forment une famille particulièrement pathogène. La mère est morte, noyée dans des circonstances peu claires, la femme d’Arturo ne voit plus son beau-père, lui-même a de graves difficultés financières, Giovanna semble collectionner les aventures et Cosimo, donc, patriarche immonde dominant son troupeau, sans pour autant l’assister lorsqu’un de ses membres est en difficulté. De nombreux habitants de Vigàta possèdent une parcelle de vérité, reste à relier tous les faits ensemble afin de parvenir à celle-ci toute crue.

Empoisonnement pour commencer, balle ensuite, au moins, ça, c’est clair. Mais comment expliquer cet enchaînement ? Les assassins se connaissaient-ils, ont-ils agi de concert ? Ou le hasard les a-t-il fait passer à l’acte le même jour sans se consulter ? Il faudrait tout d’abord retrouvé le testament, celui qui élimine Arturo, le fils, de la succession, et qui en fait un suspect idéal, même s’il n’était pas à la villa à l’heure du crime. Et puis le comportement étrange de Giovanna qui charme Montalbano tout en gardant sa part de mystère et de mensonges, ce dont il se rend tout à fait compte.

En plus de son équipe du commissariat de Vigàta, le célèbre commissaire recevra l’aide bien plus étonnante d’un vagabond à qui il ouvre sa porte au tout début du récit. Celui-ci surprend le policier par ses manières et sa culture, tout comme il va intriguer Livia, la compagne de Montalbano, habitant à Gênes, qui a rejoint le commissaire pour quelques jours sur cette enquête complexe et douloureuse, tant le nombre de personnes blessées par Barletta est important et les ramifications de ses mauvaises actions tentaculaires. Le commissaire devra plonger dans l’intime, les secrets de famille les plus dissimulés pour parvenir à comprendre les mécanismes de cette intrigue. Comme à son habitude, il ira au fond des choses, de son air débonnaire, sans violence, sans coup d’éclat, il extirpera la vérité, quitte à ne pas être à l’aise avec ce qu’il va découvrir.

Cette enquête est une belle occasion de faire connaissance avec la cuisine sicilienne dont Montalbano est un fin connaisseur et un grand consommateur, avec le patois local également. À souligner le remarquable travail de traduction de Serge Quadruppani qui explique, dans une préface, les difficultés auxquelles il a dû faire face pour rendre en français le sel de la si particulière langue d’Andrea Camilleri. Couleur locale à tous les étages donc, mais drames humains également, ce roman est très sombre, noir de jais, il va chercher ses ressorts dans les recoins les plus obscurs de l’âme humaine, sans éviter d’en présenter toutes les facettes, sans manichéisme ni effets émotionnels faciles. Camilleri montre qu’il est un grand écrivain sachant aller au fond des sujets qu’il choisit de traiter.

Un grand polar, nouvelle enquête du célèbre commissaire Montalbano, un thème difficile, traité avec finesse et intelligence par un excellent auteur.


Notice bio

Italien d’origine sicilienne, né en 1925, Andrea Camilleri a mené une longue carrière dans le théâtre, la radio et la télévision, avant de se tourner vers la littérature. Avec succès, puisque les enquêtes de son désormais célèbre commissaire Montalbano ont donné naissance à rien de moins que le « phénomène » Camilleri.


La musique du livre

Gino Paoli - Il Cielo in una Stanza


NID DE VIPÈRES – Andrea Camilleri – Fleuve Édition – collection Fleuve Noir – 238 p. juin 2018
Traduit de l'italien (Sicile) par Serge Quadrupanni

photo : Pixabay

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