Chronique Livre :
PLUSDEPROBLEME.COM de Fabrice Pichon

Publié par Psycho-Pat le 19/05/2016
photo : Glock 17 (Wikipédia)
Le pitch
Marc Segarra est cadre dans un grand groupe d'assurance. Il gagne bien sa vie mais les temps sont durs. Les traites de la maison s'accumulent, les crédits faciles et vautours également, sa petite famille lui coûte cher, il est surendetté. Harcelé par les huissiers, les relances, les courriers qu'il n'ose plus ouvrir, il est humilié par le juge en charge des dossiers de surendettement qui lui fait la leçon.
Son travail ne le passionne pas vraiment, sa famille le méprise, il ne sait plus comment annoncer les mauvaises nouvelles à son épouse,Christina, qui redoute plus que tout les visites des huissiers. Seule Sylvie, sa maîtresse, une escort au grand cœur, l'admire, le soutient et le chérit. Ils montent ensemble un curieux projet d'auto-entreprenariat : Marc va tuer des gens qui en gênent d'autres !
Il faut dire que sont présents en lui deux individus très différents, Marc, le cadre affairé, et Walter, le cynique assassin. Le psychopathe poussant l'autre qui résiste tant bien que mal, plutôt mal d'ailleurs, il faut bien le dire, surtout quand il succombe au charme du scotch.
Pendant ce temps, la commissaire Marie Salvan est sur une grosse affaire pour une petite ville : un corps non identifié, retrouvé assassiné dans une benne de la déchetterie. Et il ne sera pas le seul à occuper la table en inox du médecin légiste. Marie et son équipe vont être sous les feux des projecteurs et sujets aux pressions de la hiérarchie. Elle va être amenée au cours de l'enquête à traquer une ombre, un sombre individu. Celui-ci gagne des fortune en fournissant le marché de la prostitution de très jeunes filles venues des pays de l'est et ne s'embarrasse pas de ceux qui le dérangent . Mais son chemin au cours de ses investigations va également croiser celui d'un mystérieux tueur à gages...
L'extrait
« Un silence pesant s'installa alors que le juge manipulait les feuilles de mon dossier.
Mon dossier ! Ce bonhomme avait entre les mains mon sort et ma destinée. Lui seul pouvait faire basculer les choses d'un côté ou d'un autre. Pour le première fois je me sentis démuni. À mon sourire d'apparat se substitua une grimace. Sans m'en rendre compte ma mâchoire se refermait sur mes joues que je mordillais nerveusement.
Voyez-vous, monsieur Segarra, reprit-il enfin en se calant dans son fauteuil. J epense que vou sne faites pas partie des plus à plaindre.
J'étais bon pour une leçon de morale !
Lorsque la commission refuse un dossier, ce qui est rare, c'est pour deux motifs principaux : soit la situation est malheureusement catastrophique, subie, et il n'existe pas de solution à plus ou moins long terme : soit le débiteur s'est lui-même mis dans une situation inextricable et souhaite utiliser les dispositions du système.
Ce fut comme une gifle. Clairement, on me faisait comprendre que j'étais responsable de la situation. Je voyais que j'allais perdre pied, et mon esprit s'échappa quelques secondes de cette pièce que je trouvais soudain sombre et glauque. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Parasitage général dans ce polar ! Marc est phagocyté par Walter, Marie, par ses amours, les héros ne sont plus ce qu'ils étaient. Et tant mieux. Qui est le tueur ? Marc, le cadre dépassé et surendetté ou Walter, son Mr Hyde psychopathe, qui le pousse à accepter ses contrats ? Enfin, qui le pousse, il ne doit pas non plus dépenser un trésor d'énergie, la belle Sylvie lui donne un bon coup de main. Fabrice Pichon joue sur plusieurs tableaux avec virtuosité, son personnage principal semble perdu mais il navigue habilement entre tous les écueils qui affleurent à sa proue. Que Marc s'en remette à un double sulfureux pour éviter la culpabilité, il est loin d'être le seul, il n'empêche qu'il est, presque, du début à la fin, maître de son destin.
Un style direct, cash, une sorte de dialogue entre le héros et le lecteur, Marc vous parle, se parle, se raconte et tente de comprendre le déroulé des faits. La lecture est aisée, fluide, le lecteur n'est jamais perdu même s'il est au cœur d'un maelstrom d'événements, c'est essentiel pour suivre autant
Si Marc est versatile, insaisissable, Marie Salvan, la commissaire, est a priori plus monolithique. Apparemment seulement. Elle est une meneuse d'homme dans un univers très machiste, cache son homosexualité comme si c'était une maladie honteuse, et ne perd jamais de vue son but premier : arrêter le ou les coupables.
Habilement, l'auteur accumule les intrigues qui vont se croiser, s'entrechoquer, modifient la donne si bien qu'il est de plus en plus ardu de retrouver ses marques, aussi bien pour les truands, pour Marc que pour la police. Côté polar, pas à dire, plusdeprobleme.com sert de sérieuses portions !
Côté social, sociétal, Fabrice Pichon ne se prive pas non plus. Les sociétés de crédits rapaces, les huissiers, les juges coupés des réalités, les rapports au travail agrémentés de fausse empathie normalisée, l'incommunicabilité entre les êtres même au sein de la famille, il n'y a pas que Walter qui pousse Marc au crime, c'est tout un faisceau de petites causes qui entraînent les grandes conséquences. Bien sûr, on trouve également le scandale du trafic de chair fraîche en provenance des ex pays de l'est, le cynisme des organisations mafieuses qui finissent toujours pas tenter de devenir respectables sur le dos des vies martyrisées qui ont fait leur fortune...
Peu de gore ou de sanglant, dans ce pavé qui se dévore avidement. Ce sont les rouages qui sont à l'honneur, le décodage des origines. Même le pire mafieux roumain a droit à sa biographie et possède des zones moins sombres. Je vous rassure, on est loin du royaume en guimauve, l'action est bien présente, le suspense également de même que les rebondissements et les fausses pistes. Les personnages sont fouillés, riches d'une histoire personnelle qui explique, sans concession et sans excuser, les errements de leurs parcours.
Tout n'est pas sombre, l'humour n'est pas absent, souvent grinçant, voire acide, il émaille le récit, l'aère agréablement, sans pour autant le dénaturer. Il s'agit bien de littérature noire qui se lit avec plaisir. Des personnages principaux attachants, des intrigues croisées, de l'action, une plongée dans la réalité sociale des classes moyennes aujourd'hui, des difficultés anachroniques à assumer ses choix de vie encore à l'heure actuelle, la connerie ordinaire, le machisme... Bref, un beau panorama à dévorer rapidement !
Notice bio
Fabrice Pichon est né à Besançon. Il se lance dans l'écriture après de brèves études de droit. En 2000, il remporte un concours littéraire et voit son premier roman publié sous forme de feuilleton, six mois durant, dans Le Bien Public. Il vit maintenant à Dijon et plusdeprobleme.com est son cinquième roman.
La musique du livre
Belle playlist dans ce gros volume, Marc aime la musique, elle l'aide à réfléchir. Comme au tout début du roman où Marc/Walter, dans son repaire, écoute Era dans le tire Ameno.
Là, ça me fait plaisir de retrouver, pour les chums, les gars de Beau Dommage, c'est ce que passe Marc les nuits d'insomnie lorsqu'il est angoissé par les relances d'huissiers de d'officines de contentieux quasi mafieuses, il pleure sur La Complainte du Phoque en Alaska.
Une scène de rupture, avec un peu de classe, et une référence à Je Suis Venu Te Dire Que Je M'en Vais de Serge Gainsbourg.
Sylvie, dans son bain, se détend en compagnie de Barry White, You Are The First, My Last, My Everything, puis glisse ensuite un CD de ZZ Top dans sa chaîne Hifi, Gimme All Your Lovin.
PLUSDEPROBLEME.COM – Fabrice Pichon – Lajouanie – 622 p. février 2016