Chronique Livre :
OUTRESABLE de Hugh Howey

Publié par Dance Flore le 18/03/2019
Hugh Howey est un écrivain américain qui a été couvreur, capitaine de yacht et libraire avant de se consacrer à l’écriture et de débouler avec sa trilogie Silo publiée chez Actes Sud. Ridley Scott en a acheté les droits cinématographiques…
Il revient avec Outresable, un roman haletant aux accents post-apocalyptiques tout à fait original.
« Aussi loin que remontât sa mémoire, il avait toujours rêvé d’être plongeur, rêvé de pénétrer dans le sable – mais il avait très vite appris que c’était en ressortir qui demandait du savoir-faire. Un plongeur apprend rapidement douze manières impressionnantes de s’enfoncer dans une dune, chacune plus spectaculaire que la précédente, depuis le plongeon frontal classique, pour se laisser ensuite absorber en douceur dans sa masse, jusqu’au saut en arrière avec les bras tendus au-dessus de la tête qui permettait de disparaître sans presque créer de remous à la surface, en passant par le coulé effectué grâce à une rotation frénétique des bottes et de tout le corps qui vous aspirait vers le bas. La pesanteur et l’étreinte bienvenue du flot sableux rendaient nombre de ces techniques superbes à observer.
L’émergence exigeait de la finesse. Palmer avait vu plus d’un plongeur surgir de la surface d’une dune en hoquetant, du sable plein la bouche et le souffle court, battant des bras tandis qu’il perdait toute concentration et se retrouvait immobilisé au niveau de la taille. Il en avait vu encore plus jaillir dans l’air à une vitesse telle qu’ils se brisaient un bras ou le nez en retombant au sol dans une vrille brutale. À l’école, les garçons tentaient de sortir de dunes par une poussée soudaine, avec des résultats désastreux et souvent hilarants. Quant à Palmer, il s’efforçait toujours d’effectuer une arrivée sans à-coups ni rien de remarquable, exactement comme sa sœur. Elle lui avait répété que le calme apparaissait plus courageux que les fanfaronnades. Avoir l’air d’un pro. Faire comme si un des ascenseurs dans ces gratte-sol en ruine fonctionnait toujours et l’avait déposé au dernier étage. C’était l’image qu’il voulait donner. Mais ce ne fut pas ainsi qu’il émergea cette fois.
Son jaillissement à l’air libre donna plus l’impression que la gueule sableuse le recrachait avec dégoût. Il fut rejeté de côté à travers la petite avalanche qui s’était déversée dans le building, et fut éjecté à la surface.
Accompagné d’un crissement sourd, sa retombée au sol fut lourde et violente, d’abord sur l’épaule, puis en basculant douloureusement sur le dos, avec les bouteilles qui martyrisèrent sa colonne vertébrale. Les taches pourpres ondoyantes disparurent quand sa visière fut arrachée de ses yeux. Il avait du sable plein la bouche, son régulateur était à moitié décroché, et sous l’impact ses poumons se vidèrent d’un coup.
Il décoinça l’embout de ses dents et toussa, cracha jusqu’à ce qu’il soit capable de respirer à nouveau.
Respirer à nouveau. » (p. 48 et 49)
Sous le sable, l’Amérique.
Dans un futur dont on ne peut évaluer la proximité avec notre présent, les États-Unis sont recouverts de sable. Entièrement. Les villes ont disparu, immergées, elles ne sont plus qu’un souvenir, une matière à fantasmes et à rêves qui alimente les on-dits et les peut-être.
Ces anciennes villes ne figurent plus sur aucune carte mais on essaie de les localiser cependant puisque le pillage des anciens artefacts rapporte beaucoup d’argent. Pour y parvenir, il faut de bons plongeurs, surtout si la ville est profondément engloutie, tellement profondément qu’elle en devient mythique comme l’est peut-être Danvar, Atlantide ensablée du Colorado dont l’existence jamais avérée ressemble à une Belle au bois dormant qui attend le baiser d’un plongeur plus talentueux que les autres pour se réveiller.
Les villes sont précaires, le paysage se transforme au gré des dunes qui s’effondrent et recouvrent les maisons ou qui se déplacent et contre lesquelles on lutte un temps avant de céder la place et de reconstruire sa cabane ailleurs.
La région se divise en quatre zones, certaines dangereuses puisqu’habitées dit-on par des cannibales, d’autres dirigées par des seigneurs tyranniques qui maintiennent la population dans un état proche de l’esclavage et d’autres dont on ne sait rien en l’absence de cartes.
La vie quotidienne est rude : l’eau manque, l’électricité aussi, il n’y a pas de routes, et se fournir à manger est difficile. Le sable est absolument omniprésent, il envahit la bouche, le nez, les cheveux. Les enfants vont à l’école, mais doivent aussi contribuer à acheminer l’eau en vidant des seaux de sable sous l’autorité de contremaîtres sourcilleux. Les seigneurs dirigent le pays, régime à la fois autoritaire et lointain. Chacun se débrouille, s’entraide si possible, se méfie des bandits qui peuvent rançonner et piller sans crainte à chaque instant, selon leur bon plaisir ou leur état de nécessité.
À la recherche du gratte-sol légendaire...
Palmer, Vic, Conner et Rob ont été abandonnés par leur père - un plongeur très talentueux qui a tout appris à sa fille aînée Vic, douze ans auparavant ; nul ne sait où il est parti, ni pourquoi. Personne n’a jamais plus eu de ses nouvelles, et leur mère, Rose, qui possède un bar, a dû tout d’abord en faire un bordel puis se prostituer elle-même pour survivre et nourrir sa famille.
Bien sûr, ses fils ont dû subir l’humiliation des hommes se vantant d’avoir couché avec elle, stigma insupportable qui a conduit la fratrie à vivre sans elle et à l’éviter le plus possible.
Vic a, à son tour, apprit à Palmer à plonger. Elle est plus douée que lui, elle est capable de plonger sur plusieurs centaines de mètres, de donner la forme et la texture désirée au sable.
Plonger nécessite un équipement spécial très élaboré et des réserves d’oxygène en bouteille, c’est une activité qui peut être lucrative si on réussit à trouver les anciennes villes sous le sable, ce monde ancien dont on remonte des objets souvent incompréhensibles à la surface, traces d’une civilisation dont on ne connaît plus ni les règles ni le fonctionnement. Habileté et expérience nécessaires, avec une bonne dose de témérité puisque la mort est sans cesse sous-jacente.
Palmer gagne donc sa vie en plongeant, avec son ami Hap. On lui propose de partir chercher Danvar, la cité mythique jamais encore découverte car ensevelie trop profondément sous le sable. Brock, le seigneur qui lui demande d’effectuer cette plongée, n’a pas la réputation d’être un homme à qui on dit non, alors les deux garçons acceptent, appâtés par le salaire et aussi parce qu’ils seraient les premiers à parvenir à découvrir le site.
Ce que les deux garçons ne savent pas, c’est qu’ils ne sont pas les premiers à avoir accepté le défi, ni même à avoir réussi à trouver Danvar. Non, trouver Danvar est possible, c’est en revenir qui pose problème…
La population vit dans un danger permanent et imprévisible, le sable peut vous étouffer à tout instant, la vie est précaire et tout s’obtient par la lutte. Un ailleurs est possible, peut-être existe-t-il un endroit où il serait plus facile de vivre mais on ne sait pas et partir est si risqué qu’on n’ose pas s’y aventurer, on entend des histoires de toutes sortes sur l’espace invisible et inexploré.
Le travail des plongeurs, l’aspect technique des combinaisons et visières, toutes les possibilités de travailler la structure et la matière du sable sont très ingénieux et passionnants, une vraie trouvaille ainsi que ce monde ensablé, étrange et dangereux, totalement instable et mouvant.
Beau roman dystopique, avec cette idée magnifique de ce monde recouvert de sable, où il ne pleut pas, et qui semble revenu à un état de sauvagerie et de précarité effrayants. Notre monde actuel (et ses « gratte-sol », image inversée des gratte-ciels) enfoui sous des centaines de mètres de sable, est à la fois objet de convoitise et d’étonnement, tant il est beau, complexe, incompréhensible, témoin d’un passé qui paraît radieux et paisible. Mais hélas, demain comme aujourd’hui, les hommes sont fous et détruisent pour posséder.
OUTRESABLE - Hugh Howey - Éditions Actes Sud – collection Exofictions - 400 p. janvier 2019
Traduit de l’anglais (E.U.) par Thierry Arson
photo : Pixabay