Chronique Livre :
SOLEIL DE NUIT de Jo Nesbo

Publié par Psycho-Pat le 05/04/2016
photo : minuit pile à Longyearbyen (Wikipédia)
Le pitch
Un autocar s'arrête à Kasund, un petit village du Finnmarksvida, la province la plus au nord de la Norvège. Le soleil brille au milieu de la nuit et Jon Hansen pense être parvenu au bout de son chemin. Il fuit.
Ancien recouvreur de dettes pour Le Pêcheur, le plus gros trafiquant de drogue d'Oslo, il a tapé dans la caisse et dans la marchandise pour pouvoir payer un traitement de la dernière chance à sa fillette atteinte de leucémie. Mais la dernière chance était déjà passée... Il n'a plus rien ni personne, juste la mort aux trousses.
« rien n'est pire qu'une balle dont on ne sait pas quand elle va arriver »
À Kasund, il va trouver un monde miniature où le soleil ne se couche jamais, peuplé de personnages pittoresques, un monde où tout se sait, où, peut-être, tout est possible. Il y croise Léa, la bedeau de l'église locale, dont le mari a disparu en mer et son fils Knut, un gentil lutin farceur qui aime les blagues.
Pourtant le danger est toujours là, rôdant, le Pêcheur ne pardonne jamais...
L'extrait
« Je descendis de l'autocar au milieu de la nuit. Plissai les paupières face au soleil. Il lambinait au nord, au-dessus d'une île. Rouge, éteint. Comme moi. Derrière lui, encore de l'eau. Et ensuite, le pôle Nord. Peut-être était-ce là un lieu où il ne me trouverait pas.
Je regardai autour de moi. Dans les trois autres directions descendaient vers moi des collines basses. Bruyères rouges et vertes, rochers et deux ou trois bouquets de petits bouleaux. À l'est, le continent, rocheux et plat, s'écoulait dans la mer ; au sud-ouest il semblait tranché au couperet là où commençait les flots. Environ cent mètres au-dessus de la mer d'huile naissait un plateau, un paysage ouvert qui s'étirait vers l'intérieur. Le Finnmarksvidda. Le trait, comme disait mon grand-père, s'arrêtait là.
Le chemin de terre menait à un groupe de maison. La seule chose qui dépassait un tant soit peu était le clocher de l'église. Je m'étais réveillé sur mon siège au moment où nous dépassions, à côté d'un ponton de bois, un panneau avec l'inscription KASUND. J'avais pensé « pourquoi pas » et tiré sur le cordon au-dessus de la fenêtre pour allumer le signal d'arrêt au-dessus du chauffeur. »
L'avis de Quatre Sans Quatre
Soleil de Nuit est dans le droit fil de Du Sang sur la Glace paru l'année dernière dans La Série Noire et déjà remarquablement traduit par Céline Romand-Monnier : un mélodrame bénéficiant du talent de Nesbo explorant les arcanes de la rédemption et des amours de rencontres improbables. Cette série de livres, courts mais passionnants, montre une autre facette de l'auteur du célébrissime Harry Hole, moins ténébreuse, plus intime. Le Pêcheur, sorte d'âme du mal en personnage récurrent, qui a bien du mal avec ses employés, figure l'épée de Damoclès qui oblige aussi bien Olav, le tueur de Du Sang sur la Glace, que Jon à renier ce qui faisait leurs vies pour s'adapter à leurs choix.
Mélodrame, plutôt que polar, parce que Nesbo n'hésite pas à sortir les grands sentiments, sans toutefois les enrober de guimauve, ne vous y trompez pas, ce récit n'est pas une bluette. Il raconte une belle histoire, une manière de conte violent, et il le fait superbement bien. Loin des bas-fonds d'Oslo, des toxicos et de la corruption qui font le pain quotidien de Harry Hole, Nesbo nous livre une fantaisie presque exotique, noire, champêtre, loin de tout mais proche de l'humain dans toutes ses dimensions.
Le lecteur vit l'évolution de Jon qui devient Ulf, qui voit de l'espoir là où il n'y en avait plus, des signes qu'il n'aurait peut-être pas remarqués avant. La menace des tueurs du Pêcheur est là, prégnante, d'autant plus forte qu'elle n'est pas palpable. Elle peut frapper à n'importe quel moment et modifie considérablement l'état d'esprit du héros et son comportement. La seule présence de Jon dans le village va, elle aussi, influer sur les destins des habitants. Tout un réseau d'influences et de réactions se met en branle et produit des carambolages de culture et de personnalités, plus ou moins agréables, mais riches en surprises et en sens caché. Ulf/Jon évolue dans cet univers étrange où le soleil permanent brouille tous les repères et permet à toutes les fantaisies du destin de se réaliser.
Jo Nesbo fait vivre son microcosme polaire avec beaucoup de maestria. Jon et Léa sont concitoyens mais ne vivent pas dans la même réalité. La fille de pasteur d'une secte protestante et l'athée de la capitale, difficile de les réunir sans l'espiègle Knut et ces battements d'ailes de papillon qui changent les destinées en bouleversant les existences. Malmené par la vie, en échec dans sa quête désespérée de sauver sa fille, pourchassé par son boss, Jon arrive au bout de ce qui était sa trajectoire et va devoir décider d'en terminer ou de prendre un autre chemin.
Notice bio
Né à Oslo en 1960, Jo Nesbo a tout d'abord été journaliste économique avant de devenir auteur-compositeur-interprète du groupe de musique pop norvégien Di Derre très connu de 1993 à 1998. Il publie son premier roman et premier tome des aventures de Harry Hole, L'Homme Chauve-Souris en 1997 et obtient son premier grand succès en tant qu'auteur. Souvent comparé à Michael Connelly et son Harry Bosch, il est moins politiquement correct et Harry Hole dépasse souvent la ligne jaune aussi bien dans son métier que dans sa vie. Martin Scorsese devrait réaliser une adaptation cinématographique du Bonhomme de Neige (Série Noire Gallimard 2008). POLICE, toujours dans La Série Noire/Gallimard, le dernier opus des aventures de Hole fut un immense succès en 2014. Tout comme Du Sang sur la Glace paru en 2015 (Série Noire), tout comme Le Fils, toujours à la Série Noire, en fin d'année dernière.
La musique du livre
Une playlist à la Nesbo, pas mal de titres et de bons musiciens, à commencer dès la première page par une allusion au Grateful Dead, j'ai choisi Friend of The Devil. Plus loin, Ulf chante She Loves You de Beatles au petit Knut.
The Times They Are A Changin' dans un vieux souvenir de Jon où il entend chanter Bob Dylan. Une de ses chanteuses préférée, Monica Zetterlund, qui est « l'amoureuse » imaginée du héros, il raconte une histoire tirée de Sakat Vi Ga Genom Stan.
Pour finir Jon emmène Léa au restaurant, de la musique d'ambiance, Congratulations de Cliff Richard.
SOLEIL DE NUIT – Jo Nesbo – Série Noire/Gallimard – 219 p. mars 2016
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier