Chronique Livre :
PÂLE COPYCAT de Yves Hugues

Publié par Psycho-Pat le 24/12/2020
Quatre Sans Quatrième… de couv…
Elvis agresse John Wayne lors d’un concours de sosies. Un directeur de télé est kidnappé par des baltringues. Donc Yann Gray enquête, au milieu d’une ratatouille de grosses légumes factices, tandis que la PJ quitte son légendaire quai des Orfèvres.
Bien entouré par son amoureuse Valentine et son fils Robin, qui vivent de l’autre côté de la trappe. Sans oublier Mamounette et sa dernière lubie origamiste.
Autant dire que cette histoire n’a rien de banal, et qu’il ne sera pas facile de démêler le vrai du faux, l’authentique de la posture…
L’extrait
« Le fait qu’Elvis ait voulu tuer John Wayne laissait perplexe. Qu’il ait tenté de violer Marilyn semblait moins invraisemblable mais les témoignages restaient opaques et de toute façon elle couchait avec tout le monde.
« Je vois pas pourquoi j’y aurais pas eu droit. »
Au terme du concours, elle était restée dans la salle des fêtes jusqu’au petit matin avec les derniers participants abrutis de kir tiède et de gloire frelatée. Elle s’était offerte. Ils avaient sauté sur l’occasion.
On prêtait à Marilyn, au cours d’une carrière anachronique, des relations avec plusieurs George Clooney, quelques Steve McQueen, un Zidane et des Pelé, Un Stallone, un McEnroe, de nombreux Belmondo et légion de Delon. Pour ce soir-là, on murmurait le nom d’Armstrong : deux sur trois, les plus télégéniques, Lance et Louis. Il y en avait peut-être eu d’autres parmi les ultimes sosies masculins encore présents, on n’était sûr de rien ; en tout cas pas Luis Mariano ni John Fitzgerald Kennedy qui s’était endormi dans son vomi.
« Kennedy ? » a relevé Maurel.
Si on pouvait conjoncturer que le sosie de Mariano, tendance naturelle ou sens aigu de la déontologie, avait obéi aux orientations sexuelles de son modèle, on ne pouvait s’empêcher de souligner la frivolité d’une situation qui voyait le sosie de Kennedy piétiner l’histoire.
« Limite une faute professionnelle », a commenté Lazerschenne avec sa caractéristique froideur British.
Elvis nous prenait à témoin tous les six, en hochements de tête convaincus, partageant ce jugement au sein de ce qu’il croyait être une fraternité virile.
Tout cela était pitoyable, j’hésitais à le placer en garde à vue.
Je lui ai demandé de vider ses poches. Il n’en avait pas, c’était son costume de scène. Les trois autres officiers de mon groupe, Ferrerri, Brévenart et Legonsaur, étaient allés le chercher chez lui en Seine-et-Marne où ils l’avaient surpris en plein, playback devant le miroir en pied de son salon. Il répétait dans le costume blanc du concert d’Honolulu de 1973 : pantalon moulant, chemise au col surdimensionné, manches tulipe et sequins argentés. Avec autour du cou le foulard fuchsia et le collier hawaïen aux hibiscus en tissu. Ils ne lui avaient pas laissé le temps de se changer, à peine celui de retirer le collier de fausses fleurs et le foulard avec lequel il avait essuyé la sueur de son front comme aux plus grandes heures.
John Wayne, lui, transpirait à l’hôpital Pompidou entre la vie et la mort. Le soir des faits, il portait un Colt à la ceinture, le Single Action Army, de mauvaise imitation lui aussi, mais dont la crosse en noyer avait su faire de vrais dégâts dans son propre crâne. » (p. 7-8)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Soirée de gala à la Crim’, en plein déménagement, son dernier jour au célèbre 36. John Wayne s’est fait très sérieusement amoché par un des Elvis présents au concours de sosies, organisé dans une salle parisienne. L’assemblée ayant largement abusé de tout ce qui pouvait être bu, les témoignages de Claude François n’est guère plus fiable que ceux de Neymar ou Zidane. Les auditions vont se poursuivre sur plusieurs jours, l’affluence était importante et le groupe de Yann Gay, chargé de l’enquête, est débordé. Une autre affaire capte son attention : la disparition du directeur d’une chaîne de télévision de la TNT.
François Dampierre, le directeur de Plein Écran, a disparu alors qu’il était censé rentrer à son domicile. Sa voiture ne tarde pas à être retrouvée, une tache de sang inquiétante sur le capot, mais aucune trace de l’homme d’affaire. Dampierre ne semblait pas fréquenter de louches personnages, mais devait bien entendu faire face dans son travail quotidien à de nombreux mécontentements. Il était, juste avant son kidnapping, en train de revoir la formule d’un jeu très populaire, La Bourse et l’Esprit, ce qui provoque de nombreuses protestations, du présentateur aux spectateurs, autant de suspects en puissance, innombrables...
Plus que ces deux intrigues, la première étant anecdotique et prêtant plus à sourire, voire à rire franchement, qu’à susciter du suspense, c’est Yann Gray et sa petite tribu qui attire entièrement l’attention dans ce premier roman d’une trilogie lui étant dédiée. Son histoire d’amour si particulière avec Valentine, débutée lorsqu’elle l’a découvert un jour, inconscient, devant chez elle alors qu’il venait de prendre une balle dans le crâne par un malfrat. Depuis, ils ne se sont plus quittés, Yann habite au dernier étage, Valentine, son fils Robin, sept ans, et sa mère Mamounette, juste en dessous de la trappe.
Yann, par contre, se soucie de sa mère. La pauvre femme, atteinte d’Alzheimer, attend patiemment ses apparitions dans son Ehpad, même si elle ne le reconnaît pas et pense recevoir Adrien, son mari décédé. Sa mère, si dégradée soit-elle, Valentine et sa famille, sont les repères, le cadre qui sécurise Yann et lui permet de faire correctement son métier.
Yann traîne des séquelles de sa blessure à la tête, une forme d’obsession qui le conduit à tailler sans cesse les buis de sa terrasse, topiaire en forme de pièces de jeu d’échec, à la moindre angoisse et quelques autres petits désagréments que le policier tente volontiers de corriger, ou de ne pas se faire surprendre à y céder. Depuis peu, Mamounette et Robin se sont mis à l’art de l’origami et les petites figurines de papiers servent à communiquer de la tendresse entre les membres de cette famille recomposée avec grâce.
Le comique des interrogatoires à rallonge des personnages importants de la soirée sosie (ce n’est pas tous les jours que Che Guevara et Michael Jackson se succèdent devant un flic) sert de fil rouge au récit, permettant d’alterner passages sérieux d’une enquête, pas si facile et vraiment pas loufoque) et épisodes émouvants de l’existence de Yann en compagnie du clan de l’autre côté de la trappe. Certes l’équipe de ravisseurs multiplie les maladresses, elle ressemble plus aux Pieds Nickelés qu’à de redoutables bandits mais la connerie parfois est bien plus dangereuse que la férocité...
Ce polar est une bouffée de fraîcheur, poétique, tendre, drôle aussi, bien sûr, c’est un vrai bonheur de lecture, un livre qui rend heureux de l’avoir lu. Quelle tragédie que cette disparition de Yves Hugues juste après la remise des manuscrits de sa trilogie, Yann Gray et sa tribu seront réellement difficile à quitter.
Un très joli polar, au style élégant, à l’écriture juste, peuplé de personnages attachants, une vraie parenthèse de plaisir, essentielle dans cette époque morbide et triste, il serait dommage de passer à côté...
Notice bio
Yves Hughes, lecteur chez plusieurs éditeurs, écrivait régulièrement pour la télévision et la radio, notamment des scénarios policiers. Il est l’auteur de romans pour adultes ainsi que de romans jeunesse. Il meurt en juin 2020, à l’âge de 60 ans, après avoir transmis aux éditions de l’Aube les trois manuscrits devant constituer une trilogie, démarrant avec Pâle copycat.
La musique du livre
Frehel - La Java Bleue
Charlie Haden - First Song - Silence - Segment - Escalator Over the Hill
Sarah Vaughan - My Funny Valentine
Louis Prima - Just a Gigolo
Gilbert Bécaud - Je Reviens te Chercher
PÂLE COPYCAT - Yves Hugues - Éditions de l’aube - collection l’aube Noire - 214 p. novembre 2020
photo : origami by Visual Hunt