Chronique Livre :
SAGITTARIUS de Sébastien Raizer

Publié par Psycho-Pat le 10/03/2016
photo : La matrice (Wikipédia)
Le pitch
Pour faire connaissance avec les personnages, voir la chronique relative à L'Alignement des Équinoxes, premier opus de la série.
Meriem Dought, alias La Vipère, est mort depuis neuf mois déjà, depuis qu'il s'est tiré deux balles dans le crâne devant Wolf. Sa drogue neurotoxique est toujours active et perturbe Silver qui en a inhalé. Elle cherche à présent son propre alignement, s'éloignant peu à peu de son coéquipier dépité, déjà profondément marqué par la mort de Karen, rencontrée au début de l'enquête.
L'héritière spirituelle de La Vipère, Diane Lempereur, poursuit l'oeuvre de son maître et recrute de nouveaux adeptes, dont Joanna, une jeune synesthète, et travaille à sa propre équinoxe.
Un commando para-légal composé de membres de la brigade criminelle, Wolf, Silver, Marc Sommacal (Marcus) et du commissaire Lacroix continue les recherches de façon tout à fait off. Lacroix veut les stocks de neurotoxine embarqués par Diane Lempereur, Wolf pense toujours au destin tragique de Karen et veut retrouver et arrêter Diane. La chasse est ouverte, reste à savoir qui traque qui, comment et pourquoi. Personne n'est ce qu'il paraît être, tout est faux et/ou tout est vrai.
La course continue, plus hallucinante et passionnante encore, dans un univers totalement dingue qui est, singulièrement, le nôtre !
L'extrait
« Sa respiration avait peu à peu envahi tout son corps jusqu'à le dissiper. Alors, son esprit s'était mis à se déployer pour entendre les murmures de tous les mondes. Elle n'en comprenait pas encore le langage, mais elle écoutait attentivement.
Elle commençait à en percevoir les textures, les sons et les couleurs, mais elle sentait que ces territoires étaient subtils et complexes. Audibles, sensibles, mais encore assez incompréhensibles. Vivants et habités en tout cas.
Les configurations symbiotiques des dimensions physique, psychique et spirituelle étaient infinies – et en mouvement perpétuel, comme les particules atomiques, les océans, l'imagination et le cours du temps. Elle en ferait bientôt partie et elle atteindrait l'équinoxe de son alignement.
Silver expira à fond, lentement, puis elle ouvrit les yeux. Elle regarda l'eau scintiller et écouta les bruits des rives du canal de l'Ourcq. L'acier poli de la Géode du parc de la Villette absorbait la végétation, la lumière et l'environnement immédiat comme un globe terrestre réfléchissant. Des joggeurs, des marcheurs, des promeneurs, des pêcheurs, le peuple matinal d'un dimanche de novembre particulièrement doux. Les oiseaux chantaient comme au printemps. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
« I'm a street walking cheetah with a heart full of napalm. »
Après avoir frappé très fort avec L'Alignement des Équinoxe l'année dernière, Sébastien Raizer peaufine le boulot, et de très belle manière, avec Sagittarius. Dans l'absolu, il est possible de lire ce volume sans avoir lu le précédent mais ce serait réellement pécher. On n'entre pas par hasard dans un tel univers magnétique, par n'importe quelle issue, par effraction. C'est un chemin qu'il faut emprunter sans sauter une étape, arpenter tout entier pour que la cohérence soit révélée. Sous la plume de Raizer, l'improbable devient évidence, l'abstrait prégnant. Un vrai tour de force complètement maîtrisé pour qui accepte de s'embarquer sans gilet de sauvetage.
« Face au gouffre, un pas en avant »
L'Alignement a posé les personnages, décrit l'espace illimité et très particulier où se déroule l'enquête-monde. Une affaire quantique aux infinis possibles qui aboutissent, dans ce second épisode, à un affinement logique et paradoxal à la fois. Sagittarius est un polar, métaphysique, extraordinaire – littéralement -, aux méandres hallucinants mais il y a des flics, des méchants, des énigmes, des trahisons, des coups bas. Sauf que chaque personnage peut être positif ET négatif, fou ET sensé, soit une enquête peuplée de chats de Schrödinger secrets qui se gardent bien des observateurs annihilant leur ubiquité.
Sébastien Raizer réussit le tour de force de nous décrire la société dans laquelle nous vivons comme s'il s'agissait d'une invention machiavélique, un fantasme apocalyptique et paranoïaque, bref une vue de l'esprit. Il faut du temps, de l'attention - les grands romans se méritent – et accepter de quitter ses certitudes pour entrer pleinement dans son récit et se rendre à l'évidence : mais c'est chez moi !
« Si tu croises le Bouddha, tue-le »
Il convoque les mannes de Philip K. Dick, William S. Burroughs ou Mishima Yukio, déjà en filigrane dans le précédent, et y ajoute un autre William, Reich celui-là, au meilleur de sa forme et de l'actualité de sa pensée, pour une vision, non pas d'un univers baroque et imaginaire, mais de notre quotidien quand on veut bien le décrire avec les mots justes. Des gros mots d'ailleurs, comme éco-fascistes ou techno-Reich libéral, domination occulte, abandon de la souveraineté individuelle. Des vocables qui tachent et fâchent mais, finalement, tout à fait idoines dans le bordel ambiant pré énième guerre mondiale.
Sagittarius baigne dans la neurotoxine à la formule mystérieuse, délivrée par La Vipère, poison ou révélation chimique absolue mettant en danger les « systèmes » au profit de la décision individuelle ? On pourrait voir dans ce roman un monde où des robots baisent la chair à nue d'une humanité qui les a créés, impriment leurs marques dans un déferlement d'orages électriques saturant le Big Data, des poèmes de Claude Pélieu illustrés par un Moebius fou, ou, plus simplement la triste réalité d'une civilisation globale qui court à sa perte en riant parce qu'elle a oublié l'essentiel. Univers dingue ou lucidité glaçante de celui qui sait prendre le recul nécessaire...
« Je suis virtuel et vous êtes morts. »
Les équinoxes s'alignent un peu plus avec ce second volume, elles se rapprochent de l'axe parfait qui sera la révélation du projet criminel ET salvateur de La Vipère. Les protagonistes progressent sur la voie, à leur rythme, suivant leurs moyens, manipulateurs et manipulés, acteurs et spectateurs. La démonstration progresse, s'illumine par touche, par révélations-chocs et indices subtils. Les machines s'émancipent, les systèmes deviennent prétextes, l'impuissance, une excuse, qu'en est-il de l'individu ? Quel est le pouvoir d'un humain perdu au milieu du troupeau de moutons apathiques broutant les mêmes écrans d'un pâturage-média-piège, tout en rêvant d'individualisme triomphant alors que des loups invisibles décident de la couleur de l'herbe ? Y a comme un début de réponse...
Immersif, addictif, le cycle de l'alignement tient toutes ses promesses. Un biotope à la K. Dick peuplé par des personnages à la Burroughs dans un drame à la Mishima mais avec un tour de main propre à Raizer qui sait manipuler comme personne la nitroglycérine résultant de la conjonction de ces trois immenses auteurs.
Notice bio
Sébastien Raizer est né en 1969. Il est le cofondateur des Éditions du Camion Blanc, qui ont publié des cargaisons d'ouvrages sur le rock, et de la collection Camion Noir transportant une littérature plus sombre et sulfureuse. Il a publié un premier roman, Le Chien de Dédale en 1999 aux éditions Verticales et L'Alignement des Équinoxes en 2015 à la Série Noire. Il vit à Kyôto.
La musique du livre
Comme dans L'Alignement des Équinoxes, la musique est prégnante, multiple, adaptée, elle est savamment intégrée et nourrit la situation ou le personnage qui l'écoute ou l'impose. Il y a de multiples références, des heures d'écoute d'excellents groupes. Il a fallu faire un choix malheureusement, mais celui-ci vous donnera une idée des diverse ambiances du roman...
Ministry - Jesus Built My Hotrod, Ramones - Blitzkrieg Bop, Nisennenmondai - Boiler Room In Stereo, Korn - Prey For Me, Acid Bath - Paegan Love Song
SAGITTARIUS – L'alignement II – Sébastien Raizer – Série Noire/Gallimard – 482 p. mars 2016