Chronique Livre :
SOMB de Max Monnehay

Publié par Psycho-Pat le 25/03/2020
Quatre Sans… Quatrième de couv…
Victor Caranne est psychologue en milieu carcéral. Chaque jour il emprunte à moto le long pont qui relie le continent à l’île de Ré pour rejoindre la Citadelle, fortification reconvertie en prison.
Chaque jour il écoute des détenus lui confier leurs fantasmes les plus abjects, leurs crimes les plus atroces. Ils n’ont rien à craindre : les menottes de Caranne se nomment secret professionnel.
La découverte d’un corps, sur la grève d’une plage proche de sa villa, va soudain bouleverser sa vie. C’est, pour lui, une perte immense. Caranne va devoir replonger dans un passé qu’il faisait tout pour oublier.
Et les certitudes qu'il avait sur sa vie vont, une à une, s’effondrer.
L’extrait
« On vint me prévenir que mon patient suivant était à l’infirmerie. Apparemment, il avait tenté de faucher un paquet de Chesterfield à un détenu fraîchement débarqué. La Guigne, de son surnom, n’avait malheureusement pas choisi la bonne cible et s’était fait plier le bras gauche dans le mauvais sens. Deux fois. Et bien sûr, la Guigne était gaucher.
« C’est terrible, cette poisse, hein ? » me lança le gardien avec un sérieux feint.
Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire.
La Guigne était devenu une blague entre matons. Entre détenus, aussi. Le genre qui vous fait oublier que la Guigne a un nom. Une famille. Une existence. Le genre qui vous masque un fait important : c’est un homme. La Guigne n’était plus, dans l’esprit de tout un chacun, qu’un catalogue de tuiles, une liste sans fin de coups du sort plus invraisemblables les uns que les autres. Il portait son sobriquet comme Elvis le perfecto : divinement.
La plus marquante de ses déveines circulait dans la prison comme un joint dans une fête étudiante : chaque nouvelle tête y avait droit. Un soir, alors qu’il rentrait d’un cambriolage, il avait croisé dans une rue déserte une vieille dame accompagnée d’un caniche et braqué sous son nez le canon du colt qu’il venait de ramasser derrière la vitrine poussiéreuse d’un buffet Louis Philippe. L’arme était une telle antiquité qu’il ne lui était pas venu à l’idée qu’elle puisse être en état de marche. Ou même chargée. Alors que la Guigne avait dérapé dans la merde fraîche tout juste démoulée par Fanfreluche, le coup était parti et la balle était allée se loger pile entre les deux yeux de la vieille dame. La Guigne avait pris ses jambes à son cou – j’ignore pourquoi, mais quand vous parlez d’un type qui s’appelle la Guigne, tout de suite vous viennent en tête des expressions vieillottes comme prendre ses jambes à son cou – mais, comble de malchance, un témoin à la mémoire prodigieuse avait assisté à la scène. Le portrait-robot que fit le portraitiste de la police avait l’air d’une photo. On le retrouva très vite. » (p. 39-40)
L’avis de Quatre Sans Quatre
Victor Caranne est un homme heureux. Il aime son métier de psychologue carcéral, habite dans un cadre idyllique, entre La Rochelle et l’île de Ré, et vit une liaison amoureuse passionnée avec Julia. Grande ombre au tableau : Julia est l’épouse de son meilleur ami, Jonas Somb. Victor et Jonas sont soudés, toujours là l’un pour l’autre depuis l’enfance, mais l’amour que Julia et lui se porte a été plus fort que tout et depuis un an, les deux amants se voient régulièrement en cachette, aidés en cela par la profession de reporter de la jeune femme qui l’oblige à de fréquentes absences.
Le monde de Victor s’écroule lorsque le cadavre de Julia est découvert en bas d’une falaise, au lendemain d’une de leurs nuits ensemble. Caranne comprend vite que le secret ne va pas pouvoir durer éternellement, qu’il va devoir, en plus de faire face à son terrible deuil, avouer à son ami sa trahison… et devenir, peut-être, le suspect numéro un des flics.
Très investi dans son métier auprès des détenus, Victor dépasse parfois les règles de base de la thérapie et ses prises en charge débordent régulièrement le cadre. Comme avec Marcus, ce jeune libérable, coupable de plusieurs assassinats au sein de sa famille et que Caranne va prendre en charge à sa sortie, et qui sera finalement conduit à l’assister dans sa recherche de la vérité sur le meurtre de Julia.
Hormis le mari, sur lequel les soupçons se renforcent, une fois connu la liaison de son épouse avec Victor, une autre piste pourrait exister du côté de la dernière affaire sur laquelle enquêtait la journaliste. Une sombre histoire de harcèlement sur des employés par un notable local, industriel florissant et homme politique. Un sale type au bras long qui aurait très bien pu vouloir se débarrasser d’une gêneuse… De ce côté, la police va vite sentir le vent du boulet de la hiérarchie qui ne veut qu’on importune un si important personnage, surtout que la discrétion de la jeune femme pour tout ce qui concernait ses enquêtes ne les aide pas.
Victor doit en outre s’occuper de Maddie, la fille de Jonas, née d’un premier mariage, une adolescente traumatisée, pas des plus simples à contrôler, et répondre aux questions de Babiak, le policier chargé du dossier, un homme finaud sous ses airs un peu rustre, dont Caranne s’aperçoit bien vite qu’il est difficile à leurrer et décidera de jouer cartes sur table. Sans compter que Jonas devient de plus en plus énigmatique, imprévisible au point de lui faire douter de tout.
Chassé-croisé de soupçons et de sentiments contradictoires, voire antagonistes, de coupables potentiels, suspense à foison entre les premiers pas en liberté de Marcus, sa réadaptation problématique, et ce qui a bien pu arriver à Julia ce fameux matin, Max Monnehay trimballe avec une grande aisance son lecteur, ne lui offrant une certitude que pour mieux la lui reprendre aussitôt, jusqu’à un twist final qui vous assène un coup de batte derrière la tête tant vous pensiez que la messe était dite et l’énigme résolue.
Un bon polar à l’intrigue sinueuse, des personnages à la psychologie élaborée, une enquête nerveuse pour un dénouement totalement inattendu.
Notice bio
Max Monnehay est née en 1980 à Beauvais. Elle est l'auteure de plusieurs romans et nouvelles, parmi lesquels Corpus Christine, Prix du premier roman 2006, et Géographie de la Bêtise, publié au Seuil.
La musique du livre
Simple Minds - Don't You (Forget About Me)
SOMB – Max Monnehay – Éditions du Seuil – collection Cadre Noir – 295 p. mars 2020
photo : Pont de l'île de Ré - eperrier99 pour Pixabay