Chronique Livre :
Satan était un ange de Karine Giebel

Publié par Psycho-Pat le 16/11/2014
Photo : montagne de déchets (Wikipédia)
L'extrait
« Aujourd'hui, alors que la nuit engloutit les paysages, il n'est plus qu'un fuyard, un fugitif qui tente d'échapper à son assassin. Il frappera, sans aucune pitié. Le rattrapera, où qu'il aille. Quoi qu'il fasse.
La mort est certaine. L'issue forcément fatale.
Ce n'est plus qu'une question de temps.
Il vient à peine de le comprendre. » (le début du voyage de François)
Le pitch
À l'aube de la cinquantaine, François Davin fuit. Il se barre, il part sans but ni raison, la mort est en lui ! Où qu'il aille, elle sera là. Patiente, arrogante, douloureuse et cynique. Riche avocat d'affaires, il conduit au hasard des routes sa BMW de luxe. Il a quitté Flo, sa compagne, son cabinet, ses clients, laissé son portable se décharger et il roule depuis Lille et son rendez-vous chez le médecin.
Il prend à bord un auto-stoppeur, Paul, une petite vingtaine d'années, sans véritable destination lui non plus. Un sac à dos pour tout bagage, une belle gueule, un air de voyou sympathique, Paul plait suffisamment à François pour qu'il lui paie le gite et le couvert au soir de cette rencontre. Le jeune routard souhaite finalement se rendre à Marseille chez un copain qui pourra l'héberger, François va l'accompagner.
Ce sera le début d'un road-movie étonnant et effrayant, François, Paul, la Mort et quelques autres voyageurs peu recommandables...
L'avis de Quatre Sans Quatre
Ceux qui attendaient du Giebel vont être déçus. Et ils auront tort ! Certes, Satan était un ange est loin des thèmes de Meurtres pour rédemption ou du Purgatoire des innocents, et encore, une analyse poussée permettrait de retrouver une récurrence des obsessions de l'auteur. Cessons de demander aux artistes de refaire indéfiniment ce que nous avons aimé précédemment, ils existent pour créer, pas pour dupliquer ou complaire.
La première partie de ce roman pourrait être l'autobiographie de chaque humain de cette planète. La mienne aussi donc et je me la suis appropriée aisément tant la description des angoisses et peurs de François sont limpides. La mort, que nous savons tapie en nous, que nous sentons rôder, qui devient plus prégnante à l'occasion d'un diagnostic, qui tourne autour de nous au rythme lancinant de l'horloge dont « les aiguilles hachent un pâté d'heure empoisonné » comme l'écrivait Léo Malet, qui rêver de mieux comme assassin ?
Impossible d'échapper à l'évocation du récit de ce Prince qui, sa mort annoncée, fuit à Samarkhand où la Faucheuse l'attend, fidèle au rendez-vous, c'était précisément là qu'ils devaient se rejoindre ! Et cette rencontre, fruit du hasard et de l'inattendu, entre François et Paul ! Cette relation inenvisageable quelques jours auparavant, qui devient une raison de vivre intensément ces derniers instants qu'ils pourront y consacrer, accrochés l'un à l'autre comme à une bouée de sauvetage sur une mer démontée. La fin est là, autant mettre un brin de folie dans ce qui reste à être.
Pour le reste de l'intrigue, Karine Giebel, sans doute en colère, met sur la table le rôle de chacun, la hiérarchie des responsabilité dans le salopage intégral de la planète auquel nous assistons tous les jours. Pensant que les autres n'ont qu'à faire quelques efforts, envoyant au loin nos déchets de bons vivants, les yeux fixés sur la courbe de la croissance qui guérira nos maux et nos crises.
Loin d'inventer je ne sais quelle entité obscure, quelque diable malintentionné, Seigneur du mal sur notre terre, elle pointe du doigt, en humaine en colère, notre insouciance coupable et les abus effrayants d'un système complètement corrompu censé apporter le bien-être. Un système productif qui élimine plus efficacement ses détracteurs que ses montagnes d'immondices toxiques. Un monde où les assassins peuvent aussi être des victimes, où tout est à vendre puisqu'il y a des acheteurs, où le fric remplace la pensée.
Un beau et puissant roman, un thriller humain, fort, remarquablement mené, qui mêle l'intime de la mort de l'individu et la dénonciation plus globale des dysfonctionnements d'une société de l'information et du pognon où l'on peut assassiner des journalistes sans faire de vague et sans bruit
Notice bio
Karine Giebel est née en 1971 à La Seyne-sur-Mer. Titulaire d'une licence en droit, elle est actuellement juriste dans la fonction publique territoriale et s'occupe des marchés publics dans une collectivité d'agglomération. Elle a publié son premier roman en 2004, Terminus Elicius dans la collection Rail Noir. Ses livres ont remporté de nombreuses distinctions et ont été traduits dans de nombreux pays. Satan était un ange est son huitième thriller.
La musique du livre
Souvent évoquée au cours du récit, la musique n'est malheureusement pas identifiée, sauf le Requiem de Mozart, je vous propose le Lacrimosa parce qu'on pleure beaucoup dans ce thriller et qu'il est splendide.
Comme Baudelaire et ses Fleurs du Mal ont inspiré les musiciens, je vous propose donc le magnifique Spleen de Léo Ferré et L'horloge interprétée par Mylène Farmer et ne peut que vous recommander de lire, relire et relire encore ce merveilleux recueil.
Satan était un ange – Karine Giebel – Fleuve noir – 333 p. novembre 2014