Chronique Livre :
SÉCURITÉ RENFORCÉE de Sean Doolittle

Publié par Psycho-Pat le 02/03/2016
Illustration : détail de la couverture
Le pitch
Paul et Sara sont universitaires, lui est professeur, elle est doyenne. Ils viennent juste de quitter Boston pour s'installer dans la petite ville de Clark Falls dans l'Iowa. Une vraie bouffée d'air pur, pensent-ils, la tranquillité, de l'espace, la sécurité, un environnement idéal pour éduquer les enfants qu'ils désirent. Le tableau s'obscurcit très rapidement puisque Sara est agressée dans sa chambre par un supposé cambrioleur le soir de leur déménagement. Le voisinage se montre particulièrement solidaire dans cette épreuve, à commencer par Roger Mallory qui dirige une sorte de milice locale de prévention de la délinquance.
Roger est un ancien flic, profondément blessé par la mort de son fils, tué par un rôdeur. Malgré ses réticences éthique, Paul se laisse convaincre de participer aux rondes nocturnes et à la surveillance des alentours, sa femme et lui souhaitent s'intégrer et adopter les us locaux. Il découvre rapidement de très troublants détails qui le font frémir et que le très (trop?) sympathique Roger joue au petit Big Brother local, entrant sans limite dans la vie privée de ses voisins. L'atmosphère du quartier est irrespirable, la sécurité rêvée devient un cauchemar.
Paul et Roger ne vont pas être amis longtemps. L'affrontement est inévitable, le prof, armé de sa morale et de ses valeurs, va devoir lutter contre un ancien flic, particulièrement retors, qui connait absolument tout sur tout le monde. Un duel sans aucune pitié où tous les coups sont permis...
L'extrait
« Notre aventure fit l'ouverture du journal local sur New Five Clark Falls. Je regardai le bulletin d'information avec Sara, assis dans le lit. À la vue de ma première apparition à la télévision – en raton laveur borgne aveuglé par les phares d'une voiture – elle eut un petit rire, me tapota la jambe par-dessus la couverture et dit : « Désolée, je t'en voulais encore.
- J'ai pensé par la suite que j'aurais dû venir à la réunion.
- Oui, mais dans ce cas, tu ne serais pas passé à la télé. »
On ne se disputait plus à ce moment-là, on avait compris pourquoi une effraction dans le quartier de Roger Mallory était un angle formidable.
Il se trouvait que Roger Mallory n'était pas seulement le président de l'association du quartier de Ponca Heights, il était aussi le directeur de l'organisation Sécurité renforcée, un système de patrouilles de citoyens volontaires qui couvraient toute la ville et qu'il avait lui-même créé cinq and auparavant. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Sécurité Renforcée ou comment transformer un très joli quartier tranquille d'une petite ville en un camp retranché à l'ambiance glauque, presque poisseuse. La paranoïa s'est abattue sur la zone le jour de la disparition du fils de Roger, elle n'aura de cesse de tout contrôler. Même si le scénario est prévisible, l'auteur sait distiller avec parcimonie ses indices, rester dans le trouble et le non-dit pour qu'on se prenne au jeu du doute. Et si ? Et pourquoi pas ? Même si Roger est envahissant, ce n'est pas pour ça que Paul n'a pas... Soupçons et incertitude à toutes les étapes du scénario.
L'intrigue est d'une actualité brûlante, faut-il renier ses idéaux de liberté au profit d'une possible sécurité assurée ? Jusqu'où se dédire ? Doolittle explore les limites des milices, ces entités sans contrôle qui portent en elles, dès leur constitution, la potentialité d'un fascisme qui ne demande qu'à s'exprimer avec toutes les meilleures raisons possibles. Voyons, si l'on a rien à cacher, pourquoi craindre d'être épié, surveillé, mis en dossier ? Pour éviter justement ce qui arrive à ce brave Paul, lui-même un instant séduit par les sirènes de l'espionnage convivial d'un Mallory serviable comme on n'en fait plus. Sûr de lui, l'autorité naturelle de l'ancien flic en bandoulière et l'assentiment de tout le voisinage, adoubé par ses anciens collègues du commissariat.
Le jeune couple est fragilisé par l'agression primale, il est loin de sa ville, de ses amis, de ses repères, va commencer un nouveau travail, c'est une proie idéale. Paul et Sara ont absolument besoin d'un peu de prise en charge. Roger s'occupe de tout. Connait tout. Règle tout. Il suffit de se laisser couler, quitte à ne plus se servir de son intelligence et de ne pas s'apercevoir qu'il faut se méfier des promesses de sérénité, qu'il n'y a pas de réponse simple à un problème complexe et qu'il est redoutablement dangereux de vouloir affronter un vrai paranoïaque sur son terrain.
L'intrigue ne se résume pas à ce pernicieux dévoiement de la notion de sécurité et à l'affrontement entre Paul et Roger. Elle est plus complexe, bien plus vénéneuse. Les rebondissements se succèdent jusqu'à la toute fin du roman et lui donnent un rythme qui swingue diablement. Doolittle soigne les relations entre ses personnages, ne les bâcle pas. Il y a un vrai fond psychologique qui nourrit le drame, qui l'ancre dans le réel et lui donne sa crédibilité. Les petites lâchetés de tous les jours, les démissions infimes qui laissent place à ceux qui veulent plus que tout imposer leur folie, ce thriller donne à réfléchir, personne ne saurait s'en plaindre sur un sujet aussi sensible.
Un livre qui démonte les mécanismes du fascisme ordinaire, celui des petits chefs, hobereaux de quartier ou de bourg qui tentent de substituer leur loi à la loi. Édifiant !
Notice bio
Auteur de six romans, dont Savemore et Rain Dogs (publiés en France en 2010 et 2011), Sean Doolittle, né en 1971, a notamment reçu le Barry Award et l'International Thriller Writers Award.
La musique du livre
Période de Noël, normal que les lieux publics passent des chansons comme Holly Jolly Christmas qui crachotent dans les enceintes du restaurant où Paul retrouve son avocat, ici par Michaël Bublé.
Une ado du quartier qui passe prendre des livres chez Paul et Sara a mis One Way Or Another de Blondie en sonnerie de portable.
Quand Paul rencontre Maya, jeune journaliste, pour passer un marché, c'est Chet Baker qui met l'ambiance avec Winter Wonderland.
Toujours question de circonstances, des jeunes entonnent O Little Town of Bethleem lors du passage de Paul. Je n'avais pas de jeunes sous la main, autant choisir Franck Sinatra...
SÉCURITÉ RENFORCÉE – Sean Doolittle – Rivages – 344 p. mars 2016
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Élie Robert-Nicoud