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Chronique Livre :
PURITY de Jonathan Franzen

Chronique Livre : PURITY de Jonathan Franzen sur Quatre Sans Quatre

Un petit point sur l'auteur, peut-être ?

Jonathan Franzen est un romancier, essayiste et traducteur américain, né le 17 août 1959 aux Etats-Unis. Il a écrit 5 romans, dont Freedom, paru en 2010 et que je recommande.


Or donc, Dance, de quoi ça parle-t-il donc, hum ?

Une très jeune femme, Pip, ou encore Purity, végète dans une vie ennuyeuse et frustrante entre une mère fantasque et névrosée, un travail alimentaire de démarchage téléphonique qu'elle déteste et un amour platonique pour un de ses co-locataires hélas marié. Les raisons majeures de ces difficultés matérielles sont le remboursement d'un prêt étudiant qui l'étrangle et la pauvreté de sa mère. Ensuite, bien sûr, vient la relation compliquée avec sa mère, et l'absence totale de père dont elle refuse absolument de parler. Pip pourrait vivre sans le connaître, elle s'y résoudrait sans mal, mais elle est pragmatique et se dit qu'il pourrait peut-être l'aider financièrement.

Elle est contactée par une Allemande, Annagret, qui veut la recruter pour participer au très sulfureux et secret Sunlight Project, une « centrale de divulgation de projets » créée par l'excessivement charismatique Andreas Wolf, un Allemand d'ex-Allemagne de l'Est, fils d'apparatchiks communistes.

Le roman n'est pas que l'histoire de Pip, ou plutôt il est le réceptacle de multiples histoires qui convergent vers elle. Entre secrets, mensonges et transparence, la pureté morale est un idéal à double tranchant, toxique et libératrice à la fois.


Un petit extrait, histoire de voir.

« Pip ignorait comment ne pas être hostile envers les garçons de son âge qui s'intéressaient à elle. C'était dû en partie au fait que la seule personne au monde en qui elle avait confiance était sa mère. De ses expériences au lycée et à l'université, elle avait déjà appris que plus le garçon était gentil, plus douloureux ce serait pour eux deux lorsqu'il découvrirait qu'elle était beaucoup plus perturbée que sa gentillesse à elle ne le laissait paraître. Ce qu'elle n'avait pas encore appris, c'était comment résister à quelqu'un de gentil. Les garçons pas-gentils étaient très forts pour détecter cette faiblesse et l'exploiter. Ainsi, ni les gentils ni les pas-gentils n'étaient fiables, et en plus, elle n'était pas douée pour les distinguer avant de se retrouver dans un lit avec eux.
- On pourrait peut-être prendre un café à un autre moment, dit-elle au garçon. Le matin d'un autre jour de la semaine.
- Bien sûr, acquiesça-t-il d'une manière hésitante.
- Parce que maintenant qu'on s'est parlé, on n'est plus obligés de continuer à se regarder. On peut se contenter de lire chacun son journal, comme tes parents.
- Je m'appelle Jason, au fait.
- Et moi Pip. Et maintenant qu'on sait comment on s'appelle, on a encore moins de raisons de continuer à se regarder. Je peux me dire : « Ah, ce n'est que Jason », et tu peux te dire : »Ah, ce n'est que Pip. »
Il rit. » (p. 24-25)


- Me dis rien, tu as aimé, je parie !

- Gagné. Touchée et amusée, intriguée, surprise, émue..
- Tu n'as pas pleuré quand même !
- Presque.

Pip - oui bien sûr comme dans Les Grandes Espérances de Dickens, et l'allusion est évidemment signifiante, ne serait-ce que parce que les deux héros homonymes cherchent des parents de substitution – est une jeune femme plutôt austère, elle a du mal à se faire des amis parce qu'elle est emberlificotée dans tout un tas de dilemmes moraux et de débats intérieurs, elle ne peut pas être détendue et juste jouir de l'instant présent. Elle a le courage et l'audace des timides et des introvertis, la scène où elle entreprend de séduire un homme marié qu'elle désire ardemment en est la preuve, et la rectitude morale d'un anachorète. Elle n'a aucune illusion sur elle-même et manie l'humour et l'ironie avec finesse et intelligence.

Elle a une mère qui suffit à lui faire passer le goût de toutes les amitiés du monde, une adulte au cœur d'enfant, qui vit dans un dénuement qu'elle s'impose, seule et incapable de tisser des relations satisfaisantes avec les autres. Ce n'est pas l'amour qui lui manque, Pip est son univers tout entier. C'est justement ça, le problème de Pip. Il n'y a pas de place pour le père dont elle veut faire la connaissance en grande partie avec l'espoir de se sortir d'un embarras financier qui pèse très lourd sur sa vie et l'empêche de vivre ainsi qu'elle le souhaite. Mais sa mère refuse obstinément de faire quoi que ce soit pour l'aider. Elle a choisi l'austérité totale, la pureté de la pauvreté et du dénuement volontaire et elle entend bien que sa fille s'y soumette aussi.

Pip est donc pauvre, sans amis, sans amant, souffrant d'un travail qu'elle déteste et dont elle perce sans mal l'hypocrisie commerciale. Elle est amoureuse d'un type très marié et elle vit en co-location dans une maison délabrée qui appartient à grand-peine à Dreyfuss, un schizophrène gentil complètement incapable de faire face à la réalité et en particulier à ses ennuis d'argent. Là, elle rencontre Annagret qui réussit à la convaincre de postuler pour travailler en Bolivie dans le cadre du Sunlight Project, avec Andreas Wolf, sorte de Julien Assange ou d'Edward Snowden, qui a décidé de révéler les secrets des puissants au grand jour. Andreas est adulé, il est précédé d'une réputation de charmeur et de séducteur qui hérisse Pip, évidemment. Elle est bien décidée à lui être hostile a priori, parce que ce serait trop facile de ne pas l'être.

Malgré tout, intégrer Sunlight Project lui permettrait de gagner sa vie d'une façon plus substantielle pour un travail qui lui répugnerait moins et surtout de dénicher son père grâce aux moyens de recherche sophistiqués dont disposent Andreas et ses collaborateurs. Elle en fait d'ailleurs une des conditions pour accepter l'embauche et Andreas le lui promet.

Mais les choses ne vont pas se passer comme elle l'avait prévu, pas du tout, même et, de la Bolivie, la voilà qui va revenir aux États-Unis pour travailler à Denver dans un journal d'investigation, aux côtés de Leila Herou et de Tom Aberant, dont elle va devenir proche, trop proche. Pip, pour une fois, baisse la garde. C'est un jeu dangereux.

Si tous les chemins mènent à Pip, ils sont cependant tortueux et complexes. Le roman, comme un roman familial, revient aux sources des événements, c'est-à-dire à la matrice familiale.

La famille d'Andreas, en RDA, aurait dû faire de lui un bon élément communiste, étant donné la position élevée de son père dans la hiérarchie nationale. Mais ses relations avec sa mère, presqu'incestueuses, et sa propre détestation de l'hypocrisie du couple formé par ses parents, ainsi que du régime est-allemand, les deux entités étant implicitement comparées, le poussent à se rebeller. Il devient un hors-la-loi, luttant souterrainement contre le régime de l'Allemagne de l'Est, couchant avec le maximum de jeunes filles consentantes qui le vénèrent, mais protégé par le statut de ses parents qui peuvent agir pour le protéger à distance. Une fois le mur tombé, Andreas commence par mettre la main sur son dossier à la Stasi et entame la carrière qu'on lui connaît de révélateur de gros secrets politiques et industriels. Mais pour obtenir la vérité des gens, il faut un art consommé du mensonge, c'est bien connu.

L'autre fil qui se noue à ceux de Pip et d'Andreas est celui de Tom. Né d'une mère allemande et d'un père américain, Tom a été marié à une femme fantasque, fille d'un père extrêmement riche, artiste et névrosée. Il a vécu dix ans avec elle, dix ans d'un amour absolu, intense, à nul autre pareil, quelque chose qui a fait que son moi s'est dissout en elle, lui permettant de faire cette expérience humaine amoureuse unique, merveilleuse et mortifère de devenir entièrement l'autre, de quitter son propre moi pour être absorbé par celui de l'autre et ne former qu'un.
Tom a également, par hasard, fait la connaissance d'Andreas quand il n'était qu'à l'aube de sa célébrité, et forge avec lui une relation intense, brève certes mais lourde de conséquences.

« - Je me souviens d'un endroit, dit-elle. Une laiterie qui s'appelait la laiterie Moonglow, près de là où j'habitais quand j'étais petite. Je suppose que c'était une vraie laiterie parce qu'ils avaient beaucoup de vaches, mais ce n'était pas en vendant du lait qu'ils gagnaient vraiment leur argent. C'était en vendant du fumier de qualité supérieur à des paysans bio. C'était une fabrique de merde qui se faisait passer pour une fabrique de lait.
Andreas sourit.
- Je n'aime pas le chemin que prend votre histoire.
- Eh bien, vous prétendez promouvoir le journalisme citoyen. Votre commerce est soi-disant la révélation de scandales. Mais est-ce que ce ne serait pas plutôt...
- Le fumier de vache ?
- J'allais dire la gloire et l'adulation. Le produit, c'est vous. »

Très intelligemment, le roman nous amène sans cesse à nous interroger sur le secret et la transparence, le mal et la pureté, la moralité et la criminalité. Dans son combat contre le secret, Andreas devient un mythe, un symbole qui lui donne le pouvoir d'agir pour son propre compte, s'il le souhaite, mal, s'il le souhaite. Exposer les autres nécessite le secret pour soi-même, dénoncer l'illégalité demande qu'on agisse soi-même en marge de la loi. De même, Annabel, l'ex femme de Tom réclame la transparence totale et permanente des motivations et de chaque sentiment de Tom, ils passent des heures à débattre pour que ne subsiste pas la moindre ombre entre eux, rien qui viendrait ternir cette passion d'être absolument honnête et vrai l'un pour l'autre. Mais, ce faisant, le bonheur et la joie de s'aimer fuient le couple qui s'abîme peu à peu dans des journées d'arguties féroces et exténuantes qui déshabillent l'amour de tout ce qui ressemble à du plaisir et de l'insouciance heureuse.

Annabel refuse également d'accepter l'argent de son père, parce que celui-ci lui semble coupable d'avoir provoqué la mort accidentelle de sa mère, dépressive et alcoolique, mais aussi parce qu'il possède des usines qui fabriquent de la nourriture à base de chair animale. Exclusivement végétarienne, cette source d'argent lui semble teintée de sang et donc irrecevable pour elle. Elle préfère s'en priver que d'avoir le sentiment de participer même de très loin à ce qu'elle condamne. C'est elle qu'elle condamne, drapée dans sa vertu morale, à une vie insatisfaisante faite de renoncements et de difficultés matérielles.

Chaque personnage porte sa part d'ombre et de secrets, tout en réclamant la transparence totale pour les autres : Annabel, bien sûr, mais Tom aussi qui est journaliste et Andreas, avec Sunlight Project, ce qui exacerbe le désir de vérité, bien entendu. Le monde débarrassé de tout mensonge est un leurre, une folle chimère séductrice et destructrice bien sûr, un désir d'absolu mortifère.
Mais si la surexposition brûle et dévoile, le secret, lui, peut tuer ceux qu'ils lient.


Et la musique, Dance ?

On n'écoute pas tant de musique que ça, mais on danse au moins une fois sur Train - Hey Soul Sister.


PURITY - Jonathan Franzen - Éditions de l'Olivier - collections Points - 826 p. 2016
traduit de l'anglais ( États-Unis.) par Olivier Deparis

photo : point de passage entre Berlin-Ouest et Berlin-Est ( Pixabay)

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