Chronique Livre :
PSSICA de Edyr Augusto

Publié par Psycho-Pat le 12/02/2017
photo : couverture du livre (détail)
Le pitch
Rejetée par ses parents après la diffusion d'une vidéo intime, Janalice, quatorze ans, est envoyée chez sa tante, dans le centre-ville de Belém. L'adolescente va se familiariser avec la faune interlope de ses rues : vendeurs à la sauvette, toxicomanes et maquereaux. Mais sa beauté attire rapidement la convoitise et Janalice finit par se faire kidnapper en pleine rue.
Amadeu, un flic à la retraite, s'empare de l'affaire par amitié pour le père de la jeune fille. Sur les traces de Janalice, il entame un périple halluciné en Amazonie, à la frontière du Brésil et de la Guyane française. C'est là que s'entrecroisent toutes sortes de trafics - orpaillage, piraterie fluviale, prostitution infantile et traite des blanches -, le tout avec la complicité de l'administration locale. Mais arrivera-t-il à temps pour sauver Janalice de l'horreur ?
L'extrait
« Janalice finit par retourner chez elle et s'enferme dans sa chambre. Le soir, son père revient du travail. C'est décidé. Elle va aller vivre un temps chez sa tante. Je ne veux plus te voir. Salope. C'est pour ça que je t'ai élevée ? La petite princesse de la maison ? Me regarde pas ou je t'en remets une. Demain de bonne heure, tu prends un taxi et tu y vas. Elle t'attend. La tante Daiane l'attend effectivement. C'est du propre, hein ! Quelle honte ! Tu as déshonoré la famille toute entière. Range tes affaires. Tu dormiras sur ce sofa. Et pas de mauvais coups, hein. Célio et moi, on travaille toute la journée ! C'est moi qui suis responsable de toi, maintenant. Tu veux finir sur le trottoir, c'est ça ? Célio sort de la chambre. Toise Janalice. C'est ta nièce ? Allez, on va être en retard au boulot. Elle est seule, à présent. Se recroqueville sur le sofa et pleure. Allume la télévision. Faim. Trouve quelque chose à grignoter dans le frigo. Dort. La nuit tombe. Ils sont de retour. Dîner. Célio s'assied sur le sofa pour regarder le foot. Daiane donne une serviette de bain à Janalice. Va prendre ta douche. L'appartement silencieux. Elle se couche sur le sofa. Le sommeil se fait attendre. Un sursaut terrifié. Une respiration... Chhhut. Tais-toi. Mais, et tata. Rien à foutre de tata, il susurre. C'est chez moi, ici. Il faut que tu paies ton loyer, compris ? Du calme. On se tait. Sinon je t'en colle une et je dirai que c'est toi qui m'a cherché. Tais-toi. C'est ça. Janalice mord l'oreiller. Une fois fini, il s'en va. » (p. 10)
L'avis de Quatre Sans Quatre
Pssica, c'est une malédiction. Un sort, un sale coup qui vous tombe dessus comme ça, à l'improviste sans que vous puissiez y faire grand chose. Encore faut-il mettre un nom sur l'origine de ce mauvais œil, Edyr Augusto en donne toute une farandole : la misère, la peau trop blanche, des seins trop beaux, la rapacité des hommes, la malchance, les circonstances... Liste sans fin, sans objet, les personnages de Pssica ne peuvent que constater, subir ou mourir. Ils n'ont pas le temps de réagir, les phrases vont trop vite, les faits tapent trop fort, trop juste, pour leur laisser le temps de la lucidité et de la réflexion.
Les mots grouillent tels les insectes de la forêt tropicale. Ils s'insinuent par le regard et piquent, mordent et digèrent les humains qu'ils trouvent sur le passage. Janalice n'a, somme toute, rien de répréhensible à se reprocher, elle n'est qu'une victime même si elle a heurté la morale très catholique de ses parents : elle a caressé son petit ami sans savoir que celui-ci posterait les images sur les réseaux sociaux. Imprudence d'ado d'un côté, bêtise de petit macho de l'autre. C'est le battement d'aile de papillon initial, le souffle infime qui va se transformer en tourmente gigantesque et happer bien des vies. La langue, violente, bouscule, secoue, elle impose son tempo et le lecteur est obligé de suivre, sans respirer, le chaotique parcours qui va s'ensuivre. Un rythme incroyable, une immersion sans pause dans l'apocalypse qui frappe la jeune Janalice dès la première page. J'ai été éberlué par la brutalité du style, l'âpreté et la pertinence de ces ruptures incessantes, haletantes, ces rafales de mots durs et secs comme des gifles qui pleuvent sur les yeux et noient les illusions.
Pssica est un coup de vent furieux, des bourrasques qui balaient le calme du lecteur, dialogues et descriptions, éléments de récit et faits, tout est cul par-dessus tête, emporté par le verbe impétueux qui met au défi de s'y retrouver dans l'absurdité de l'enchaînement des événements. À partir de ce minuscule fait divers intime, viennent se greffer la répudiation de parents furieux, l'oncle pervers, les mauvaises fréquentations de Janalice laissée seule au monde, puis les rapaces, les kidnappeurs, violeurs, marchands d'esclaves sexuels pour pédophiles aisés. La gamine perd tout, à commencer par elle-même, son identité, sa conscience, ses certitudes. Elle n'est plus qu'un objet d'enchères, des seins, un cul, une chatte et une peau trop blanche qui va la perdre en accroissant sa valeur marchande dans un pays où la peau brune est trop commune. Jane découvrira le plaisir, au début, y prendra goût, pour en être mieux privée ensuite, les démons pervers qui président à sa destinée en ont décidé ainsi.
Commence alors un long chemin de croix, de Bélem à la Guyane, où l'adolescente va croiser, d'étape en étape, tous les vices possibles, perdre ses espoirs et sa dignité comme on se dépouille d'une mue désormais inutile. Elle passe de bras en bras, de lit en lit, de Zé à Prea et tant d'autres, tous la désirent, veulent se l'approprier. Elle devient l'axe autour duquel s'agitent des silhouettes prédatrices, s'entretuent des hommes avides. Janalice/Jane est un bouchon de liège au gré du fleuve, jouet du courant dévastateur qui l'emmène loin de sa famille et de la vie qu'elle aurait pu avoir sans cette faute originelle vénielle. Amadeu, l'ex flic suit la piste comme il peut, les rares témoignages, il n'est pas le seul. Jane est devenue la proie, elle n'a plus le droit d'avoir une volonté propre. L'enquête se transforme en quête, désabusée.
Edyr Augusto passe en revue, tout au long du périple, les maux endémiques qui rongent la région de Para, déjà décrites dans Nid de vipères. Cette zone immense de forêts et de fleuves qui conduit à la Guyane française ne connait aucune autre loi que celle du fric. C'est un chemin périlleux, peuplé de bandes armées de pillards sans pitié, suivi par des dizaines de milliers de réfugiés brésiliens attirés par l'or et les légendes colportées de vie facile une fois la frontière franchie. Ils sont régulièrement reconduits à la frontière par la gendarmerie, tout aussi régulièrement de retour. Sauf s'ils sont morts dans une des innombrables mines d'or qui parsèment la forêt.
Route de tous les trafics, traite de jeunes esclaves sexuels, extraction d'or, piratage des bateaux fluviaux, corruption des élus, de la police, de l'administration. Et la brutalité, partout, sans pitié, sans artifice, nue. Plus de morale, plus de repères, plus rien que la raison du plus fort, du fric et des armes. Janalice n'est plus rien, un jouet balloté ça et là, déclenchant le désir là où son propriétaire la pose, vidée de sa substance humaine. La belle jeune fille de naguère n'existe plus que dans l'esprits de ceux qui l'ont croisée avant sa terrible descente aux Enfers.
Pssica, c'est l'humanité réduite à son poids de viande et à sa valeur au kilo, malédiction de la misère et de l'avidité, le pourrissement des liens sociaux par l'absence de loi ou son non respect, la vie dans un état gangrené par la corruption et le délitement de la société. Un immense roman noir, la puissance dévastatrice des faits crus et drus, la futilité de l'être et sa fragilité, révélés avec un talent époustouflant par un très grand écrivain.
Notice bio
Edyr Augusto est né en 1954 à Belém. Journaliste et écrivain, il a débuté sa carrière en tant que dramaturge à la fin des années 1970. Il écrit toujours pour le théâtre et endosse parfois le rôle de metteur en scène. Edyr a également écrit des recueils de poésie et de chroniques. Belém, son premier roman, peinture noire de la métropole amazonienne, est paru au Brésil en 1998 et en France en 2013. Ont suivi Moscow, Nid de vipères et Pssica.
Très attaché à sa région, l'État du Pará, au nord du Brésil, Edyr Augusto y ancre tous ses récits.
Il a deux fils, un petit-fils, une compagne qui est actrice et deux chiens. Passionné de football, il donnerait tout pour devenir joueur professionnel.
La musique du livre
De bars en discothèques, de partouzes en boîtes à streap-tease, Pssica est baigné de musique locale aux noms singuliers.
Un vrai playlist à la fin de l'ouvrage, choisie par l'auteur lui-même, en voici quelques titres :
Sammliz – Faca
La Pupuña - Psica da Velha Chica
Felipe Cordeiro - Problema Seu
Gaby Amarantos – Gemendo
Lia Sophia - Ai menina
Natália Matos - Cio
PSSICA – Edyr Augusto – Asphalte Éditions – 138 p. février 2017
Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos