Chronique Livre :
SEPT JOURS AVANT LA NUIT de Guy-Philippe Goldstein

Publié par Psycho-Pat le 28/11/2017
Le pitch
Julia O'Brien, officier supérieur du renseignement américain, était retenue captive en Russie. Les forces spéciales la libèrent – pour la replonger immédiatement dans une mission d'importance cruciale. Grâce à une opération de piratage informatique inédite, un groupe d'extrême droite hindou, inconnu jusqu'ici, a réussi à duper le gouvernement indien.
Les terroristes ont dérobé dans les stocks de l'État de l'uranium enrichi, nécessaire à la fabrication d'armes atomiques. Ils menacent désormais une grande ville d'un châtiment divin. Laquelle est visée – New York, Londres, Hong Kong? Quand l'engin nucléaire va-t-il exploser?
Dans un périple qui la mènera de Londres à Mumbai en passant par l'Arabie saoudite, par-delà la colère qui déborde dans la rue et sur tous les réseaux sociaux, Julia comprend que ni l'Amérique ni aucune autre nation, ne peut sortir indemne de l'apocalypse qui arrive : en réalité, il ne reste plus que sept jours avant que la Nuit ne s'abatte sur notre planète.
L’extrait
« Nous nous regardons en silence. Pas besoin de m’expliquer ce que cela veut dire. Récupérer de l’uranium enrichi, c’est faire la plus grosse partie du chemin pour fabriquer un engin nucléaire improvisé. Je viens de comprendre pourquoi tout le monde a été mobilisé sur le pont, y compris des anciens agents comme moi de la division de la contre-prolifération. La boîte de Pandore vient d’être ouverte. Impossible de ne pas sombrer un instant dans le vertige de ce que tout cela veut dire pour Paul, pour moi - et pour des milliards d’autres êtres qui ne peuvent savoir que c’est leur existence même qui se retrouve depuis cet instant dans la balance. J’envie leur ignorance.
« Quel est ce groupe d'extrême-droite, le Trishul Bharat Mata ?... Nous en savons plus sur eux, Paul ? »
À sa moue désemparée, j’ai compris que Paul n’a pas plus de réponses que moi.
« Le Trishul est une société secrète dans la nébuleuse des mouvements Hindutva de la droite nationaliste radicale indienne. Elle aurait émergé récemment, il y a moins de trois ans, dans le contexte de la crise industrielle et agricole, et en réaction à la vague d’attentats coordonnés des radicaux islamistes du Lashkar-e-Taiba dans le métro de Surat et Mumbai… Des membres gravitant dans son réseau ont participé aux violences communautaires contre les églises locales, les tribus animistes nouvellement converties, et certains évangélistes américains et australiens… Mais nous ne connaissons pas les dirigeants. Nous n’avons identifié ni cellules opérationnelles ni réseaux de support. Nous ne savons pas s’il y a des donneurs d’ordre ni même si des États-nations soutiennent, financent ou manipulent. »
Nous ne savons rien. » (p. 38-39)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Apocalypse (presque) now...
Quand vous entrez dans ce roman, il ne reste que 7 jours avant que la nuit définitive, l’hiver nucléaire, ne s’abatte sur toute l’humanité. À force de jouer aux cons, ça devait arriver. Autant vous dire que ça urge, surtout que Bruce Willis est absent et que les dingues du sous-continent indien qui tripotent de l’uranium comme si c’était du simple glyphosate ne plaisantent pas du tout.
Jusque-là, pour moi, l’Inde, ce sont les Sâdhus couverts de cendres, des gens qui se baignent par milliers dans la flotte plus que légèrement très dégueu du Gange, des bûchers funéraires au bois de santal et des prières à des innombrables Dieux qui ressemblent à des éléphants ou à des actrices de Bollywood, mais avec six bras. Bien sûr, je découvre aussi parfois, comme vous, quelques convulsions du côté du Cachemire ou attentats et pogroms, islamistes ou hindouistes, ici et là, mais c’est loin, voilà toute l’affaire. Quand ce n’est pas juste à côté, c’est moins dangereux, se dit-on. On a déjà nos cinglés de proximité, on peut pas tout faire. Et voilà Guy-Philippe Goldstein pour me prouver que “loin” est une notion dépassée. Désormais tout est proche et le battement d’ailes d’un papillon du Pendjab ou de la pampa met de moins en moins de temps à créer un chaos indescriptible dans ma cour.
Il faut croire que le premier ministre indien n’est pas assez nationaliste et réactionnaire, puisqu’un groupe ultra nationaliste bidouille une ou des bombes sales avec l’intention de faire régner la terreur au sein des grandes métropoles. Le but avoué ? Redonner sa grandeur à l’Inde - genre Make India great again - humiliée par les différents pays coloniaux qui se sont succédés sur son sol et toujours en conflit plus ou moins larvé avec le Pakistan, musulman depuis l’indépendance de celui-ci. Tous les grands enjeux géostratégiques actuels sont décrits avec précision dans ce thriller, le plateau d’échec planétaire y est disséqué pièce par pièce nous faisant prendre conscience du tonneau de poudre sur lequel chacun d’entre nous est assis.
La parano générale ambiante des différents dirigeants étant ce qu’elle est - nous sommes quelques années après aujourd’hui et les progrès technologiques ont encore franchi quelques pas dans la confiscation de toute vie privée -, il y a de fortes chances que ce chantage terroriste dégénère en un conflit global par le biais de représailles et d’escalade. Chaque nation nucléaire soupçonne l’autre de manipuler à des fins personnelles les illuminés prêts à allumer la mèche. Toutes les agences de renseignements sont sur les dents et les armées le plus évoluées franchissent de minute en minute les ultimes barrières menant à l’holocauste final. Tout se passe comme si les politiques au pouvoir ne voulaient pas laisser à la planète le privilège de se débarrasser de ce parasite d’espèce humaine qui la martyrise depuis tant d’années par la surexploitation et ses rejets méphitiques, ultime orgueil...
Guy-Philippe Goldstein a mis le doigt sur LA faille d’un système qui se pense à peu près stable, le grain de sable qui va gripper toute la mécanique sophistiquée de l’équilibre de la terreur nucléaire. Un grain de sable en forme de groupe terroriste n’ayant pas de population à protéger, pas d’intérêts économiques, pas de territoires, rien à perdre, que le pouvoir à prendre, la prédation suprême du psychopathe dénué de toute empathie, séduisant ses adeptes par un embrouillaminis de religiosité intégriste et de revanche sur un passé revisité si besoin. En Inde, comme partout où ils sont passés, les Anglais ont laissé des bombes à retardement ethniques et politiques, dont nombre des guerres actuelles ne sont que les conséquences. Comme tous les peuples ont connu des périodes tragiques, les candidats à la vengeance finale ne manquent pas. Ici, ce sera l’Inde et son turbulent voisin pakistanais, ce pourrait être ailleurs, n’en déduisez pas qu’il faille détruire le sous-continent par mesure prophylactique.
Tout au long des presque 650 pages du roman, dans un suspense hallucinant, le lecteur suit pas à pas l’engrenage diabolique qui se met en place. La théorie des dominos grandeur nature qui va faire basculer le monde dans le néant. Dans le sillage de Julia O’Brien, agent secret américain, et de Gaveshan Jain Shah, haut responsable pakistanais du renseignement, il va parcourir le globe, de La Mecque à Mombai ou Londres, sur la piste du mystérieux groupe ultra nationaliste hindouiste Trishul Bharat Mata dont le leader spirituel est assassiné dans un attentat dès la première page. Les terroristes sont loin d’être les seuls dangers dont les héros du récit doivent prendre garde, les chefs d’État méfiants ou carrément incapables, les religieux de tout bord, les excités manipulateurs, la peur panique et la déraison sont autant de bidons d’essence prêts à se déverser sur le feu déjà allumé. La course contre la mort et la montre sera maintes fois ralentie par les atermoiements, les hésitations, la bêtise des politiques désemparés devant un scénario que nul n’a imaginé. Chaque avancée est arrachée de haute lutte, contrariée par un rebondissement effroyable ou l’implacable écoulement du temps. Je vous défie de lâcher ce livre avant d’en connaître la fin, c’est impossible.
En plus du thriller pur, de l’action frénétique et toujours sur le fil du rasoir, de longs passages nous livrent des réflexions pertinentes, principalement de Gaveshan Jain Shah, sur ce qui a amené l’homme à se trouver dans cette situation, ce qu’il n’a pas su faire pour dépasser ses instincts de prédateur absolu, pour finalement se positionner seul au bord du gouffre qui va l’avaler définitivement.
Bien sûr, Sept jours avant la nuit est un formidable roman à suspense, un page turner dingue qui vous tient en haleine de la première à la dernière page, actionnant toutes vos terreurs les plus profondes, incluant l’intelligence artificielle, les extraordinaires progrès technologiques aux angoisses et instincts primitifs de l’humain, mais c’est également une vraie et profonde réflexion sur l’absurdité de nos civilisations qui n’ont jamais su dépasser une vision tribale des relations. Dans les fameuses querelles de chapelles, l’auteur nous montre que ces chapelles ne sont que les vecteurs de la soif de pouvoir de quelques individus dénués d’empathie, prêts à tout pour obtenir le pouvoir et les femelles qui vont avec. On comprend pourquoi toutes ces sectes et mouvements s’en prennent en premier lieu aux femmes et excitent les instincts les plus primaires pour fidéliser leurs adeptes. Désigner un ennemi, nommer une cause plus grande que l’individu lui-même afin qu’il accepte de donner sa vie pour la voir triompher, du basique dont on peut constater les effets quotidiennement, ce qui rend le scénario totalement crédible et diablement efficace.
Mégatonnes de TNT, informations globalisées, équilibre de la terreur, infiltration des réseaux, surveillance généralisée impuissante à arrêter un commando déterminé, voilà le grand paradoxe du roman, la faille critique du logiciel “humanité”, toute sa technologie, toutes ses armées ne peuvent assurer sa sécurité tant que ne règnent pas des sentiments tout bêtes, gratuits, vecteurs de progrès communs : la confiance, la coopération, l’entraide.
En attendant, le monde tel qu’il est laisse la place à de très grands thrillers comme Sept jours avant la nuit, édifiant, magistralement construit, fort bien écrit, définitivement flippant !
Dépêchez-vous de le lire, vous n'avez peut-être plus qu'une semaine pour cela et vous ne le savez pas...
Notice bio
Analyste des questions de stratégie et de cyberdéfense, Guy-Philippe Goldstein poursuit la description commencée avec son précédent roman, Babel Minute Zéro (Editions Denoël, 2007 ; Folio Policier n° 578), des réincarnations modernes du démon nucléaire de la Seconde Guerre mondiale. À la croisée des changements géopolitiques et des risques informatiques.
La musique du livre
Chapti Bhari Chokha
Sting - Englishman in New York
Vande Matarama (Hymne de le république de l'Inde)
SEPT JOURS AVANT LA NUIT - Guy-Philippe Goldstein - Éditions Gallimard - collection Série Noire - 645 p. novembre 2017
photo : Pixabay