Chronique Livre :
Nid de vipères de Edyr Augusto

Publié par Psycho-Pat le 06/03/2015
Photo : Belém, capitale de l'état de Para (Wikipédia)
L'extrait
« Dans quoi je me suis fourré, pensait Netinho, assis sur la banquette arrière de la Gol. Tuer faisait partie de sa vie depuis pas mal de temps. Toujours sur commande. Sans implication directe. Il tirait avec précision et économie. Droit au but. Une simple prestation. Il obéissait et on le payait. Le reste du temps, il bossait dans cette boite de pièces auto à Castanhal. Il glandait. Quelques jours auparavant, cette fille était venue le voir en fin de journée. Il connaissait Isabela depuis l'enfance. Ils avaient grandi ensemble. La famille Pastri était riche et puissante. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Ils ont déménagé. Juste au moment où il commençait à s'intéresser aux filles, à l'âge des premières amourettes. »
Le pitch
Wlamir Turvel, gouverneur de l'état de Para au nord du Brésil est une ordure finie. Il contrôle tous les trafics, particulièrement le transport discret de la came colombienne, de sa région et n'hésite jamais plus de deux secondes à éliminer définitivement ceux qui peuvent le gêner. À Castanhal, petite ville de cette état, il a, quinze ans plus tôt, forcé le père de Fred et Isabela Pastri à lui céder sa scierie en violant sa femme sous les yeux des enfants après l'avoir tabassé. Cette extorsion marque le début de sa véritable ascension et celui de la haine féroce que lui voue Isabela.
Aujourd'hui, Fred est parti aux États-Unis où il coule le parfait amour avec une étoile montante du rock, il s'est éloigné et, peu à peu, sa colère semble moins envahissante. Isabela, par contre, n'a jamais rien oublié et tient toujours plus que tout à se venger, peu importe le prix qu'il lui faudra payer. Toute sa vie est organisée et programmée dans le seul et unique but de faire payer Wlamir, cher, très cher...
Patiente, elle a monté un scénario absolument diabolique et a réussi à devenir non seulement la maitresse de Wlamir, mais, surtout, elle lui est indispensable. Sa vie ne vaut que pour sa vengeance et quand elle décide que le temps est venu de déclencher la foudre, c'est une véritable tornade qui va s'abattre sur la vie des protagonistes de cette mise en scène dans la touffeur amazonienne.
Gare à ceux qui se mettent en travers de son chemin...et gare à ceux qui l'aideront.
L'avis de Quatre Sans Quatre
Quelques jours à peine vont suffire à cette explosion de violence folle. C'est un sprint et les phrases courtes et imagées de Edyr Augusto rythment parfaitement ce tsunami tout en décrivant minutieusement, sans fard, chaque protagoniste. Une écriture comme une caméra embarquée, incisive, inquisitrice, qui saisit chaque frémissement mais aussi chaque pensée des différents acteurs. Un page-turner, vif, dur, haletant, alternant séquences du passé et actions du présent, sans pitié ni pause. La première ligne passée, aucun retour en arrière n'est possible, la bombe est enclenchée. Le machiavélisme de Isabela va loin, il transcende la personne de son tortionnaire, il est à l'image de sa souffrance infini.
Une tragédie dans la moiteur torride des villes amazoniennes, elle balaiera tout et tous sur l'échiquier, les pions comme les pièces maitresses, et la partie, on le sait, recommencera avec d'autres joueurs. Est ce un polar ? Difficile à dire, il n'y a pas d'autorités. L'état est gangréné, la police achetée, les médias aux ordres du gouverneur. Une crise clastique plutôt, au sein d'une communauté où certains ont dépassé les frontières de la terreur, ne pouvant plus se définir, comme Isabela, que par leur haine ou, comme Valdomiro Cardoso, par l'envie d'exister.
Le Para décrit par l'auteur n'est pas un état de droit, c'est une féodalité dans laquelle le seigneur en place fait bénéficier quelques uns de (faibles) largesses qui lui assurent leur fidélité et a droit de vie et de mort sur l'ensemble d'une population plus occupée à survivre et à éviter de se faire remarquer. Encore un Far West mais loin d'Avaler du sable d'un autre brésilien, plus proche, et sur le même sujet, de Petite Louve de Marie Van Moere. La vendetta pure, la vengeance cataclysmique pour atomiser une douleur et les personnages qui la représentent. Tout cela ne peut pas finir que dans encore plus de douleur et de sang, dans l’annihilation. Un duel Wlamir.Isabela, c'est entre eux que cela se joue mais les balles perdues vont faire bien de dégâts.
Un roman noir pétri de qualité, un style synchrone qui plonge immédiatement le lecteur dans le vif du sujet et ne relâche plus la pression jusqu'au bouquet final. Un voyage terrible dans le nord du Brésil, dans la noirceur des personnages et dans l'impasse de la violence absolue. Le Brésil n'est décidément pas que le foot et la samba, il est grand temps de découvrir la richesse de ce pays-continent entre XXIème siècle et pratiques ancestrales.
Notice bio
Edyr Augusto est né en 1954 à Belém. Journaliste, écrivain et dramaturge, il endosse parfois le rôle de metteur en scène. Il écrit également des romans noirs (Belém, 2013, et Moscow, 2014). Très attaché à sa région, l'état du Parà, Edyr Augusto y ancre tous ces récits.
La musique du livre
Quatre titres tirés de la playlist toujours présente en fin d'ouvrage que Asphalte éditions a la bonne idée de demander à ses auteurs, du local et du connu mais que du bon ! Drugstore et son Sweet Chili Girl, Eels, un peu de baume à l'âme, Novocaine for the soul, Madame Saatan provoque, bien évidemment, l'Apocalipse et, pour finir, Veneza par A Euterpa.
Nid de vipères – Edyr Augusto – Asphalte éditions – 151 p. mars 2015
Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos